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IX

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C’était environ deux mois après mon retour à Salem-House. Nous venions de rentrer de la récréation, quand M. Sharp arriva et dit:

« Que David Copperfield descende au parloir!» Je m’attendais à un panier de provisions de la part de Peggotty, et mon visage s’illumina de plaisir. Quelques-uns de mes camarades me recommandèrent de ne pas les oublier dans la distribution des bonnes choses, dont l’eau nous venait à la bouche, au moment où je me levai vivement de ma place.

« Ne vous pressez pas tant, David, dit M. Sharp, vous avez le temps, mon garçon, ne vous pressez pas.»

J’aurais dû être surpris du ton avec lequel me parlait M. Sharp, si j’avais pris le temps d’y réfléchir, mais je n’y pensai que plus tard. Je descendis précipitamment au parloir. M. Creakle était assis à table et déjeunait, sa canne et son journal devant lui; mistress Creakle tenait à la main une lettre ouverte. Mais de panier, point.

« David Copperfield, dit mistress Creakle en me conduisant à un canapé, et en s’asseyant près de moi, j’ai besoin de vous parler, j’ai quelque chose à vous dire, mon enfant.»

M. Creakle, que je regardais naturellement, hocha la tête sans lever les yeux sur moi, et étouffa un soupir en avalant un gros morceau de pain et de beurre.

« Vous êtes trop jeune, me dit mistress Creakle, pour savoir comment le monde change tous les jours, et comment les gens qui l’habitent disparaissent. Mais c’est une chose que nous devons apprendre tous, David, les uns pendant leur jeunesse, les autres quand ils sont vieux, d’autres toute leur vie.»

Je la regardai avec attention.

« Quand vous êtes revenu ici après les vacances, dit mistress Creakle après un moment de silence, tout le monde se portait-il bien chez vous?» Après une pause, elle reprit: «Votre maman était-elle bien?»

Je tremblais sans savoir pourquoi, et je la regardais fixement sans avoir la force de répondre.

« Parce que, reprit-elle, j’ai appris ce matin, j’ai le regret de vous le dire, que votre maman était très malade.»

Un brouillard s’éleva entre mistress Creakle et moi, et, pendant un moment, elle disparut à mes yeux. Puis je sentis des larmes brûlantes couler le long de mon visage, et je la revis devant moi.

« Elle est en grand danger, ajouta-t-elle.

Je savais déjà tout.

« Elle est morte.»

Il n’était pas nécessaire de me le dire; j’avais déjà poussé le cri de l’orphelin, et je me sentais seul au monde. Mon petit frère était. mort aussi, presque en même temps que notre pauvre maman.

Mistress Creakle fut pleine de bonté pour moi. Elle me garda près d’elle tout le jour. Je pleurais, puis je m’endormais de fatigue, pour me réveiller et pleurer encore. Quand je ne pouvais plus pleurer, je commençais à penser, et le poids qui m’étouffait pesait plus lourdement sur mon âme, et mon chagrin devenait une douleur sourde que rien ne pouvait soulager.

Je quittai la pension le lendemain dans l’après-midi, ne me doutant guère que je n’y reviendrais jamais.

Ce fut Peggotty qui m’accueillit à mon arrivée à la maison. Je me trouvai dans ses bras avant d’arriver à la porte. Son chagrin éclata d’abord à ma vue, mais elle le dompta bientôt; elle se mit à parler tout bas et à marcher doucement, comme si elle avait craint de réveiller les morts. J’appris qu’elle ne s’était pas couchée depuis bien longtemps, elle veillait encore toutes les nuits. Tant que sa pauvre chérie n’était pas en terre, disait-elle, elle ne pouvait pas se résoudre à la quitter.

M. Murdstone ne fit pas attention à moi quand j’entrai dans le salon où il était assis auprès du feu, pleurant en silence et réfléchissant à l’aise dans son fauteuil. Miss Murdstone écrivait sur son pupitre, qui était couvert de lettres et de papiers. Elle me tendit le bout des doigts, et me demanda d’un ton glacial si on m’avait pris mesure pour mes habits de deuil.

« Oui.»

On m’avait pris mesure en effet, à mon passage à Yarmouth.

« Et vos chemises, reprit miss Murdstone, les avez-vous rapportées?

— Oui, mademoiselle, j’ai toutes mes affaires avec moi.»

Ce fut toute la consolation que m’offrit sa fermeté.

Je vis à peine Peggotty pendant les jours qui précédèrent l’enterrement. Mais quand tout fut fini au cimetière, elle vint dans ma chambre, pour me parler de ma mère et de mon petit frère.

« La dernière nuit, me dit-elle, votre chère maman m’embrassa et me dit: «Si mon petit enfant meurt aussi, Peggotty, je vous prie de le mettre dans mes bras, et je désire qu’on nous enterre ensemble. (C’est ce qu’on a fait, car le pauvre enfant ne lui a survécu que d’un jour.) Que mon David nous accompagne à notre lieu de repos, et dites-lui bien que sa mère, à son lit de mort, l’a béni mille fois.»

Un silence suivit ces paroles; Peggotty me caressait tendrement.

« La nuit était avancée, reprit-elle, quand cette pauvre chérie me demanda à boire, et après avoir bu, elle me sourit d’un sourire si doux!

« Le jour commençait et le soleil se levait; elle me dit alors que M. Copperfield avait toujours été bon et indulgent pour elle; qu’il était doux et patient. Il lui avait dit souvent, quand elle doutait d’elle-même, qu’un cœur aimant vaut mieux que toute la sagesse du monde, et qu’elle le rendait bien heureux. «Peggotty, ma chère, ajouta-t-elle, approchez-moi de vous (elle était très faible), mettez votre bras sous mon cou, et tournez-moi de votre côté ; votre visage s’éloigne de moi, et je veux le voir.

« Je fis ce qu’elle me demandait: alors elle a posé sa pauvre tête sur le bras de sa vieille Peggotty, et elle est morte comme un enfant s’endort.»

David Copperfield

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