Читать книгу Mémoires sur la cour de Louis Napoléon et sur la Hollande - Athanase Garnier-Audiger - Страница 5
ОглавлениеCHAPITRE II.
Députation hollandaise au prince Louis pour lui offrir la couronne. — Napoléon proclame son frère roi de Hollande. — Le roi conserve la dignité de connétable de l’empire. — Difficultés dans l’organisation de la cour. — Arrivée du roi et de la reine à la Maison du Bois. — Leur entrée à La Haye. — Refus par le roi d’une escorte française. — Jalousie des Hollandais contre les Français. — Grands dignitaires et fêtes à la cour. — Composition du corps diplomatique. — La cour divisée en deux partis. — Point de vue politique. — Méfiance de Napoléon sur les intentions de Louis. — Composition du ministère Hollandais. — Nouvelle rédaction de la constitution du royaume. — Cultes. — Travaux du roi sur la situation administrative du pays. — Le roi veut apprendre la langue hollandaise.
Au mois de mai 1806, une députation de la république Batave, députation composée de MM. Verhuell, vice-amiral; Brandzen, ambassadeur à la cour de France, Van Styrum, membre des hautes puissances; Gogel ministre des finances; et W. Six, conseiller d’état, vint offrir au prince Louis Napoléon de régner sur la Hollande; et, le 5 juin de la même année, l’empereur des Français proclama, à Saint-Cloud, Louis, son frère, roi de Hollande, en lui conservant la dignité de connétable de l’empire.
Le roi et la reine s’étaient fait devancer dans la résidence royale, à la Haye, par des amis sur le dévouement desquels ils croyaient pouvoir compter. Ces personnages distingués, réunis aux hommes les plus recommandables du pays, établirent entre eux les différens services destinés à former la maison du roi. Rien de ce qui avait existé sous le gouvernement qui venait de cesser ne pouvait aider à la composition de la cour d’un roi. A la simplicité du régime républicain devait succéder, sinon le faste, au moins une sorte de somptuosité, un entourage d’un rang plus élevé que tout ce qui constituait le service du grand pensionnaire. Les Hollandais voulaient décider sur la formation de la nouvelle cour; mais les Français, prenant pour modèle la cour impériale de France, se trouvèrent en opposition avec les Hollandais; et ce fut tandis que les petites prétentions nationales et d’amour-propre étaient aux prises, que le roi et la reine arrivèrent, le 18 juin, dans leurs états.
Les députations se présentèrent bientôt en foule à la maison du Bois , où le roi et la reine les accueillirent toutes avec une gracieuse affabilité, et une touchante bonté.
Lorsqu’un gouvernement est renversé, quelles que puissent avoir été les causes du renversement, on est porté à croire que le chef de l’État, qui succède à celui qui n’est plus, mettra tous ses soins à protéger les personnes et les. propriétés; mais il faut des garanties à une nation républicaine, à qui la force impose un roi, et un roi étranger. Aussi Louis, à travers les exaltations populaires, aperçut bien que ceux qui raisonnent leurs affections ne semblaient que conditionnellement s’engager avec lui, et attendre que sa conduite déterminât celle qu’ils tiendraient avec lui.
Quand Louis et Hortense eurent passé quelques jours à la maison du Bois, où le roi s’était beaucoup entretenu avec ses ministres et ses secrétaires d’état, ils firent leur entrée à la Haye, le 23 juin; mais Louis, soit par modestie, soit qu’il eût préféré être escorté par des légions nationales, refusa l’assistance d’un corps de troupes françaises, qui, d’après l’ordre de l’empereur, devait accompagner le nouveau souverain.
Le roi les congédia immédiatement; et, quoiqu’il se fût empressé de bien accueillir ces troupes, qu’il combla d’éloges, ce refus déplut fort à Napoléon, qui crut y voir le présage d’une opposition formelle, le premier degré d’une volonté absolue. Les Hollandais, au contraire, applaudirent à cette résolution, en pensant, avec raison, que dans la circonstance l’escorte du souverain devait être confiée aux habitans sur lesquels il venait régner.
