Читать книгу David Copperfield - Charles Dickens - Страница 13
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ОглавлениеLe premier acte d’autorité par lequel débuta miss Murdstone, quand le jour solennel fut passé, et que la lumière eut retrouvé son libre accès au travers des fenêtres, fut de prévenir Peggotty qu’elle eût à quitter la maison dans un mois. Malgré la répugnance qu’aurait ressentie Peggotty à servir les Murdstone, je crois qu’elle l’aurait fait par amour pour moi. Mais enfin, se voyant remerciée, elle me dit qu’il fallait nous quitter et pourquoi; nous nous lamentâmes de concert, en toute sincérité.
Quant à moi et à l’avenir qui m’était réservé, je n’en entendais pas dire un mot, je ne voyais pas faire une seule démarche. Ils auraient bien voulu, je pense, pouvoir se débarrasser de moi, comme de Peggotty, avec un mois de gages. Je rassemblai un soir tout mon courage, pour demander à miss Murdstone quand je retournerais à la pension. Elle me répondit sèchement qu’elle pensait que je n’y retournerais pas. Ce fut tout. J’étais très inquiet de savoir ce qu’on allait faire de moi; Peggotty s’en préoccupait aussi; mais ni elle ni moi nous ne pouvions obtenir le moindre renseignement à ce sujet.
« Peggotty, dis-je un soir d’un ton pensif, en me chauffant les mains devant le feu de la cuisine, M. Murdstone m’aime encore moins qu’autrefois. Il ne m’aimait déjà pas beaucoup, Peggotty, mais maintenant il voudrait bien ne plus jamais me voir, s’il pouvait,
— Peut-être cela vient-il de son chagrin, dit Peggotty, en me passant la main sur les cheveux.
— J’ai pourtant aussi du chagrin, Peggotty; si je croyais que cela vînt de son chagrin, je n’y penserais pas. Mais non, ce n’est pas cela, ce n’est pas cela,
— Comment le savez-vous? reprit Peggotty après un moment de silence.
— Oh! son chagrin n’est pas du tout comme le mien. En ce moment il est triste, assis au coin du feu avec miss Murdstone; mais si j’entrais, Peggotty, il serait...
— Quoi donc? demanda Peggotty.
— En colère, répondis-je, et j’imitai involontairement le froncement de ses sourcils. S’il n’était que triste, il ne me regarderait Pas comme il fait. Moi, je suis triste aussi, mais il me semble que ma tristesse me dispose plutôt à la bienveillance.»
Peggotty garda le silence un moment, et je me chauffai les mains sans rien dire non plus.
« David, dit-elle enfin.
— Eh bien, Peggotty?
— J’ai essayé, mon cher enfant, j’ai essayé de toutes les manières, de tous les moyens connus et inconnus, pour trouver du service ici, à Blunderstone; mais, mon chéri, il n’y a rien du tout qui puisse me convenir.
— Et que comptez-vous faire, Peggotty? lui demandai-je tristement; où comptez-vous aller?
— Je crois que je serai obligée d’aller vivre à Yarmouth, répondit Peggotty. Ce n’est pas à l’autre bout du monde; et tant que vous serez ici, mon chéri, je viendrai vous voir une fois par semaine.»
Cette promesse m’ôta une grande inquiétude; mais ce n’était pas tout: Peggotty continua:
« Je vais d’abord chez mon frère, voyez-vous, David, passer une quinzaine de jours, à me reconnaître, et à me remettre un peu. Maintenant, voici l’idée qui m’est venue: comme on n’a pas grand besoin de vous ici, on pourrait peut-être aussi vous laisser venir avec moi.»
En ce moment miss Murdstone apparut; elle venait faire sa tournée du soir, à tâtons dans l’office, pendant que nous causions encore. Peggotty entama la question avec une hardiesse dont je fus tout surpris.
« Il perdra son temps là-bas, répondit miss Murdstone en regardant dans un bocal de cornichons, et l’oisiveté est la mère de tous les vices. Mais il n’en ferait pas davantage ici ou ailleurs, c’est mon avis. Cependant il y a une chose plus importante que tout le reste, c’est que mon frère ne soit ni dérangé ni contrarié. Ainsi donc, je suppose que je ferai aussi bien de dire oui.»
