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IV
LE VŒU DE MARGUERITE

Table des matières

Césaire Heurtebise introduisit le capitaine anglais en l’annonçant par son nom, que sans doute il venait d’apprendre:

–Sir Arthur Gower,

C’était un gentleman d’une trentaine d’années, grand, mince, élégant, d’une parfaite distinction, d’une beauté rare. Ses traits réguliers et virils, sa chevelure naturellement crépelée, de même nuance que ses longs favoris aux reflets d’or, la blancheur de son teint, l’ironie sensuelle de sa lèvre supérieure, quelque peu relevée, ce qui laissait entrevoir des dents admirables, ses façons aristocratiques, son regard froid, hautain, mais fascinateur, tout contribuait à faire de ce personnage une sorte de don Juan britannique. C’était Lovelace sous l’uniforme rouge du capitaine de corvette.

Et, chose singulière, malgré la violence qu’il venait de subir, malgré sa lutte acharnée dans la soute aux poudres, son costume n’avait pas une déchirure, pas une tache. Rien d’incorrect dans sa personne. Il paraissait, comme on dit vulgairement, sortir d’une boîte, être tiré à quatre épingles. Tel il se fût présenté à la parade, tel il entra dans la salle au balcon d’argent.

Le sourire dédaigneux, la tête haute.

Mais, en apercevant les deux jeunes filles, il se découvrit et les salua du front, rien de plus.

Étonnées, curieuses, elles le regardaient. Jamais encore elles n’avaient vu un pareil homme.

Cependant Balidar, avec sa cordialité méridionale, s’avançait à la rencontre de sir Arthur Gower, et le gratifiant d’un titre qui lui vint naturellement à la pensée:

–Milord, dit-il, soyez le bienvenu chez moi! Vous ne me semblez guère aimer les gens de ma nation. je ne chéris point ceux de la vôtre. Mais après s’être bravement combattus, n’est-il pas juste qu’on mette au rancart, surtout le vainqueur, toute prévention et toute haine?

Et, comme le commandant du John Bull gardait le silence, celui de l’ Embuscade ajouta:

–Je présume que mon second vous aura dit, chemin faisant, ce que je propose pour adoucir votre captivité?

Césaire fit un geste négatif. L’Anglais, dans notre langue, répliqua gravement:

–S’il vous plaît, parlons de mes matelots.

Antoinette et Marguerite échangèrent un regard. Celle-ci semblait dire à l’autre:

–Un noble cœur! Il s’oublie pour ne songer qu’à ses compagnons d’infortune!

Balidar, déjà quelque peu refroidi par l’accueil glacial de son prisonnier, reprit la parole en ces termes:

–Nous ne les traiterons pas comme sur vos pontons!….. Mais je ne veux pas raviver ce souvenir. au contraire!… Si nos casemates ne vous semblent pas convenables, on leur trouvera quelque autre résidence, à l’intérieur du pays. S’il se présente une occasion d’échange, on les renverra chez eux. Leur chef seul est un de ces ennemis qu’on ne relâche qu’après la guerre. Ou je m’abuse sur son compte, ou bien il ne songera même pas à s’évader de la prison que je lui réserve.

–Quelle prison? demanda l’Anglais.

–Votre parole, milord, répondit le généreux corsaire, et cette maison, ma propre maison, où je vous offre franchement l’hospitalité.

Sir Arthur Gower, bien que toujours aussi flegmatique, parut d’abord sensible à ce procédé chevaleresque. Puis, secouant la tête en signe de refus:

–Non! déclara-t-il, c’est impossible.

–Et pourquoi? questionna Balidar avec un froncement de sourcil annonçant l’orage.

Le commandant du John Bull, après un temps d’hésitation, répondit:

–Une telle condition ne serait acceptable pour moi que de la part d’un officier, d’un gentleman.

–Mais non pas de la part d’un forban, interrompit le capitaine de l’Embuscade avec un rugissement de colère. Ah! jour de Dieu! vous me rappelez cette inj ure et votre insolent cartel.

–Oubliez-vous, fit l’Anglais impassible, que je n’ai plus mon épée?

–On vous la rendra, milord, et puisque vous voulez bien me faire cet honneur.

Il n’acheva pas. Marguerite, pâle, émue, suppliante, venait de se jeter inopinément entre les deux ennemis tout prêts à courir aux armes.

–Milord! au nom du ciel! et vous aussi, mon père, écoutez-moi!

A ces accents partis du cœur, à cette apparition, gracieuse, le prisonnier s’adoucit, recula, sous le charme de l’innocence et de la beauté.

Quant à Balidar, par un de ces brusques revirements qui lui étaient familiers, il domptait déjà son emportement pour reprendre sa bonhomie paternelle.

