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VII
DANS LA ROSÉE

Table des matières

Aujourd’hui, tout le monde est allé à Dieppe, tout le monde connaît ce qui reste du manoir édifié par l’amateur légendaire que visita jadis le roi François Ier, son bon maître.

Une cour dont le pavage et la colonnade attestent encore l’opulence; le colombier seigneurial, les tourelles, quelques médaillons, des chapitaux, des pilastres, les ornements des portes et des fenêtres à meneaux, surtout les toits et leurs cheminées, d’une physionomie si curieuse, si originale et si pleine de goût que l’abbé Cochet, cet archéologue normand par excellence, en a dit: «On ne sait lequel admirer le plus, ou de la puissance qui commanda ces merveilles, ou de l’art qui sut les exécuter.»

A l’époque de notre récit, il y a soixante ans, le manoir n’était déjà plus qu’une ruine, une ferme; mais on y pouvait admirer, comme de nos jours, le site, la verdure, les plantes grimpantes, les fleurettes sauvages et les arbustes juchés çà et là parmi les débris, les lichens, les mousses et toute cette végétation pittoresque qui mariant ses caprices à ceux de l’architecture des temps passés, redonne à ces chefs-d’œuvre une nouvelle vie, le prestige du fantastique, ce charme tout-puissant qui fait rêver l’historien, le philosophe, le poëte et l’artiste.

Nos promeneurs n’étaient rien de tout cela. Antoinette et Marguerite connaissaient trop ce paysage pour s’en émouvoir. Sensibles aux harmonies de la nature, elles ne songeaient nullement à les analyser. L’époque, d’ailleurs, ne comportait pas encore ces –grandes admirations romanesques, archéologiques, dont Walter Scott, notre inimitable maître, commençait à propager le goût parmi ses compatriotes. En cette qualité, sir Arthur Gower était le seul qui, devant ces derniers vestiges de la Renaissance, pût en évoquer les souvenirs.

Il ne s’en privait pas. Césaire Heurtebise ne dit, ou plutôt ne répéta que deux mots, mais ils prouvèrent qu’il connaissait aussi l’histoire de son pays. L’Anglais en était venu à rappeler la bataille de Pavie, «journée expiatoire, disait-il, où la France et son présomptueux monarque avaient tout perdu...» Le Français riposta par les termes mêmes du roi chevalier:

–Fors l’honneur!

Au retour, Balidar s’empara de son jeune second.

–C’est l’heure, dit-il, où notre hôte a bien voulu promettre de donner à Rita sa leçon de piano.

–Ah! fit Césaire, milord est musicien?

–Un musicien sans pareil! répondit Antoinette en prenant place auprès du clavecin. Aussi, je reste là… pour avoir le plaisir de l’entendre.

Les deux corsaires disparurent, montant chez le capitaine pour la vérification de certains règlements de comptes.

Déjà ce dernier avait repris sa grimace habituelle en semblable conjoncture; les chiffres l’agaçaient prodigieusement.

Ils produisirent, ce jour-là, le même effet sur le lieutenant. Chaque fois qu’un accord musical arrivait d’en bas jusqu’à son oreille, il s’embrouillait dans ses opérations arithmétiques, et c’était à recommencer.

–Caramba! dit enfin Balidar, allons fumer une pipe au soleil. Nous achèverons ce soir. et l’on te dressera dans ma chambre un hamac. Tu ne partiras que demain matin.

Il en résulta que, sans l’avoir désiré, Heurtebise assista au second concert, et fut contraint de rendre justice au rare talent de l’étranger.

Mais, tout en l’écoutant, c’était vers Marguerite que se fixaient ses yeux. Il constata, non sans déplaisir, l’émotion de la jeune fille, attentive et captivée, charmée, comme en extase.

Et, tandis que Césaire ne regardait qu’elle, c’était lui que regardait Antoinette. On ne l’entendit pas rire ce soir-là.

Les fameux comptes ne se terminèrent qu’assez avant dans la nuit. A plusieurs reprises, la tristesse de son compagnon fut remarquée par Balidar. S’il eût moins profondément sommeillé lui-même, peut-être se serait-il aperçu que Césaire ne fermait pas les yeux.

Le lendemain, dès le chant du coq, celui-ci se disposait à repartir pour Dieppe, et pédestrement, comme il était arrivé la veille.

Personne ne semblait encore réveillé dans la maison. Il ouvrit la porte sans bruit et s’avança de même au dehors. C’était au moment intermédiaire où la nuit s’éloigne, où le jour va venir. On voyait les grands arbres dessiner les contours de leur feuillage sur le ciel déjà transparent. Une buée, légère comme une voile de gaze, blanchissait au-dessus des prairies.

Césaire, pour couper au plus court, devait passer par la ferme. Comme il approchait de la barrière, la voix d’une jeune fille, arrivant à sa rencontre, se mit à gazouiller en même temps que les oiseaux dans les branches:

Il a pour son équipage

Toutes filles de quinze ans.

