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VI

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Un jour, M. Mell m’annonça que M. Creakle arriverait le soir. Après le thé, j’appris qu’il était arrivé ; avant l’heure du coucher, l’homme à la jambe de bois vint me sommer de comparaître devant lui.

« Ah! dit M. Creakle, voilà le jeune homme dont il faut limer les dents. Faites-le retourner.»

L’homme à la jambe de bois me retourna de façon à montrer le placard, puis il me plaça en face du maître de pension, et se mit à côté de lui. M. Creakle avait l’air féroce; ses yeux étaient petits et très enfoncés; il avait de grosses veines sur le front, un petit nez et un menton très large. Ce qui me fit le plus d’impression, c’est qu’il n’avait presque pas de voix, et parlait toujours tout bas. Je ne sais si c’est parce qu’il avait de la peine à parler même ainsi ou parce que le sentiment de son infirmité l’irritait, mais toutes les fois qu’il disait un mot, son visage prenait une expression encore plus méchante et ses veines se gonflaient.

« Venez ici, monsieur! dit M. Creakle en me faisant un geste de la main. J’ai l’honneur de connaître votre beau-père, murmura-t-il en m’empoignant l’oreille. C’est un digne homme, un homme énergique. Il me connaît, et moi je le connais. Me connaissez-vous, vous? hein! ajouta-t-il en me pinçant l’oreille avec un enjouement féroce.

— Pas encore, monsieur, dis-je en gémissant.

— Pas encore? hein? reprit M. Creakle. Cela viendra, hein?

— Cela viendra, hein!» répéta l’homme à la jambe de bois.

Je découvris plus tard que son timbre retentissant lui procurait l’honneur de servir d’interprète à M. Creakle auprès de ses élèves.

J’étais horriblement effrayé, et je me sentais l’oreille toute en feu; il la pinçait si fort!

« Je vais vous dire ce que je suis, murmura M. Creakle en lâchant enfin mon oreille, mais seulement après l’avoir tordue de façon à me faire venir les larmes aux yeux. Je suis un Tartare!

— Un Tartare! répéta l’homme à la jambe de bois.

— Quand je dis que je ferai une chose, je la fais, reprit M. Creakle; et quand je dis qu’il faut faire une chose, je veux qu’on la fasse!

— Qu’il faut faire une chose, je veux qu’on la fasse, répéta l’homme à la jambe de bois.

— Emmenez-le,» dit enfin M. Creakle.

J’étais fort content d’être congédié ; mais j’avais à lui adresser une pétition qui avait pour moi tant d’intérêt, que je ne pus m’empêcher de lui dire, en admirant mon propre courage:

« S’il vous plaît, monsieur.»

M. Creakle murmura: «Hein? Qu’est-ce que cela veut dire?» Et il abaissa ses yeux sur moi, comme s’il avait envie de me foudroyer d’un regard.

— Si vous vouliez bien, monsieur, balbutiai-je, si je pouvais... je suis bien fâché de ce que j’ai fait, monsieur..., ôter cet écriteau avant le retour des élèves.»

Je ne sais pas si M. Creakle eut réellement envie de sauter sur moi, ou s’il avait seulement l’intention de m’effrayer, mais il s’élança de son fauteuil et je partis comme un trait, sans attendre l’homme à la jambe de bois. Je ne m’arrêtai qu’au dortoir; je me fourrai bien vite dans mon lit, où je restai à trembler pendant plus de deux heures.

Le lendemain matin M. Sharp revint. M. Sharp était le second de M. Creakle, le supérieur de M. Mell. M. Mell prenait ses repas avec les élèves, mais M. Sharp dînait et soupait à la table de M. Creakle. C’était un petit monsieur à l’air délicat, avec un très grand nez; il portait sa tête de côté, comme si elle était trop lourde pour lui. Ses cheveux étaient longs et ondulés, mais j’appris par le premier élève qui rentra que M. Sharp portait perruque. C’était même une perruque d’occasion: M. Sharp sortait tous les samedis pour la faire boucler.

L’élève qui me donna ces renseignements, en échange d’une foule d’explications qu’il me demanda sur ma famille et sur mes antécédents, se nommait Tommy Traddles. Et, par parenthèse, c’était le meilleur garçon du monde.

JE SUIS UN TARTARE.


Ce fut très heureux pour moi que Traddles revînt le premier. Mon écriteau l’amusa tellement, qu’il m’épargna l’embarras de le montrer ou de le dissimuler, en me présentant à tous les élèves, à mesure qu’ils arrivaient. Grands ou petits, il leur criait: «Venez vite! voilà une bonne farce!» Par bonheur aussi, la plupart des enfants revenaient tristes et abattus, et moins disposés à s’amuser à mes dépens que je ne l’avais craint. Il y en avait bien quelques-uns qui sautaient autour de moi comme des sauvages. Bien peu résistaient à la tentation de faire comme si j’étais un chien dangereux. Ils venaient me caresser et me cajoler comme si j’étais sur le point de les mordre, puis ils disaient: «A bas, monsieur!» Et ils m’appelaient« Castor». C’était naturellement fort ennuyeux pour moi, au milieu de tant d’étrangers, et cela me coûta bien des larmes; mais, à tout prendre, j’avais redouté pis.

On ne me regarda comme définitivement admis dans la pension qu’après l’arrivée de certain F. Steerforth. On m’amena devant lui comme devant mon juge. Il avait la réputation d’être très instruit et il était très beau garçon: il avait au moins six ans de plus que moi. Il s’enquit, sous un petit hangar, dans la cour, des détails de mon châtiment, et voulut bien déclarer que, selon lui, «c’était une fameuse infamie,» ce dont je lui sus éternellement gré.

J’appris de mes nouveaux condisciples que M. Creakle avait bien raison de déclarer qu’il était un Tartare. C’était le plus dur et le plus sévère des maîtres; pas un jour ne s’écoulait sans qu’il vînt châtier de sa propre main les élèves pris en faute. Il ne savait absolument rien autre chose que punir, disait Steerforth. Il était plus ignorant que le plus mauvais élève. Il s’était fait maître de pension, à ce que l’on disait, après avoir fait banqueroute dans un faubourg de Londres, comme marchand de houblon. Il n’avait pu se tirer d’affaire que grâce à la fortune de mistress Creakle. Sans compter bien d’autres choses que je m’étonnais qu’ils pussent savoir.

Mais ce qui m’étonna le plus, ce fut d’entendre dire qu’il y avait un élève sur lequel M. Creakle n’avait jamais osé porter la main, et que cet élève était Steerforth.

J’appris que M. Sharp et M. Mell ne recevaient qu’un misérable salaire; que, lorsqu’il y avait sur la table de M. Creakle de la viande chaude et de la viande froide, il était convenu que M. Sharp devait toujours préférer la froide. Ce fait nous fut de nouveau confirmé par Steerforth, le seul élève qui fût admis à la table de M. Creakle. J’appris que la perruque de M. Sharp n’allait pas à sa tête, et qu’il ferait mieux de ne pas tant faire son fier avec sa perruque, parce qu’on voyait ses cheveux roux dépasser par en dessous.

J’appris enfin que M. Mell était un assez bon garçon, mais qu’il était pauvre comme Job.

David Copperfield

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