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VIII

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Table des matières

Je couchai à l’hôtel du Dauphin, à Yarmouth. M. Barkis vint me chercher à neuf heures du matin. Dès que je fus dans la carriole, M. Barkis monta sur son siège, et le cheval partit à son petit trot accoutumé.

Quel étrange sentiment j’éprouvais! Revenir chez moi, en sentant que je n’y étais pas chez moi, et me voir rappeler par tous les objets qui frappaient mes regards, le bonheur du temps passé qui n’était plus à mes yeux qu’un rêve évanoui!

Le souvenir du temps où ma mère, Peggotty et moi nous ne faisions qu’un, où personne ne venait se placer entre nous, m’assaillit si vivement sur la route, que je n’étais pas bien sûr de ne pas regretter d’être venu si loin, au lieu d’être resté là-bas à oublier tout cela. Mais j’arrivais à la maison; les branches dépouillées des vieux ormes se tordaient sous les coups du vent d’hiver qui emportait sur ses ailes les débris des nids des vieux corbeaux.

Le conducteur déposa ma malle à la porte du jardin et me quitta. Je pris le sentier qui menait à la maison, en regardant à toutes les fenêtres. Je craignais, à chaque pas, d’apercevoir à l’une d’elles le visage rébarbatif de M. Murdstone ou de sa sœur. Je ne vis personne, et, arrivé à la maison, j’ouvris la porte sans frapper. Il ne faisait pas nuit encore, et j’entrai d’un pas léger et timide.

Dieu sait comme mes souvenirs d’enfance se réveillèrent dans mon esprit au moment où j’entrai dans le vestibule, en entendant la voix de ma mère dans le petit salon. Elle chantait à voix basse, comme je l’avais entendue chanter à l’époque où j’étais tout petit enfant, reposant dans ses bras. L’air était nouveau pour moi, et pourtant il me remplit le cœur à pleins bords, et je l’accueillis comme un vieil ami après une longue absence.

Je crus, à la manière pensive et solitaire dont ma mère murmurait sa chanson, qu’elle était seule, et j’entrai doucement. Elle était assise près du feu, allaitant un petit enfant dont elle serrait la main contre son cou. Elle le regardait gaiement et l’endormait en chantant. Elle n’avait pas d’autre compagnie.

Je parlai, elle tressaillit et poussa un cri, puis, m’apercevant, elle m’appela son David, son cher enfant, et, venant au-devant de moi, elle s’agenouilla au milieu de la chambre, et m’embrassa en attirant ma tête sur son sein, près de la petite créature qui y reposait, et elle approcha la main de l’enfant de mes lèvres. Je regrette de ne pas être mort en ce moment-là. Il aurait mieux valu pour moi mourir dans les sentiments dont mon cœur débordait, j’étais plus près du ciel que cela ne m’est jamais arrivé depuis.

« C’est ton frère, dit ma mère en me caressant, David, mon bon garçon, mon pauvre enfant!» Et elle m’embrassait toujours en me tenant contre elle. Elle me tenait encore quand Peggotty entra en courant et se jeta à terre à côté de nous faisant toutes sortes de folies pendant un quart d’heure.

On ne m’attendait pas si tôt; le conducteur avait devancé l’heure ordinaire. J’appris bientôt que M. et miss Murdstone étaient allés faire une visite dans les environs, et qu’ils ne reviendraient que dans la soirée. Je n’avais pas rêvé tant de bonheur. Je n’avais jamais cru possible de retrouver ma mère et Peggotty seules encore une fois, et je me sentis un moment revenu au temps jadis.

Nous dînâmes ensemble au coin du feu. Peggotty voulait nous servir, mais ma mère la fit asseoir et manger avec nous.

Je remarquai que ma mère souriait quand Peggotty la regardait; mais je voyais bien qu’elle avait en général l’air plus sérieux et plus pensif qu’autrefois. J’avais remarqué dès les premiers moments qu’elle était changée. Son visage était toujours charmant, mais il était devenu délicat et soucieux. Ses mains étaient si maigres et si blanches, qu’elles me semblaient presque transparentes.

