Читать книгу Mémoires sur la cour de Louis Napoléon et sur la Hollande - Athanase Garnier-Audiger - Страница 12
ОглавлениеCHAPITRE IX.
Retour du roi dans ses états. — Députations. — La reine reparaît pour quelque temps et quitte ensuite la Hollande pour toujours. — Leyde, la Haye et Utrecht occupées par les troupes françaises. — L’autorité du roi balancée par celle du commandant français. — Le roi songe à abdiquer. — Inquiétude des esprits en Hollande. — Rixe entre un bourgeois d’Amsterdam et le cocher de l’ambassadeur de France. — L’ambassadeur prend fait et cause. — L’empereur ne veut plus d’ambassadeur de France en Hollande. — Travaux importans du roi avec ses ministres, et nominations d’ambassadeurs dans plusieurs cours. — Le duc de Reggio, au nom de la France, demande l’occupation d’Amsterdam. — Indignation du roi, et ordre d’inonder pour se défendre. — Les ministres s’opposent à ce parti. — Le roi abdique en faveur de son fils. — Message au corps législatif. — Entrée de l’armée française à Amsterdam. — Le roi quitte la Hollande. Le prince royal reconnu par le corps législatif comme roi de Hollande. — L’empereur décrète la réunion de la Hollande à la France.
APRÈS une longue absence, Louis éprouva que la plus douce jouissance d’un souverain est celle de contempler la joie du peuple. Le retour du roi produisit une sensation d’autant plus vive, qu’on n’osait plus l’espérer. La reine aussi était très-prochainement attendue, et cet espoir présageait pour l’avenir entre les deux époux un accord, une harmonie sans lesquels il ne pouvait y avoir de beaux jours à la cour.
Les différens corps de l’État affluèrent au palais qui ne retentissait que de respectueuses félicitations et de touchantes expressions de reconnaissance et d’attachement; mais le roi, dont la bonté pourtant aurait voulu épargner la sensibilité de ceux qui lui donnaient tant de marques d’attendrissement, ne put leur cacher quelles étaient ses craintes, ses alarmes pour l’avenir. Les prétentions de la France, ses troupes sur les terres de la Hollande, le découragement de plusieurs hommes d’état, tout affligeait le roi, qui néanmoins résistait avec courage aux événemens, et s’efforçait de ranimer l’énergie des ministres.
La reine arriva; mais c’est en vain qu’on avait compté sur sa présence pour ramener quelques beaux jours à la cour. L’intérieur du palais était devenu d’une tristesse affreuse, et la désunion évidente du roi et de la reine ajoutait encore aux inquiétudes vraies ou fausses que les affaires publiques donnaient aux courtisans. Sous le prétexte de sa santé, la reine fut passer quelques jours au château du Loo, et de là, sans que son époux connut ses intentions, elle s’échappa de la Hollande, où le roi, malgré son éloignement pour elle, voulait la retenir .
La France, conformément aux clauses de son dernier traité avec la Hollande, fit occuper Leyde et La Haye par ses troupes, sous le commandement du maréchal duc de Reggio; d’autres troupes furent dirigées sur la Frise, et le quartier général de l’armée française en Hollande s’établit à Utrecht. Il était évident qu’on s’emparait du pays; mais, qu’opposer à d’impérieuses et irrésistibles volontés? Déjà l’autorité royale était affaiblie, balancée par celle du maréchal de France; le roi était indigné des usurpations d’autorité qu’on se permettait chaque jour, et, à ses plaintes, le duc de Reggio répondait par des ordres de l’empereur, qui voulait tout ce que le maréchal exigeait en son nom.
Depuis long-temps, on devait savoir à quoi s’en tenir sur le sort de la Hollande, mais il n’y avait plus même à se faire d’illusions. Par tous ses actes, le maréchal semblait déjà y exercer la puissance impériale qui, pour être déléguée, n’en était pas moins absolue. La couronne du roi chancelait sur sa tête, son sceptre se brisait entre ses mains, et les degrés du trône étaient plus qu’ébranlés. Comme roi, Louis, en voulant se soustraire à toute dépendance de la France, devait nécessairement heurter les vues de Napoléon, trop puissant et trop absolu pour céder à des représentations contraires à son vaste système. Ce fut alors que, ne conservant plus d’espoir, Louis voulut abdiquer en faveur de son fils: «Eh bien! disait-il, si Napoléon a
» tellement la soif du pouvoir suprême en Hollande,
» son ambition sera satisfaite, puisque,
» par mon abdication, la tutelle du roi mineur
» appartenant à la France, il pourra tout à son
» aise faire exécuter ses volontés et atteindre
» son but.»
