Читать книгу La revanche de Marguerite - Charles Deslys - Страница 10

Оглавление

VIII
FOIE DE RAIE

Table des matières

En arrivant à Dieppe, Césaire avisa Stoppe-la-Mèche,–c’était le lascar choisi par le capitaine,– d’avoir à se transporter incontinent à Varangeville, pour y recevoir les instructions nécessaires à la mission périlleuse dont on voulait l’honorer.

Il s’agissait, nous le rappellerons, de faire parvenir un billet de sir Arthur jusqu’à la côte anglaise, et, chose encore plus hasardeuse, d’en rapporter une réponse de lady Gower.

–Nous ne serons pas trop de deusses! déclara Grand-Pierre, j’emmène avec moi Frise-à-Plat.

Nos deux inséparables se montrèrent enchantés de cette occasion, qui les rapprocherait un instant de l’obj et de leurs aspirations matrimoniales.

Il va sans dire que cette double flamme, jusqu’alors discrète, n’avait pas même attiédi le cœur haut placé de celle qui l’inspirait. On l’eut, sinon surprise, du moins fort divertie, en lui révélant tout à fait la singulière conquête de ses beaux yeux.

Quant aux deux compétiteurs, comment cette présomption leur était-elle venue? Il y a, dans le cœur humain, des mystères que nul ne saurait approfondir. C’étaient deux audacieux, pour lesquels n’existait pas le mot impossible. Celui-ci, timonier-chef, celui-là, premier maître. Antoinette n’était, après tout, que la filleule de Balidar. Balidar n’avait-il pas été matelot? Admettons qu’il fût tué, Césaire aussi: Jean-Louis devenait peut-être lieutenant, Grand-Pierre, capitaine! Vous voyez bien qu’ils pouvaient prétendre à se faire agréer l’un ou l’autre.

Le premier touché, du reste, avait été Jean-Louis, surnommé Frise-à-Plat, le corsaire joli-cœur, et qui jamais encore n’avait rencontré de cruelles! Il s’en ouvrit immédiatement à son cher Stoppe-la-Mèche.

–Cré guignon! fit celui-ci. J’avais la même idée!

–Toi?

–Moi! répliqua superbement le maître d’équipage, qui, malgré ses quarante ans passés, sa balafre et sa chique, s’estimait également irrésistible.

Frise-à-Plat ricanait d’un air goguenard:

–Nous ne pouvons pas cependant l’épouser tous les deusses.

–Naturablement! mais pour que l’un de nous en ait la chance, mettons en commun nos économies. Un seul magot pour celui qu’elle choisira.

–Et l’autre?

–Et l’autre ira se faire casser la. tête ailleurs!

–Tope! accepta Jean-Louis; mais comment lui soumettre la proposition?

Après quelques débats, on se décida pour une lettre, qui serait écrite par Frise-à-Plat, le savant de l’association.

Il choisit une belle feuille de papier, en tête de laquelle on voyait un esquif, conduit par des Amours, et qui portait deux cœurs percés d’une seule et même flèche.

Au-dessous de cette galante allégorie, le jeune timonier, d’une écriture assez lisible, mais avec une orthographe des plus risquées, transcrivit cette épître, qu’il avait apprise dans le Secrétaire des Amants:

«Beauté sans pareille,

» Pour mériter vos faveurs, faudrait avoir en partage.»

Stoppe-la-Mèche l’interrompit:

–Non!….. faillirait.

–Plaît-il?

–«Faillirait avoir en partage.»

–Allons donc! C’est faudrait. ou foidrait... tiens, veux-tu, pour nous mettre d’accord?

L’autre acquiesça, mais non sans cette protestation:

Foidrait mieux fa illirait!

Nous faisons grâce au lecteur du restant de la déclaration.

Elle se trouvait prête depuis deux jours, lorsque survint la chance inespérée du voyage à Varangeville.

Les deux matelots, en grande tenue, astiqués et reluisants comme une boussole neuve, s’abouchèrent préalablement avec sir Arthur. Puis, ayant reçu leurs renseignements et, par anticipation, la moitié de la récompense, ils remirent le cap sur le port, mais en louvoyant par le parc, dans l’espoir de rencontrer le trop charmant arbitre de leur destin.

0bonheur! la voilà! Elle est seule, et s’avance, toute pensive, sous une charmille dont l’épais feuillage les abritera tous les trois de son ombre propice.

Ils vont se camper en travers de l’allée, saluant d’une main, de l’autre présentant la lettre, qu’ils tiennent chacun par un coin.

Antoinette, contrainte de s’arrêter, les regarde tour à tour avec une curiosité narquoise.

Frise-à-Plat baisse timidement les yeux, Stoppe-la-Mèche souffle comme un phoque. Pas un mot ni de l’un ni de l’autre. Mais l’explication se trouvera dans la lettre. Antoinette se décide à briser le cachet.

Elle lit à demi-voix:

«Beauté sans pareille,

» Pour mériter vos faveurs, foidrait.»

Mais pourquoi s’arrête-t-elle à ce mot? pourquoi cette hilarité soudaine et cette fuite en continuant de rire aux éclats?

Il y avait écrit: FOIE DE RAIE!

Nos deux amoureux, sans se rendre compte du motif de leur échec, regagnent, tout penauds, la grande route.

Ils s’y engagent en silence, Stoppe-la-Mèche, qui sans doute a réfléchi, recouvre le premier la parole:

–C’est ta faute, marsouin! Pourquoi n’as-tu pas écrit: faillirait?

Frise-à-Plat se contente de hausser dédaigneusement l’épaule.

Nouveau mutisme pendant le second kilomètre. Puis Grand-Pierre, assez taquin de sa nature, et plus affirmatif encore que la première fois:

–On dit: faillirait!

Jean-Louis, très-irascible, a peine à se contenir. Mais son matelot, qui veut absolument passer sur quelqu’un sa mauvaise humeur, et qui n’a que Frise-à-Plat sous la main, répète de temps en temps:

–Faillirait! faillirait! Fallait faillirait!

Son compagnon, qui marche prudemment de l’autre côté du chemin, risposte à la fin par une première invective. Elles se croisent bientôt. Les voix s’élèvent, les têtes se montent. On se rapproche, on se menace, on se gourme. A la porte de Dieppe, le poste dut séparer les combattants.

Stoppe-la-Mèche était le plus furieux, le plus intraitable.

–Mais c’est ton ami Frise-à-Plat! Que t’a-t-il dit? Que t’a-t-il donc fait?

–Il m’a appelé. perruquier!!!

C’était, c’est peut-être encore la plus sanglante injure qui puisse s’échanger entre matelots.

Nonobstant, dès ce même soir, les deux inséparables profitaient d’un temps sombre et, travestis en pêcheurs anglais, mettaient à la voile pour l’île de Wight.

La revanche de Marguerite

Подняться наверх