Bientôt à la cour les vanités se trouvèrent excitées sur tous les points, et les Hollandais virent avec beaucoup de mécontentement les charges de grands officiers de la couronne données à des Français .
Ce mécontentement donna naissance à de fâcheuses mésintelligences, et amena successivement à la cour des changemens, qui en troublèrent la bonne harmonie. Cependant toutes les ambitions auraient dû être satisfaites; car si ces premières dignités de la couronne étaient le partage des Français, tous les ministres et ambassadeurs étaient choisis parmi les Hollandais; et, sous beaucoup de rapports, il eût été fort inconvenant que cela fût autrement. Mais cette jalousie fit de tous côtés de rapides progrès; et quoique les Hollandais reconnussent bien la supériorité de la nouvelle administration publique, établie en grande partie à l’instar de celle de France, ils regrettaient leurs vieilles pratiques, tout en aspirant aux emplois, et surtout à ceux qui rapprochaient davantage de la personne du roi.
Des fêtes, des bals et des concerts rassemblaient à la cour le corps diplomatique , et un nombre considérable de personnes de distinction. A ces réunions nombreuses, où étaient invitées beaucoup de personnes des départemens, on en remarquait dont le costume et les manières contrastaient plaisamment avec l’aisance de ceux qui étaient habitués au grand monde; et la toilette des dames de la Nord-Hollande et de la Zélande parut aux étrangers d’une très-piquante originalité : cette variété d’habillemens et de prétentions offrait un coup-d’œil fort amusant. La reine embellissait ces réunions par les agrémens de son esprit et par la gracieuse bienveillance avec laquelle elle accueillait indistinctement tout le monde.
Le roi qui savait bien que la cour était déjà divisée en deux partis, cherchait sans cesse à les concilier; et, sans le vouloir, peut-être, il favorisa les Hollandais qui, en lui en témoignant leur vive reconnaissance, firent naître dans le cœur de Louis le germe de cette prédilection nationale, très-louable sans doute, mais qui le plaçait dans une fausse position vis-à-vis de la France et de Napoléon. La reine semblait, au contraire, accorder plutôt sa protection aux Français qui, par cette raison, s’occupaient constamment à se rendre dignes de ses bontés; et il résultait de cette rivalité un schisme très-apparent, qui bannissait toute idée de bonne intelligence.
Placé entre ses devoirs comme roi de Hollande, et sa conscience comme mandataire de l’empereur, il était bien difficile à Louis de concilier ce que la France attendait de lui, et ce qu’exigeaient les intérêts de la nation, qui l’avait appelé à régner sur elle. Ce fut sans doute pour se livrer sans restriction à ce dernier sentiment que Louis, en acceptant la couronne de Hollande, avait voulu renoncer au titre de connétable de France; mais Napoléon le devina, et l’obligea à garder cette haute dignité militaire, qui, en lui retraçant, disait-il, ses devoirs envers l’empereur des Français, lui rappellerait sans cesse qu’il ne régnait que sous ses auspices et par sa protection.
C’est de cette position qu’il faut toujours envisager le roi, pour apprécier sa conduite politique pendant qu’il fut à la tête du gouvernement hollandais, et pour le laver en quelque sorte de l’accusation d’ingratitude envers son frère. Dès lors on cessera d’attribuer exclusivement à la mobilité du caractère de Louis les décisions, sans cesse renouvelées pendant la courte durée de son règne. Il faut l’observer luttant avec l’empereur, dont il tient sa puissance, et auquel il résista pourtant, parce qu’il voulait remplir ses obligations envers sa nouvelle patrie. Le prince Louis qui d’abord ne se souciait pas de ceindre le bandeau royal, dès qu’il se sentit la couronne sur la tête, voulut user et jouir d’un pouvoir indépendant; mais il n’était pas assez fort pour lutter avec succès contre la France, à qui rien alors ne résistait; et il devait infailliblement succomber.
Le roi voulait franchement le bien de ses sujets: cette pensée l’occupait constamment; mais ce qu’il voulait faire pour atteindre son but n’entrait pas dans les vues de Napoléon, et presque toutes celles de Louis, à cet égard, étaient autant de protestations contre le grand système continental.