On vient de reconnaître Antoinette. Bien que logeant au manoir, et dans la chambre de Marguerite, elle s’en allait chaque matin, à son intention, chercher une grande tasse de lait tout chaud. C’était l’ordonnance du médecin.

Ce jour-là, probablement, elle en rapportait davantage, car on voyait, appuyé sur sa hanche, un broc d’étain, brillant comme de l’argent, d’où débordait une mousse aussi blanche que de la neige. Quelques perles de même origine, roulant sur ses bras nus, donnaient à penser que, la mère Simonne n’étant pas encore à son poste, Toinette n’avait pas dédaigné de traire elle-même sa vache favorite. Ah mais! c’est qu’elle s’y connaissait, oui-dà! Son parrain l’appelait, à bon escient, la jolie fermière.

Jolie… elle l’était surtout en ce moment, avec son déshabillé matinal, ses blonds cheveux à demi répandus sur l’épaule, et son mignon visage aussi frais que l’aurore.

Le coloris en devint encore plus vif à l’aspect de Césaire.

–Tiens!….. C’est toi!… Bonjour! lui dit-elle avec un évident plaisir.

Et, déposant son amphore sur l’un des pilastres de la barrière, elle s’y accouda, non moins gracieuse qu’une vierge biblique.

Déjà le jeune corsaire lui serrait les mains.

–Eh bien, quoi! fit-elle, tu ne m’embrasses pas! Je ne suis donc plus la sœur?

–Oh! si fait! toujours! répondit-il en obéissant à l’affectueuse injonction de la fillette.

Un amer sourire effleura les lèvres de celle-ci.

–Tu t’en allais sans nous dire adieu! reprit-elle avec un accent de reproche. Pourquoi ce départ si matinal?

–Une idée! Je ne pouvais plus dormir.

–Comme moi, murmura-t-elle involontairement. Il l’avait entendue.

–Toi! se récria-t-il, avec cette mine souriante et rosée!

–Les roses de mon teint, répondit Antoinette, ne sont pas de celles qui se flétrissent par une nuit blanche.

–Mais, tout à l’heure encore, tu chantais!

–On chante parfois ayant le cœur endolori… comme le tien, mon frère.

–Qui t’a dit?…

–Crois-tu donc que je ne t’observais pas, hier soir! Tu te dépitais, tu souffrais de voir l’ascendant conquis par cet étranger sur l’esprit impressionnable de Marguerite.

Il eut un premier geste de dénégation, mais se ravisant tout à coup:

–Eh bien, oui, dit-il, je te l’avoue, ce gentleman si accompli, si séduisant. et si froid, me semble dangereux pour elle… En la voyant, hier, palpiter sous son regard, je pensais à ces pauvres oiseaux des colonies. que fascine un serpent.

–Pas si haut! l’interrompit-elle, et n’exagérons rien. Je suis là…, je veille!

–Oh! merci! s’écria-t-il en saisissant les deux mains de la jeune fille, qu’il étreignit dans les siennes.

Mais, elle, insensible à cette caresse et les yeux dans ses yeux:

–Ah! murmura-t-elle avec une étrange expression, ah! comme tu l’aimes!

–Moi!

–Ne mens pas, frère! Garde ton secret. Mais sache-le, pour ta consolation, je ne veux pas que tu sois malheureux… Je comprends que tu sois jaloux… Aimer sans qu’on vous aime, ça fait trop de mal!

Il y avait eu, dans l’accent avec lequel Antoinette venait de prononcer ces dernières paroles, une si tendre commisératïon, une si navrante douleur, que Césaire, étonné, lui demanda:

–Souffrirais-tu donc d’une pareille épreuve?

–Oui!

–Toi!….. toi, si avenante, si dévouée, si adorable.

Elle l’interrompit une seconde fois:

–Est ce que tu n’es pas digne d’être aimé, Césaire? Est-ce que tu n’es pas bon comme du bon pain?

–Nomme-moi, poursuivit-il, celui qui n’a pas su te comprendre, t’apprécier. je me charge de lui ouvrir les yeux. Ce ne peut être qu’un aveugle!

Avec un courageux sourire, elle lui répondit:

–Non!… J’ai comme toi ma fierté. Mais notre sœur doit m’attendre. Adieu! Souviens-toi de ma promesse. Il ne faut pas désespérer de l’avenir!

Et, reprenant son fardeau, Toinette se dirigea vers la maison.

Mais, au revers de la haie, certaine qu’il ne pourrait plus la voir, elle s’arrêta pour essuyer sur ses joues deux grosses larmes que, par cette aube matinale, un poëte d’alors eût déclarées comparables à deux gouttes de rosée.

Il n’y paraissait plus l’instant d’après. Déjà la vaillante fille s’était ragaillardi le cœur en se disant:

–Au moins, le voilà quelque peu rassuré. Pauvre garçon!

La revanche de Marguerite

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