Tous les esprits en Hollande étaient dans une grande agitation, et souvent à l’agitation succédait un sombre silence qui peignait encore mieux la douloureuse inquiétude dont on était tourmenté. Chaque jour on s’attendait à de grandes nouvelles, à des événemens capables de combler la mesure des anxiétés.
A quoi tient le sort des nations! Un événement fort simple vint tout à coup résoudre une grande question politique. M. le comte de la Rochefoucauld était ambassadeur de France; son cocher, fier comme tout ce qui porte la livrée, étant un jour en grande tenue, se prit de querelle avec un habitant d’Amsterdam; la querelle prit un caractère national, et dégénéra en rixe sérieuse. Comme la scène se passait dans le voisinage du palais, la garde du palais s’y rendit pour rétablir l’ordre. Le parti des Hollandais, et c’était celui du roi, accusait le cocher d’avoir excité une dispute pour fournir à la France une nouvelle occasion de montrer son mécontentement contre la Hollande.
Il résulta des informations, prises par ordre du roi, que le cocher de l’ambassadeur avait réellement été insulté sans avoir fait aucune provocation. M. de la Rochefoucauld prit fait et cause, et demanda une réparation ostensible, comme si quelques sottises adressées à un homme en livrée pouvaient prendre le caractère d’une offense grave envers une puissance; si l’étiquette dit oui, au moins la raison dit non. Quoi qu’il en soit, cette misérable affaire, dont on s’efforça de tirer de grandes conséquences, occupa sérieusement le roi. L’empereur, soit qu’il eût effectivement pensé qu’on avait manqué à la France en maltraitant le cocher de son ambassadeur, soit que le plus petit prétexte lui fût bon pour arriver à la réunion de la Hollande à l’empire français, rompit tout-à-fait avec le roi, rappela son ambassadeur, déclara à l’ambassadeur de Hollande à la cour de France, M. Verhuell, qu’il ne le recevrait plus, qu’il ait à prendre ses passe-ports, et à quitter Paris dans les vingt-quatre heures.
Quoique l’arrêt de mort de la royauté en Hollande fut à peu près prononcé, le roi ne s’en occupait pas moins encore d’indiquer à ses ministres attristés tout ce qu’il croyait pouvoir améliorer dans les brandies de l’administration. Prêt à déposer les insignes du pouvoir suprême, Louis nomma encore des ambassadeurs dans plusieurs cours, et échangea des décorations avec le roi de Prusse.
Chaque jour la France manifestait de nouvelles prétentions, et quand le roi apprit que le duc de Reggio demandait l’occupation de la capitale, et l’établissement de son quartier général dans la ville d’Amsterdam, il éprouva tout ce que l’indignation a de plus violent; cédant à un emportement trop bien justifié, il résolut de défendre sa capitale jusqu’à la dernière extrémité. En désespoir de cause il voulait user de tous les moyens en son pouvoir, et il y en a de bien puissans dans un pays arraché à la mer, par des siècles de peines et de travaux, et qu’on peut lui rendre en un instant, en détruisant les digues. Son cœur frémit d’épouvante en songeant à la déplorable extrémité à laquelle on le réduisait; mais cette extrémité même lui semblait moins affreuse que l’humiliation à laquelle on exposait son peuple, que les usurpations incessamment exercées sur les droits et les propriétés de la nation. Pour l’aider dans ses moyens désespérés, le roi comptait et sur le peuple et sur l’armée qui l’un et l’autre étaient mécontens, et il ne doutait point qu’ils n’embrassassent sa cause qui n’était que la leur.
Le roi était au pavillon royal de Haarlem; il y convoqua à la hâte et ses ministres et ses généraux; rappela avec véhémence l’énormité des sacrifices faits par la nation, les envahissemens qui avaient lieu de tous côtés, et son autorité méconnue; il proposa enfin, pour sauver l’honneur du pays, d’inonder d’abord la capitale plutôt que de l’abandonner sans la défendre. Tout ceux qui l’écoutaient, tout en partageant son indignation ne partageaient pas l’idée du parti désespéré qu’il indiquait, pour affranchir la capitale d’une occupation de troupes étrangères.