–Explique-toi, mon enfant. Quel était ton dessein? Que désires-tu? Que veux-tu? Parle.

–Je ne sais plus. je n’ose plus. balbutia-t-elle, toute confuse de son audace.

Mais sir Arthur, avec une respectueuse admiration:

–Miss, lui dit-il, j’écoute.

L’effort qu’elle avait dû faire, pour sortir de ses habitudes réservées, ne lui permettait pas encore de traduire par des mots l’inspiration qui se lisait sur son visage. Elle parvint à se remettre du trouble qui l’oppressait, et, les yeux baissés, les joues recouvertes d’une vive rougeur qui la rendait encore plus charmante:

–Mon père, commença-t-elle en ne s’adressant tout d’abord qu’à lui, j’étais agenouillée tantôt devant cette image de la Vierge, et, pour qu’elle te ramène au port, je lui ai fait un vœu, plusieurs vœux, ..

–Dis lesquels, Margarita.

–Le premier, expliqua la jeune fille avec un peu plus d’assurance, c’est de brûler sur ses autels, à Saint-Remi, à Saint-Jacques et aux Grèves, les plus beaux cierges de Dieppe.

–Qu’à cela ne tienne! fit le père. Ensuite?

Elle continua, comme attardant à dessein ce qui restait à dire:

–J’ai promis ensuite, si tu m’étais rendu par la protection de Marie, d’habiller de neuf, en son honneur, les enfants pauvres de la ville et de nourrir tous ses mendiants pendant une semaine.

–Bravo! s’écria le corsaire, j’aime encore mieux cet engagement-là. C’est chose faite. Mais je ne vois pas quel rapport.

Ces derniers mots venaient d’être accompagnés d’un geste désignant sir Arthur Gower.

Immobile, attentif et les yeux voilés, il regardait cependant Margarita.

–Attends! père, j’y arrive, poursuivit-elle. Ma dernière promesse était relative aux prisonniers J’ai fait vœu d’adoucir au moins la captivité du premier ennemi qu’il me serait donné de voir, après t’avoir serré dans mes bras.

–Bon! je saisis, murmura le capitaine de l’ Embuscade,

Celui du John Bull restait muet. Une flamme avait brillé dans son regard.

Après une hésitation dernière, se retournant tout à coup vers lui:

–Et vous, milord, conclut Marguerite, n’avez-vous pas compris? Ce prisonnier, c’est vous. Pour que je ne sois pas parjure, devenez l’hôte de mon père. Il va vous tendre la main.

–Ouiche!… fit en se refrognant le corsaire.

Mais déjà sa fille s’était emparé de son bras. En dépit d’une certaine résistance, elle le contraignit doucement à céder au désir qu’elle venait d’exprimer.

–Après tout, grommelait-il d’une voix qui s’éleva promptement, si j’abhorre les Anglais, c’est en général, et non pas en particulier. La bravoure de celui-là m’inspirait même un commencement de sympathie. Il a failli m’envoyer ad patres, et ces choses-là, moi, ça m’attache. Voyons, milord, une trêve! Eh! par tous les diables! nos conditions ne sont pas si dures!

En dépit de ces cordiales avances, le prisonnier tardait à se lier par un serment.

–Ce n’est pas à lui, dit encore Marguerite, c’est à moi, sir Gower, que vous engagerez votre parole.

–J’accepte, répondit-il enfin; me voici votre esclave. et celui de mon honneur!

Les deux adversaires venaient de se toucher la main.

Au demeurant, le corsaire était enchanté, mais surtout parce qu’on avait satisfait au vœu de son enfant.

–Allons! s’écria-t-il en appelant ses serviteurs, allons! Barnabé! François!….. Et toi surtout, Antoinette, qui es céans la véritable maîtresse de maison. qu’on dispose tout pour que sir Arthur ne soit pas trop mécontent de sa prison. Voici bientôt la nuit. On le servira ce soir dans sa chambre.–Vous excuserez, milord!… Nous nous installerons demain plus confortablement, ainsi que l’on dit chez vous, et ce sera, mille tonnerres! à la campagne, à Varangeville! Mais, là comme ici, votre geôlier, le voilà!

Il désignait, il embrassait Marguerite.

Une heure plus tard, elle se retrouva seule avec Antoinette, qui, par extraordinaire, n’avait pas son joyeux sourire.

–Mais qu’as-tu donc? lui demanda sa sœur de lait. Notre nouvel hôte te déplairait-il?… Es-tu fàchée qu’il ait consenti?

–Je ne sais pas, répliqua Toinon, mais peut-être eût-ce été préférable qu’il persistât dans son refus.

–Pourquoi donc?

–Un instinct!

La revanche de Marguerite

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