Après le dîner, Peggotty prit mon petit frère dans son berceau et donna quelques soins à sa toilette. Après cela, elle desservit le dîner; ensuite elle reparut avec un autre bonnet, sa boîte à ouvrage, son mètre, le morceau de cire pour lisser le fil, tout enfin comme par le passé.

Après le thé, Peggotty attisa le feu et moucha les chandelles, et je fis la lecture d’un chapitre du livre sur les crocodiles. Elle avait tiré le volume de sa poche; je crois, en vérité, qu’elle l’avait gardé là depuis mon départ. Nous étions très heureux, et cette soirée, la dernière de son espèce, celle qui a terminé une page de ma vie, ne s’effacera jamais de ma mémoire.

Il était près de dix heures quand nous entendîmes un bruit de roues. Ma mère me dit, en se levant précipitamment, qu’il était bien tard; que M. et miss Murdstone tenaient à voir les enfants se coucher de bonne heure; que par conséquent je ferais bien de monter dans ma chambre. Je ne me le fis pas dire deux fois. Il me semblait en entrant dans la chambre où j’avais été emprisonné, qu’il venait d’entrer dans la maison avec M. et miss Murdstone un souffle de vent froid, qui avait emporté comme une plume la douce intimité du foyer.

J’étais très mal à mon aise, le lendemain matin, à l’idée de descendre pour le déjeuner, n’ayant jamais revu M. Murdstone depuis le jour mémorable de mon crime. Il fallait pourtant prendre mon parti, et après être descendu deux ou trois fois jusqu’au milieu de l’escalier pour remonter ensuite précipitamment dans ma chambre, j’entrai dans la salle à manger.

Il était debout près du feu, miss Murdstone faisait le thé. Il me regarda fixement, mais sans faire mine de me reconnaîtr

Après un instant d’hésitation, je m’avançai vers lui en disant:

« Je vous demande pardon, monsieur, je suis bien fâché de ce que j’ai fait, et j’espère que vous voudrez bien me pardonner.

— Je suis bien aise d’apprendre que vous soyez fâché, Davy.»

Il me donna la main, celle que j’avais mordue. Je ne pus m’empêcher de jeter un regard sur une marque rouge qu’elle portait encore, mais je devins plus rouge que la cicatrice, en voyant l’expression sinistre de son visage.

« Comment vous portez-vous, mademoiselle? demandai-je à miss Murdstone.

— Ah! dit miss Murdstone, en soupirant et en me tendant la pince à sucre au lieu de ses doigts, combien de temps dureront les congés?

— Un mois, mademoiselle.

— A partir de quel jour?

— A partir d’aujourd’hui, mademoiselle.

— Oh! dit miss Murdstone, alors, voilà déjà un jour de passé.»

Tous les matins elle marquait sur le calendrier le jour écoulé. Elle soupirait tristement en accomplissant cette opération, tant qu’elle ne fut pas arrivée à dix. Elle reprit courage en voyant deux chiffres, et vers la fin des vacances, elle était gaie comme un pinson.

Dès le premier jour j’eus le malheur de la jeter dans une profonde consternation, et Dieu sait cependant si elle était sujette à de pareilles faiblesses. J’étais donc entré dans la chambre où elle travaillait avec ma mère; mon petit frère, qui n’avait encore que quelques semaines, était couché sur les genoux de ma mère, je le pris tout doucement dans mes bras. Tout d’un coup miss Murdstone poussa un tel cri que je laissai presque tomber mon fardeau.

« Ma chère Jane! s’écria ma mère.

— Grand Dieu! Clara, voyez-vous? cria miss Murdstone.

— Quoi? ma chère Jane? Où voyez-vous quelque chose?

— Il l’a pris, criait miss Murdstone; ce garçon tient l’enfant.»

Elle était pétrifiée d’horreur, mais elle se ranima pour se précipiter sur moi et me reprendre mon petit frère. Après quoi elle se trouva mal, et on fut obligé de lui apporter des cerises à l’eau-de-vie. Il me fut formellement défendu de toucher désormais à mon petit frère, sous aucun prétexte, et ma pauvre mère, qui pourtant n’était pas de cet avis, confirma doucement l’interdiction en di sant:

« Sans doute, vous avez raison, ma chère Jane.»

