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IX
UN AMOUR QUI FINIT, UN AMOUR QUI COMMENCE

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Table des matières

C’était le samedi, dans la soirée. Les deux sœurs de lait et le prisonnier, assis dans un de ces ronds-points herbus qui se forment sur les crêtes bordant la mer, regardaient le magnifique spectacle du coucher du soleil.

Ses derniers rayons semaient de teintes irisées les falaises blanches, et, sur les flots d’un vert sombre frangés d’écume, comme un ruissellement de rubis et d’émeraudes. A l’horizon, une fantasmagorie, toutes les couleurs, du feu, de l’or, du cobalt. un chaos de nuages violacés où l’imagination se figurait, ici, des montagnes couronnées d’une neige étincelante; là, des animaux, des monstres de l’Apocalypse. Tout en haut, dans l’azur, s’éparpillaient, s’enfuyaient quelques flocons de brume, pareils à des bandes d’oiseaux voyageurs.

La chapelle, ou plutôt l’église de Varangeville se découpait au premier plan, sur ce fond lumineux, comme une silhouette noire.

On s’en souvient, elle est située presque au bord de la falaise.

Antoinette achevait d’en raconter la légende:

–Pour lors, jusqu’au coq du clocher, tout était bas sur le galet. Il y a plus de mille ans de cela. On voulut, comme de raison, reconstruire l’édifice à l’abri d’une seconde chute, c’est-à-dire un peu plus en terre ferme. Mais ne voilà-t-il pas que, dès la première nuit, les matériaux des fondations se retrouvent à l’ancienne place!…

On les reporte en arrière, on recommence. Même déménagement, et qui toujours se reproduisait sans que personne y vît goutte. Un miracle! C’était le saint, saint Valery, qui s’entêtait à ce que son autel fût suspendu dans l’espace!

Le gentleman, ordinairement sarcastique, ne répondit rien cette fois. Il demeurait immobile, il semblait rêveur, et, comme les deux jeunes filles se trouvaient assises en face du soleil couchant, son visage à lui, tourné vers elles, restait plongé dans l’ombre. On n’en voyait guère que les yeux, étincelant de leurs bleuâtres reflets d’acier.

Marguerite, de sa douce et timide voix, hasarda cette supposition:

–Sir Arthur dédaigne nos histoires de sainteté. il n’est peut-être pas catholique?

–Si fait! déclara-t-il sans changer de posture, ma famille est de celles-là qui restèrent fidèles à la foi de leurs pères. Si notre patrie n’est pas la même, miss, nous avons au moins le même culte.

A ces derniers mots, qui semblaient particulièrement à son adresse, Marguerite leva vers le ciel ses grands yeux noirs avec une expression de satisfaction, de remerciement.

–Je crois non-seulement aux miracles qui me sont racontés, poursuivit l’Anglais, mais encore à ceux dont je fus le témoin. Par exemple, en Allemagne, les expériences du docteur Mesmer, qui, doué d’une force inconnue, le magnétisme, imposait sa volonté toute-puissante à certaines personnes. Lorsqu’il les avait endormies par son regard, elles devenaient ses esclaves… et le suivaient ainsi que des statues vivantes. obéissantes.

–Des somnambules, alors? repartit Antoinette, que sir Arthur observait obstinément depuis un instant. Oh! oh! la fille de ma mère ne serait point de celles-là… Une fois réveillée, c’est pour tout de bon, milord… et quand je me suis mis en tête de ne point démarrer, le diable lui-même ne m’y contraindrait pas! Je suis comme saint Valery.

Sans le savoir, elle venait de résister au fluide dominateur du disciple de Mesmer; elle le bravait de son calme et gracieux sourire.

Tout en continuant la conversation sur le même sujet, il reporta son regard sur Marguerite, qui presque aussitôt tressaillit, et l’œil fixe, le souffle oppressé, se pencha lentement en arrière.

–Ma sœur, qu’as-tu? s’écria sa compagne alarmée.

–Rien, murmura-t-elle en secouant ce trouble passager… un étourdissement! C’est le froid du soir qui me gagne,

L’Anglais avait voilé ses prunelles. Tout en se redressant, il dit:

–Rentrons!… et n’ayez aucune crainte, mesdemoiselles. je ne suis pas un magnétiseur.

L’épreuve était faite.

Le lendemain dimanche, sir Arthur accompagna ses hôtes à l’église.

Balidar, qui ne pouvait se tenir longtemps à la même place, sortit avant la fin de la messe, et rencontra sous le porche Grand-Pierre et Jean-Louis, qui, déjà de retour, venaient rendre compte de leur expédition.

–Eh bien, mes lascars, leur demanda-t-il, avez-vous réussi?