Pour arriver à cette fin salutaire, objet de sa sollicitude, le roi s’entoura d’hommes, pour lesquels il avait beaucoup d’estime, et les prit exclusivement parmi des Hollandais: MM. Moterus, Gogel, Twent et Roëll avaient tous donné des preuves d’une grande capacité , et leur délicatesse garantissait leur dévouement, leur fidélité. Le premier fut appelé au ministère de l’intérieur, le second eut le portefeuille des finances, le troisième fut chargé de l’administration des digues, et le dernier prit le titre de ministre d’état. M. Mander Goes qui, sous les états-généraux de Hollande, avait rempli des missions diplomatiques dans les principales cours de l’Europe, fut appelé au ministère des affaires étrangères: M. Van der Goes réunissait toutes les qualités sociales et politiques qui font les bons ministres et les citoyens précieux: Statdhoudérien, ou républicain, il n’importe.
M. Van der Goes, quoiqu’il se fût ostensiblement et franchement opposé au régime monarchique, donna au roi des marques d’un dévouement sur le quel il pouvait compter: habile et vrai, telle était sa devise. Le général Bonhomme passa au ministère de la guerre, M. Vander Heim à celui des colonies, et à la justice et la police M. Van Hof, qui eut pour successeurs M. Van Maanen, un des plus ardens républicains du pays, et M. Hugenpoth, catholique distingué.
Le roi ayant reconnu que la constitution qu’il avait d’abord adoptée offrait quelques points assez obscurs, lui fit subir des changemens assez importans, et cette réforme avait pour but de donner à son peuple plutôt l’application des principes, selon les circonstances et les temps, qu’une nouvelle constitution. Il s’occupa ensuite à connaître la situation des affaires du pays, et quand il vit l’appauvrissement du trésor, il en fut vivement alarmé. L’administration des digues était dans un désordre épouvantable, et pourtant, malgré l’exiguité des ressources, il fit continuer les importantes écluses de Catwyk, commencées sous l’ancien gouvernement. Louis trouva la jurisprudence soumise à des lois incohérentes. L’armée de terre ne présentait rien de tranquillisant, et le corps d’artillerie ne donnait pas plus de sécurité ; la marine était dans une meilleure situation: elle avait deux flottilles; l’une destinée à la garde des côtes et des ports, et l’autre en station à Boulogne sur mer. Le Helder, Amsterdam et Rotterdam possédaient un assez grand nombre de vaisseaux, et les officiers qui commandaient alors ce service étaient MM. Verhuell, Dewinter, Kikkert, Blogs Van Frèslong, Lemmers et Hartzinck.
L’exercice des cultes était libre, et l’État salariait seulement les ministres de la religion réformée ( religion dominante de la nation ): toutes les autres communautés supportaient elles-mêmes les frais de leur culte et de leurs écoles. L’église catholique végétait dans une profonde misère, et ceux qui la professaient n’étaient admis à aucun emploi public; les juifs surtout, les juifs allemands, étaient comme autrefois, en France, partout rebutés, et presque tous méprisés.
Le commerce était languissant; les manufactures et les fabriques presque réduites à rien, par la supériorité des établissemens du même genre chez les autres nations. Cultivés avec beaucoup moins de succès qu’ailleurs, les sciences et les arts n’étaient point appliqués au développement de l’industrie; mais l’institution publique se montrait sous un jour plus favorable, grâce à un assez grand nombre d’universités, dans lesquelles se trouvaient des hommes d’un vrai mérite.
Il ne suffisait point encore au souverain d’acquérir la connaissance de toutes les branches de l’administration, il voulut aussi apprendre la langue du peuple; il s’en occupa sérieusement. Mais soit que ses occupations ne lui en laissassent pas le temps, ou qu’il éprouvât trop de difficultés pour se familiariser avec une langue aussi rocailleuse que le hollandais, le roi n’y fit pas de grands progrès; et il pouvait, sans inconvénient, se dispenser de parler le hollandais chez une nation où toutes les personnes bien élevées connaissent et parlent bien la langue française, devenue presque européenne, et l’organe des nations et des traités étrangers.