Je n’étais pas en faveur auprès de miss Murdstone; du reste je n’étais à l’aise avec personne; car ceux que j’aimais ne pouvaient me le témoigner, et ceux qui ne m’aimaient pas le montraient si clairement que je me sentais toujours embarrassé, gauche et stupide.

Mais je sentais aussi que je rendais le malaise qu’on me faisait éprouver. Si j’entrais dans la chambre pendant que l’on causait, ma mère qui, le moment d’auparavant, semblait gaie, devenait triste et silencieuse. Si M. Murdstone était de belle humeur, je le gênais. Si miss Murdstone était de mauvaise humeur, cette mauvaise humeur s’accroissait par le seul effet de ma présence. Je sentais d’instinct que tout retombait sur ma mère. Je voyais qu’elle n’osait me parler ou me témoigner son affection, de peur de les blesser et de recevoir ensuite quelque réprimande. Au moindre mouvement que je faisais, elle interrogeait leurs regards. Aussi pris-je le parti de me tenir à l’écart le plus possible. Je passai ainsi de longues soirées d’hiver, seul dans ma chambre où je lisais sans relâche, enveloppé dans mon petit manteau.

Quelquefois, le soir, je descendais à la cuisine pour voir Peggotty. Je me trouvais bien là, et je n’y éprouvais aucun embarras. Mais ni l’un ni l’autre de mes expédients ne convenaient aux habitants du salon. L’humeur tracassière qui gouvernait la maison ne s’en accommodait pas. On me regardait encore comme nécessaire pour l’éducation de ma pauvre mère, et, en conséquence, on ne pouvait me permettre de m’absenter.

« David, me dit M. Murdstone après le dîner, au moment où j’allais me retirer comme à l’ordinaire, je sais que vous êtes d’un caractère boudeur, et j’en suis bien fâché pour vous.

— Je vous demande pardon, monsieur, murmurai-je, je n’ai pas eu l’intention de bouder depuis mon retour.

— N’ayez pas recours au mensonge,» dit-il d’un ton si irrité que je vis ma mère avancer involontairement une main tremblante, comme pour nous séparer. «Vous vous êtes retiré dans votre chambre par humeur. Vous savez, maintenant une fois pour toutes, que je veux que vous vous teniez ici, et non là-haut. De plus je désapprouve votre goût pour la compagnie de mistress Peggotty, et j’entends que vous y renonciez. Maintenant, David, vous me comprenez, et vous savez quelles seraient les conséquences de votre désobéissance.»

Je le savais bien, mieux peut-être qu’il ne s’en doutait, pour ce qui regardait ma pauvre mère, et je lui obéis à la lettre. Je ne cherchais plus un refuge auprès de Peggotty, mais je restais tristement dans le salon tout le jour, en soupirant après la nuit, pour aller me coucher.

Les vacances se traînèrent ainsi péniblement jusqu’au matin où miss Murdstone s’écria, en me donnant la dernière tasse de thé pour la clôture: «Voilà le dernier jour!»

Je n’étais pas fâché de partir. J’étais tombé dans un état d’abrutissement dont je ne sortais un peu qu’à l’idée de revoir Steerforth, quoique M. Creakle apparût au second plan dans le paysage. M. Barkis se trouva de nouveau devant la grille, et miss Murdstone répéta: «Clara!» de sa voix la plus sévère, au moment où ma mère se penchait vers moi, pour me dire adieu.

Je l’embrassai, ainsi que mon petit frère, et je me sentais bien triste, non de les quitter pourtant, car un gouffre s’était creusé entre eux et moi, et la séparation avait eu lieu, pour ainsi dire, tous les jours. Quelque tendre que fût le baiser de ma mère, il n’est pas aussi présent à ma mémoire que ce qui suivit nos adieux.

J’étais déjà dans la carriole du conducteur, lorsque j’entendis ma mère qui m’appelait. Je regardai. Elle était seule à la grille du jardin, élevant dans ses bras son petit enfant pour me le montrer. Il faisait froid, mais le temps était calme; pas un de ses cheveux, pas un ph de sa robe ne bougeait, pendant qu’elle me regardait fixement en me montrant son enfant.

David Copperfield

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