–Comme vous voyez, capitaine, répondit Stoppe-la-Mèche. On n’a pas perdu la carte… si bien tracée par le goddam: une côte, une crique, un château dans le genre d’ici… Nous y retournerions les yeux fermés.

–Et ce serait avec plaisir! crut devoir ajouter Frise-à-Plat, car on nous a traités crânement.

–Lady Gower?

–Yes! et la petite miss aussi.

–Ah! ah! une jeune personne?

–Et presque aussi affriolante qu’une Française, déclara le maître d’équipage.

–Il paraît, dit Balidar, qu’on vous a donné le temps de tout examiner à votre loisir?

–Histoire de se dissimuler aux croiseurs anglais, dont la mer est couverte, reprit à son tour le timonier. Partis de Dieppe à la nuit tombée, nous nous sommes embarqués, là-bas, entre chien et loup. Et, pendant tout le jour, on nous avait muchés comme qui dirait à fond de cale, entre la cave et la cuisine.

–Ah! mon capitaine, acheva Stoppe-la-Mèche, quelle cuisine et quelle cave!

–Enfin, questionna le corsaire, la commission se trouve faite?

–Voici la réponse, conclut Jean-Louis, en montrant un petit paquet cacheté de rouge.

Balidar félicita ses deux matelots.

–Bien manœuvré, mes lascars! je suis content… Et pour moi, de Dieppe, rien au rapport?

Après qu’ils se furent consultés du regard, Grand-Pierre, comme le plus ancien, reprit la parole en ces termes:

–Faites excuse, capitaine!… Une invitation des camarades, y compris nous deusses, pour un piquenique flambard et naval qu’on voudrait donner en l’honneur de la dernière prise… en votre honneur… à la taverne des Frères de la Côte.

Le célèbre corsaire était un patriote, sa réponse le prouve:

–Une fête en ce moment! lorsque que l’on est sans nouvelles de la grande armée!…..

–Si fait! répliquèrent-ils à la fois, en voilà de toutes fraîches!….. et des fameuses! Lisez.

Ils lui présentaient une affiche qui venait d’être placardée par la ville, et c’était le bulletin de la bataille de Dresde, cette dernière victoire que nous devions remporter au delà du Rhin.

–Bravo! s’écria Balidar, j’irai. Vive la France!

Et comme on sortait de l’église, il monta sur un tertre pour donner lecture du glorieux bulletin, que toute la population varangevillaise acclama de ses cris joyeux en agitant chapeaux et mouchoirs.

D’autre part, sir Arthur s’empressait de déchirer l’enveloppe qui venait de lui être remise.

Il en sortit un écrin de portrait, une lettre, des banknotes.

Par discrétion, Marguerite, Antoinette, et Balidar prirent les devants.

A ce groupe s’étaient adjoints les deux matelots.

Ils furent admis au dîner, qu’égaya le récit de leur traversée, de leur séjour au cottage de lady Gower.

Les deux jeunes filles, en sortant de table, allèrent rendre visite à la Simonne, qui, souffrante, s’était abstenue de l’office divin.

–Attention! dit tout bas Jean-Louis à Grand-Pierre, notre rieuse de l’autre jour va repasser, au retour de la ferme, sous la charmille favorable à l’abordage. Et nous sommes convenus de lui dire à brûle-pourpoint, carrément, de vive voix, tout ce que nous avons sur le cœur.

–Fectivement! répliqua Grand-Pierre, mais si l’autre reste dans les mêmes eaux.

–A savoir! l’interrompit Frise-à-Plat, et quand même, laisse arriver. J’ai mon plan!

–Pagayons-nous, mon petit marsouin, conclut Stoppe-la-Mèche.

Et, faussant compagnie à Balidar, à sir Arthur, ils s’esquivèrent.

Au milieu de l’allée s’arrondissait une niche de verdure ornée d’une statue de Cupidon.

–Voilà présentement notre amiral, dit le jeune timonier. Accoste, ma vieille, et mouillons notre ancre. C’est le bon endroit pour s’embosser sous le vent de la fine corvette que nous sommerons d’avoir à amener pavillon.

Après une demi-heure d’attente, ils aperçurent les deux sœurs de lait s’engageant sous l’arceau de feuillage.

Les deux rivaux, bien qu’avec une courtoisie des plus respectueuses, se permirent de barrer le chemin.

–Excusez l’audace! débuta Jean-Louis en s’adressant à Marguerite; ça serait-il un effet de votre complaisance de nous accorder, avec mademoiselle Antoinette, un moment d’explication?

–Volontiers, répondit en souriant la fille de Balidar, je la laisse… et vais, en attendant l’heure, préparer ma leçon.

