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V
ОглавлениеNous n’avions pas fait un demi-mille, et mon mouchoir était tout trempé, quand M. Barkis, le voiturier, s’arrêta brusquement..
Je levai les yeux pour savoir ce qu’il y avait, et je vis, à mon grand étonnement, Peggotty sortir de derrière une haie et grimper dans la carriole.
Elle commença par m’embrasser sans dire un mot. Ensuite elle plongea son bras jusqu’au coude dans sa poche, en tira quelques sacs remplis de gâteaux qu’elle fourra dans les miennes, plus une bourse qu’elle me mit dans la main, toujours sans dire un mot. Après m’avoir de nouveau serré dans ses bras, elle redescendit de la carriole.
Après avoir pleuré toutes les larmes de mes yeux, je commençai à réfléchir que cela ne servirait à rien de pleurer plus longtemps, d’autant plus que le capitaine un tel de la marine royale n’avait jamais, à ma connaissance, pleuré dans les circonstances les plus critiques.
Je passai ensuite à l’examen de ma bourse. Elle était d’un cuir épais, avec un fermoir, et contenait trois shillings bien luisants que Peggotty avait évidemment polis et repolis avec soin pour ma plus grande satisfaction. Mais ce qu’elle contenait de plus précieux, c’étaient deux demi-couronnes enveloppées dans un morceau de papier, sur lequel ma mère avait écrit: «Pour Davy, avec toutes mes tendresses.»
Je finis par m’endormir et mon sommeil dura jusqu’à Yarmouth. La ville me parut si nouvelle et si inconnue dans l’hôtel où nous nous arrêtâmes, que je renonçai aussitôt à l’espoir d’y rencontrer quelque membre de la famille Peggotty.
La diligence était dans la cour, parfaitement propre et reluisante, mais on n’y avait pas encore attelé les chevaux, et, dans cet état, il me semblait impossible qu’elle pût jamais aller jusqu’à Londres. Je réfléchissais sur ce fait, et je me demandais ce que deviendrait définitivement ma malle, que M. Barkis avait déposée dans la cour, après avoir fait tourner sa carriole, et ce que je deviendrais moi-même, lorsqu’une dame mit la tête à une fenêtre où étaient suspendus quelques gigots et quelques volailles et me dit:
JE VIS PEGGOTTY SORTIR DE DERRIÈRE UNE HAIE.
« Êtes-vous le petit monsieur qui vient de Blunderstone?
— Oui, madame, répondis-je.
— Votre nom?
— Copperfield.
— Ce n’est pas ça, reprit la dame. On n’a pas commandé de dîner pour une personne de ce nom.
— Madame, dis-je, est-ce Murdstone?
— Si vous êtes le jeune Murdstone, grommela la dame, pourquoi commencez-vous par me dire un autre nom?»
Je lui appris ce qu’il en était; elle sonna et cria: «William, montrez à monsieur la salle à manger.» Sur quoi un garçon arriva en courant de la cuisine qui était à l’autre bout de la cour, et parut très surpris de voir que c’était pour moi seul qu’on le dérangeait.
Il me servit un copieux dîner, auquel je touchai à peine. Il le mangea à ma place, avec mon autorisation. Mais ce qui me parut très mal de sa part, c’est qu’il fit croire à tout le monde que j’avais dévoré le dîner à moi tout seul, et fut le premier à se moquer de ma prétendue voracité.
Nous quittâmes Yarmouth à trois heures de l’après-midi, et nous arrivâmes à Londres le lendemain matin à huit heures. Nous descendîmes à un hôtel situé sur la paroisse de White-Chapel. J’ai oublié si c’était le Taureau bleu ou le Sanglier bleu, mais ce que je sais, c’est que c’était un animal bleu, et que cet animal était aussi représenté sur le derrière de la diligence.
En descendant, le conducteur fixa les yeux sur moi, et dit, à la porte du bureau:
« Y a-t-il ici quelqu’un qui demande un jeune garçon inscrit au registre sous le nom de Murdstone, venant de Blunderstone, Suffolk, et qui était attendu? Qu’on vienne le réclamer.»
