Читать книгу Mémoires sur la cour de Louis Napoléon et sur la Hollande - Athanase Garnier-Audiger - Страница 8
ОглавлениеCHAPITRE V.
Mésintelligence entre le roi et la reine. — Réflexions sur leur mariage. — Voyage du roi dans ses états. — Mort du prince royal et absence du roi et de la reine. — Réflexions des Hollandais sur l’absence du roi. — Retour du roi sans la reine. — Arrestations faites pendant l’absence du roi. — La résidence royale transférée à Utrecht. — Réunions au palais. — Traité entre la France et la Hollande. — Le roi veut habiter Amsterdam. — Encouragemens accordés par le roi à une actrice.
LA reine exerçait un grand empire de bienveillance; mais elle ne partageait pas le bonheur qu’elle répandait autour de sa personne: il existait entre elle et le roi une désunion fâcheuse, et dont l’évidence affligeait toute la nation. Ceux qui étaient dans le secret des antécédens, assuraient que cet éloignement de Louis pour sa femme existait même avant l’époque de leur mariage, qui fut décidé entre Napoléon et Joséphine, sans que ni Louis ni Hortense aient été consultés .
Toujours animé du désir de connaître ses états, Louis entreprit un voyage vers le mois d’avril; dans les lieux qu’il visitait, il donnait à tout la plus grande attention, et ses encouragemens amenèrent des améliorations sensibles dans beaucoup d’établissemens publics; mais aussi, de tous côtés, il trouva la récompense de sa sollicitude dans les félicitations les plus franches comme les plus touchantes.
A son retour, un événement cruel lui causa la plus vive douleur. Son fils, le jeune prince royal, attaqué du croup, fut tout à coup dangereusement malade et succomba en quelques jours. La désolation du roi et de la reine fut à son comble; ils s’éloignèrent non-seulement des lieux témoins de cette perte affreuse, niais encore de la Hollande; l’un et l’autre allèrent en France prendre les eaux dans les Pyrénées.
Le comte d’Arjuzon accompagna à Paris la dépouille mortelle du jeune prince, mais jamais ce grand dignitaire de la couronne ne reparut à la cour de Hollande. Sa disgrâce qu’on expliquait difficilement, tant on était loin de la soupçonner, alarma tous les Français qui étaient au palais, et qui à chaque instant pouvaient éprouver le même sort.
Les Hollandais, malgré la juste douleur du roi et le besoin qu’il pouvait avoir de prendre les eaux, s’étonnèrent de le voir s’éloigner de ses états dans un moment aussi critique. Leurs réflexions à cet égard étaient pleines de sens et de justesse; car ce fut précisément pendant l’absence de Louis qu’eut lieu le traité de Tilsitt, où il s’agissait de puissans intérêts pour la Hollande. On pensait que des chagrins domestiques, quelques légitimes qu’ils fussent, ne justifiaient pas aux yeux de la politique l’éloignement du souverain, surtout dans les circonstances où se trouvait son royaume. Ce fut aussi pendant l’absence de Louis que les troupes hollandaises se distinguèrent à l’armée, et que leur roi fut le dernier de ses états à apprendre leurs victorieux succès.
En revenant des Pyrénées et passant par Paris, Louis apprit de l’empereur même que le gouvernement français avait cru devoir user de rigueur contre des contrebandiers hollandais dont la hardiesse allait toujours croissant, et dont il fallait enfin empêcher le commerce clandestin. Beaucoup d’arrestations furent faites au nom du gouvernement français, et dès que Louis en fut informé il ne put plus se faire d’illusion sur le but de Napoléon. Le roi dut attribuer encore à son absence ces arrestations, et il fut très-long-temps à pouvoir obtenir la mise en liberté des personnes détenues.
A son retour en Hollande, où la reine ne l’accompagna pas, Louis, soit qu’il revît avec trop de peine les lieux qui lui rappelaient sans cesse la perte de son fils, soit qu’il ne se crût pas convenablement placé à La Haye pour l’exécution de tous ses desseins, se dégoûta de l’ancienne résidence des stathouders, et voulut habiter la ville d’Utrecht. Pendant son absence il avait fait faire l’acquisition de plusieurs maisons qui prirent le titre de palais. Louis partit doue pour Utrecht au mois d’octobre 1807, accompagné de toute la cour, qui se logea difficilement et très-incommodément dans une espèce de palais, dans une ville silencieuse et distribuée depuis long-temps pour un tout autre usage qu’une résidence royale. Le langage, les manières, les habitudes, les mœurs, l’esprit, rien ne ressemblait à ce que l’on trouvait dans la jolie ville de La Haye, depuis des siècles en possession de la cour. Les habitans d’Utrecht furent d’abord enchantés de la résidence du roi, parce que tout ce qui est nouveau a le don de plaire à la multitude; mais on se lasse de tout, et les citadins d’Utrecht le prouvèrent bientôt.
Malgré son déplacement et les travaux importans dont il s’occupait, le roi semblait porter partout un air ennuyé qui n’échappait à personne, et le secours des comédiens français, qui venaient donner des représentations dans la nouvelle résidence, ne contribuait que faiblement à égayer Louis et la cour. Indépendamment du spectacle, il y avait au palais des réunions familières et des bals où la meilleure société de la province assistait; mais l’absence de la reine frappait toutes ces assemblées consacrées au plaisir, d’une langueur, d’une monotonie très-apparente; on se rappelait comment à La Haye sa spirituelle vivacité savait animer les cercles où elle brillait par ce charme qui accompagne toujours une souveraine jeune et aimable.
Après beaucoup d’instances, Louis obtint enfin un traité entre la France et la Hollande; mais ce traité sembla tellement onéreux à la Hollande, que le roi fit beaucoup de difficulté pour le ratifier. La France par ce traité s’appropriait le port de Flessingue, ville importante de la Zélande, et en consentant péniblement à cet abandon, Louis se flattait dé pouvoir éviter des sacrifices encore plus pénibles.
Le roi s’étant promptement lassé de tenir sa cour dans la ville d’Utrecht, allégua des raisons de politique pour justifier le désir de porter la résidence royale dans Amsterdam, et d’en faire désormais la capitale du royaume. Les habitans de cette grande cité, quoi qu’en ait dit obligeamment la députation de la ville au roi, se trouvèrent peu flattés, à cause de leurs relations commerciales, de se voir auprès de la cour, dont la dissipation pouvait amener une influence contraire à leurs intérêts.
En attendant la réalisation de ce changement de résidence, l’année 1807 s’acheva assez tristement au palais d’Utrecht, où les réunions d’agrément étaient bien moins fréquentes, et où le roi, pour combattre les soucis dont il paraissait de plus en plus obsédé , faisait souvent de la musique avec le directeur de sa chapelle .
Les rois ont aussi leurs faiblesses, et Louis, en allant souvent au spectacle, s’était, dit-on, doucement habitué à encourager particulièrement le talent fort distingué d’une jeune actrice, digne émule de la célèbre Mars, et dont les attraits brillans et la conduite réservée avaient bien pu fixer l’attention d’un souverain encore jeune.