A la fin du mois accordé à Peggotty, nous partîmes sous la conduite de M. Barkis. Je remarquai, que, tout le long du chemin, M. Barkis fut aux petits soins auprès de Peggotty.
Enfin, nous voilà devant la maison de M. Peggotty. Elle n’avait pas changé ; seulement je la trouvai une idée plus petite qu’autrefois. Mistress Gummidge était debout à la porte, comme si elle n’avait pas bougé de là depuis ma dernière visite: l’intérieur n’avait pas subi plus de changements que l’extérieur. La petite cruche bleue de ma chambre était toujours garnie de plantes marines. Je fis un tour sous le hangar, et j’y retrouvai dans leur coin accoutumé les homards, les crabes et les écrevisses. Mais je n’apercevais pas la petite Émilie; je demandai à M. Peggotty où je pourrais la trouver.
« Elle est à l’école, monsieur,» me répondit M. Peggotty, en s’essuyant le front, après avoir déposé la malle de sa sœur; il ajouta, en regardant l’horloge: «Elle sera ici dans vingt minutes, dans une demi-heure au plus. Nous nous apercevons tous de son absence, je vous en réponds.»
Mistress Gummidge soupira.
« Allons! allons! mère Gummidge! cria M. Peggotty.
— Je m’en aperçois plus que personne, dit mistress Gummidge; je suis une pauvre femme perdue sans ressource, et c’était la seule personne avec laquelle je n’eusse pas de contrariété.»
Mistress Gummidge, toujours gémissant et secouant la tête, se mit à souffler le feu. Profitant de ce qu’elle était ainsi occupée, M. Peggotty se tourna de mon côté, et me dit à voix basse, en mettant sa main devant sa bouche: «Elle pense à l’ancien!» Cette confidence me fit supposer avec raison que le caractère de mistress Gummidge ne s’était nullement amendé depuis ma dernière visite.
La maison était, ou du moins elle devait être aussi charmante que par le passé, et pourtant elle ne me produisait pas la même impression. J’étais un peu désappointé. Cela tenait peut-être à l’absence de la petite Émilie. Enfin elle revint; mais il me sembla que nous n’étions plus aussi bons camarades; elle prenait certainement plaisir à me taquiner et à me contrarier.
Tout le monde la gâtait, M. Peggotty plus tous les autres. Elle lui faisait faire tout ce qu’elle voulait, rien qu’en approchant sa joue de ses gros favoris.
Quoique taquine, elle était bonne et compatissante. Quand M. Peggotty, tout en fumant sa pipe, le soir, auprès du feu, fit allusion à la cruelle épreuve que je venais de subir, les yeux d’Émilie se remplirent de larmes, et elle me regarda avec tant de bonté, que je lui en fus très reconnaissant.
« Ah! dit M. Peggotty en prenant dans sa mais les boucles de sa petite Emilie et en les laissant retomber une à une, voilà une orpheline, voyez-vous, monsieur! Et voilà un orphelin! continua-t-il, en donnant à Cham, du revers de son poing, un coup vigoureux dans la poitrine, quoiqu’il n’en ait guère l’air.
— Monsieur Peggotty, dis-je en secouant la tête, si je vous avais pour tuteur, je crois que je ne me sentirais guère orphelin non plus.
— Bien dit, monsieur David! s’écria Cham avec enthousiasme. Hourra! bien dit! Vous avez bien raison!» Et il rendit à M. Peggotty son coup de poing; la petite Émilie se leva pour embrasser ce brave homme.
J’occupais mon ancien petit lit à la poupe du bateau, où le vent sifflait, comme autrefois. Mais je ne pouvais m’empêcher de penser qu’il gémissait sur ceux qui n’étaient plus.
Pendant mon séjour à Yarmouth, ma Peggotty à moi épousa M. Barkis, le conducteur, qui lui avait plusieurs fois demandé sa main. Cette fois-là, elle s’était décidée, et même un peu brusquement; mais je vis bien que ce qui l’avait décidée surtout, c’était le désir d’avoir un abri à m’offrir en cas de besoin.
Le lendemain du mariage, je quittai le bateau, et j’allai coucher chez Peggotty, dans une petite chambre en mansarde, qui était pour moi et que l’on me garderait toujours dans le même état. Le livre sur les crocodiles était posé sur une planche, à côté de mon lit.