La prudence de la propriété eut, au Conseil, plus de voix que la gloire outragée, et le roi, dont il était facile d’apaiser la colère en parlant à sa bonté, écouta des avis plus sages et renonça à toute idée d’inondation. Mais un roi dans son conseil n’est jamais seul de son opinion, et quand il change, pour se rendre à la raison, il compromet fort ceux des conseillers qui ont comme de coutume exagéré les idées du maître. C’est ce qui advint à Louis, contraint de devenir médiateur en faveur de ceux qui avaient pensé comme lui, aussitôt qu’il eut reconnu l’impossibilité d’une lutte trop inégale. L’héroïsme même peut devenir ridicule quand il n’a aucune chance de succès.
Après avoir long-temps délibéré avec ses ministres, convaincu qu’il n’y avait plus d’espérances, plus d’illusions possibles, et qu’il ne pouvait plus rien pour l’avenir de ses sujets, le roi abdiqua en faveur de ses deux fils, sous la régence de la reine, assistée d’un conseil de régence. Il adressa ensuite au peuple hollandais une proclamation pleine de sensibilité , et dans laquelle il poussa la magnanimité jusqu’à laisser croire à la nation qu’il chérissait et qu’il abandonnait avec tant de regret, qu’il était peut-être le seul obstacle au bonheur des Hollandais, et que dès-lors il regardait comme un devoir de se sacrifier à la tranquillité du peuple .
Cette proclamation au peuple, ce dernier acte d’un souverain qui se dévoue au bonheur de ses sujets, imprima partout la tristesse; on se pressait en foule pour lire ces adieux touchans d’un bon roi, oui d’un bon roi, car il aimait la religion, les lois et la patrie.
L’armée française commandée par le duc de Reggio , entra donc dans Amsterdam, mais le roi ne voulant pas être témoin de l’occupation de sa capitale, avait abandonné la Hollande quelques jours avant cette occupation; au moment où il remit le prince royal entre les mains du général Bruno, l’un des grands officiers de la couronne, il laissa couler des larmes en lui faisant les plus tendres et les plus douloureux adieux. Le cœur navré , l’aine abattue, appuyé sur le bras de son aide-de-camp, M. Bloys-Van-Treslong, à minuit Louis sortit mystérieusement de son pavillon royal, à Haarlem, trouva à peu de distance une voiture, et sortit, plus en fugitif qu’en roi, de sa patrie adoptive.
Avant de quitter ses états, Louis, par un message particulier, fit connaître à Napoléon le parti qu’il venait de prendre. L’empereur reçut fort mal le chargé de cette communication (le général Vichery), non pas que l’abdication du roi déplût précisément à Napoléon, car par sa retraite il lui abandonnait la Hollande, où désormais il aurait le champ libre; mais la fuite et l’éloignement du roi n’entraient nullement dans la politique de l’empereur. Y aurait-il donc des circonstances où un conquérant ne veut pas qu’on lui donne ce qu’il veut prendre?
Pour se conformer aux derniers vœux du roi au moment de son abdication, le ministre de l’intérieur adressa une proclamation aux habitans d’Amsterdam, afin de les engager à recevoir comme des alliés, comme des amis les soldats français. Le Corps législatif, aussi pour remplir les dernières instructions du roi, s’assembla immédiatement après son départ et reconnut le jeune prince qui fut complimenté sous le titre de Louis II, roi de Hollande.
Dans sa retraite en Allemagne, le roi eut le chagrin d’apprendre que ses plus chères volontés n’avaient point été exécutées. Son fils bien aimé ne régna pas après lui. L’empereur Napoléon, par un décret du 10 juillet 1810, réunit la Hollande à la France; Amsterdam prit le titre de troisième bonne ville de l’empire français; l’armée entière et toute la marine furent incorporées dans les armées et dans les flottes françaises, et la dette publique fut réduite au tiers.
Louis, en quittant Haarlem, se rendit d’abord à Tœplitz d’où il protesta contre la réunion de la Hollande à la France; et, ayant cessé d’être roi, n’obéit point à l’ordre de rentrer en France, transmis par l’empereur au prince grand connétable de l’empire .