Ces derniers mots avaient été dits pour sa compagne, qui vainement tenta de la suivre; déjà les matelots, en se rapprochant, refermaient le passage par où venait de s’éloigner Marguerite.

–Toutes voiles dehors! dit Frise-à-Plat, voilà le grrand moment!

–Oui! souffla Stoppe-la-Mèche, dont la grimace significative exprimait la vive émotion.

L’autre, en dépit de sa mine fanfaronne, commençait à se troubler aussi. Il balbutia, perdant à la fois contenance et parole.

–Eh bien! fit l’impatiente Toinette, puisqu’il faut que je vous écoute, allez donc! Je suis pressée. Foiderait commencer tout de suite.

Cette raillerie stimula l’éloquence du timonier-chef.

–A vos ordres!… reprit-il. Apprenez donc.

–Que vous prétendez m’épouser tous les deux! interrompit-elle; votre billet m’a déjà renseignée sur ce point.

Stoppe-la-Mèche crut devoir intervenir:

–Non pas tous les deusses! dit-il avec un geste délicat, mais l’un ou l’autre.

–Et pour que le préféré soit plus digne de son bonheur, aj outa galamment Frise-à-Plat, nos économies réciproques ne forment plus qu’un seul magot.

–La lettre m’en a dit le chiffre! se recria-t-elle. Achevons vivement. et que je passe!

–C’est nous d’abord qui réclamons l’urgence! répliqua Jean-Louis; car, enfin, ça ne peut plus durer comme ça! Grand-Pierre est malheureux, parole! et moi itoù!….. On naviguait autrefois de conserve, on était les deux inséparables, les deux matelots, quasiment les deux frères… Et depuis cette rivalité, qui n’est pourtant qu’un vague espoir, nous nous jalousons, nous nous boudons, nous nous regardons de travers.

–Deux chiens de faïence, quoi!… fit le maître d’équipage.

Le timonier-chef conclut par cet ultimatum:

–Faut que ça finisse!

–Attendez, répondit-elle, je vais vous remettre, d’accord! Là, franchement, refaites les deux magots. Je ne veux ni de l’un ni de l’autre.

–Bah!

–C’est comme j’ai l’honneur de vous le dire, mes pauvres amis!… Je vous avais tourné la tête sans le savoir. Je ne me moquerai plus de vous dorénavant. Une honnête fille ne rit pas de ceux qui l’aiment. elle les plaint de tout son cœur. Allons! quand ce ne serait que pour me faire plaisir, réconciliez-vous... embrassez-vous! Je vous affirme qu’il n’y a plus rien à espérer. jamais!

Et, la main sur son cœur, elle ajouta:

–La place est prise.

Une telle sincérité, une loyauté si charmante se lisaient sur le visage souriant de la jolie fermière, que ses deux adorateurs s’écartèrent, convaincus et dégrisés de leur amour, pour lui livrer passage.

Quelques pas plus loin, elle se retourna afin d’entendre et de voir.

Grand-Pierre et Jean-Louis se faisaient vis-à-vis, les mains sur les genoux, presque nez à nez, la gaieté cordiale d’autrefois s’épanouissant déjà sur leurs faces, expressives comme deux masques de satyres.

–Ça y est, disait l’un; puisque ce n’est ni toi ni moi, l’affaire peut s’arranger: pas de jaloux, nous v’là r’amis!

–Et le boursicot, répliqua l’autre, nous le mangerons! nous le boirons! Quelle noce! Cric!

–Crac! Sabot!

–Cuiller à pot!

Après une chaleureuse accolade, ils s’en furent bras dessus, bras dessous.

–A la bonne heure, ceux-là se consolent vite! pensait Antoinette en se hâtant vers le salon.

Marguerite y avait trouvé sir Arthur.

Il relisait la lettre de sa mère; il avait oublié, peut-être intentionnellement, sur le piano, la miniature sortie de son écrin.

–Oh! le ravissant portrait! dit la jeune fille, qui l’avait aperçu tout d’abord.

Et comme l’Anglais se retournait vers elle, avec une singulière expression dans les yeux:

–Vous permettez, milord?

–Faites, miss.

Elle prit le médaillon, qui représentait effectivement une beauté idéale, la perle des misses d’Albion, et le regardant de plus près:

–Votre femme, peut-être? interrogea timidement Marguerite.

–Je ne suis point marié, répondit-il, tandis que le sourire de son patron Lovelace effleurait sa lèvre hautaine.

–Mais… votre promise… votre fiancée?

–C’est ma sœur, une enfant. Je suis libre, ou du moins je l’étais avant de vous connaître, Rita.

Antoinette parut tout à coup sur le seuil.

–Eh bien, dit-elle, et la musique?…

La revanche de Marguerite

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