« Jeune ou vieille, dit Peggotty, tant que je vivrai, et que ce toit sera sur ma tête, je vous garderai votre chambre comme si vous deviez arriver à l’instant même. J’en prendrai soin tous les jours, mon chéri, comme je faisais autrefois, et quand bien même vous seriez en Chine, vous pourriez être sûr que votre chambre resterait dans le même état, tout le temps de votre absence.»
Je ressentais profondément la fidèle tendresse de ma chère bonne et je la remerciai du mieux que je pus, c’est-à-dire assez à la hâte, car le temps me manquait. C’était le matin qu’elle me parlait ainsi en me tenant embrassé, et c’est le matin même que je devais retourner au logis, dans la carriole, avec elle et M. Barkis. Il me déposèrent à la grille du jardin; nous nous séparâmes avec beaucoup de peine. J’eus le cœur bien gros quand je vis s’éloigner la carriole qui emmenait Peggotty, pendant que je restais là tout seul sous les vieux ormes, en face de cette maison où il n’y avait plus personne pour m’aimer.
Je tombai alors dans un état d’abandon auquel je ne puis penser sans compassion. Je vivais à part, tout seul, sans que personne fit attentoin à moi, éloigné de la société des enfants de mon âge, et n’ayant pour toute compagnie que mes tristes pensées, qui semblent encore jeter leur ombre sur ce papier, pendant que j’écris.
Que n’aurais-je pas donné pour être envoyé dans une pension, quelque sévèrement tenue qu’elle pût être, pour apprendre quelque chose, n’importe quoi, n’importe comment! Mais je n’avais pas cette espérance; on ne m’aimait pas, et on me négligeait volontairement, avec persévérance et cruauté. Je crois que les affaires de M. Murdstone étaient fort embarrassées, et de plus, il ne pouvait me souffrir, et il essayait, en m’abandonnant à moi-même, de se débarrasser de l’idée que j’avais quelques droits sur lui... Il y réussit.
Un jour il me dit: «Vous savez, je suppose, que je ne suis pas riche. En tous cas, si vous l’ignorez, je vous l’apprends. Vous avez déjà reçu une éducation dispendieuse. Les pensions sont chères. Même s’il n’en était pas ainsi, même si j’étais en état de subvenir à cette dépense, je trouve qu’il ne serait pas avantageux pour vous de rester en pension. Vous aurez à lutter pour l’existence, et plus tôt vous commencerez, mieux cela vaudra!»
Je pensai en moi-même que j’avais commencé à payer mon triste tribut de souffrances.
« Vous avez quelquefois entendu parler de la maison de commerce, reprit M. Murdstone.
— La maison de commerce, monsieur? répétai-je.
— Oui, la maison Murdstorne et Grinby, dans le négoce des vins,» répondit-il.
Je suppose que j’eus l’air d’hésiter, car il continua précipitamment:
« Vous avez entendu parler de la maison, ou des affaires, ou des caves, ou de quelque chose d’analogue?
— Il me semble que j’ai entendu parler des affaires, dis-je, en me rappelant ce que j’avais vaguement appris sur les ressources de sa sœur et les siennes, mais je ne sais quand.
— Peu importe, répondit-il, c’est mon ami M. Quinion, ici présent, qui dirige ces affaires.»
Je jetai un coup d’œil respectueux sur M. Quinion, qui regardait par la fenêtre.
« Il dit que l’on emploie plusieurs jeunes garçons dans la maison, et qu’il ne voit pas pourquoi vous n’y trouveriez pas de l’occupation aux mêmes conditions.
— S’il n’a point d’autre ressource, Murdstone,» fit observer M. Quinion à demi-voix, en se tournant de notre côté.
M. Murdstone, avec un geste d’impatience, continua, sans tenir compte de l’observation.
« Ces conditions, c’est que vous gagnerez votre nourriture, avec un peu d’argent de poche. Quant à votre logement, je m’en suis déjà occupé ; c’est moi qui le payerai. Je me chargerai aussi de votre blanchissage...
— Jusqu’à concurrence d’une somme que je déterminerai, dit sa sœur.
— Je vous fournirai aussi l’habillement, reprit M. Murdstoile, puisque vous ne serez pas encore en état d’y pourvoir. Vous allez donc à Londres avec M. Quinion, David, pour commencer à vous tirer d’affaire vous-même.
— En un mot, vous voilà pourvu, fit observer sa sœur; à présent, tâchez de remplir vos devoirs.»