Personne ne répondit.
« Essayez de Copperfield, monsieur, je vous prie, dis-je en baissant piteusement les yeux.
— Y a-t-il, dit le conducteur, quelqu’un qui demande un jeune garçon inscrit sous le nom de Murdstone, venant de Blunderstone, Suffolk, mais qui répond au nom de Copperfield, et qui doit attendre qu’on vienne le réclamer? Parlez, y a-t-il quelqu’un?»
Non, il n’y avait personne.
Plus solitaire que Robinson Crusoé, car lui du moins il n’avait personne pour venir l’observer et remarquer qu’il était solitaire, j’entrai dans le bureau de la diligence, et, sur l’invitation du commis, je passai derrière le comptoir, et je m’assis sur la balance où l’on pesait les bagages. Assis au milieu des paquets, des livres et des ballots, respirant le parfum des écuries, qui s’associera à tout jamais dans ma mémoire avec cette matinée, je fus assailli par une foule de réflexions plus lugubres les unes que les autres. A supposer qu’on ne vînt jamais me chercher, combien de temps consentirait-on à me garder là où j’étais? Me garderait-on assez longtemps pour qu’il ne me restât rien de mes sept shillings? Est-ce que je passerais la nuit dans un de ces compartiments en bois, avec les bagages! En serais-je réduit à me laver tous les matins à la pompe de la cour? Ou bien me renverrait-on tous les soirs et serais-je obligé de revenir tous les matins jusqu’à ce qu’on vînt me chercher? Et si ce n’était pas une erreur, si M. Murdstone avait imaginé ce plan pour se débarrasser de moi, que deviendrais-je? Si l’on me permettait de rester là jusqu’à ce que j’eusse dépensé mes sept shillings, je ne pouvais pas espérer d’y rester lorsque je commencerais à mourir de faim. Cela serait à coup sûr désagréable et gênant pour les pratiques, et, de plus, cela exposerait l’animal bleu à payer les frais de mon enterrement. Si je me mettais immédiatement en route pour essayer de retourner chez ma mère, comment pourrais-je marcher jusque-là ? Et d’ailleurs étais-je sûr d’être bien accueilli par d’autres que par Peggotty, lors même que je réussirais à faire le trajet? Si j’allais m’offrir aux autorités voisines comme soldat ou comme marin, j’étais un si petit bonhomme que probablement on ne voudrait pas de moi. Ces pensées, jointes à un millier d’autres, me faisaient monter le rouge au visage, et je me sentais tout étourdi de crainte et d’émotion. J’étais dans cet état violent, lorsque je vis entrer un homme qui murmura quelques mots à l’oreille du commis. Celui-ci me tira vivement de la balance et me poussa vers le nouveau venu comme un colis pesé, acheté, payé, enlevé.
En sortant du bureau, la main dans celle de ma nouvelle connaissance, je me hasardai à lever les yeux sur sa figure. C’était un jeune homme au teint jaune, à la démarche dégingandée, avec des joues creuses, et un menton presque aussi noir que celui de M. Murdstone. Mais là cessait la ressemblance, car ses favoris étaient rasés, et ses cheveux, au lieu d’être luisants, étaient rudes et secs. Il portait un habit et un pantalon noirs, un peu secs et râpés aussi. L’habit ne descendait pas jusqu’au poignet, ni le pantalon jusqu’à la cheville; la cravate blanche du jeune homme n’était pas d’une propreté exagérée. Je n’ai jamais cru et je ne veux pas croire encore que cette cravate fût tout le linge qu’il avait sur lui, mais c’était au moins tout ce qu’elle en laissait entrevoir.
« Vous êtes le nouvel élève? me demanda-t-il.
— Oui, monsieur,» répondis-je. Je le supposais; je n’en savais rien.
« Je suis un des maîtres d’étude de la pension Salem,» me dit-il.
Je le saluai; j’étais terrifié. Je n’osais faire la moindre allusion à une chose aussi vulgaire que ma malle en présence du savant maître de Salem-House; ce fut seulement lorsque nous fûmes sortis de la cour que j’eus la hardiesse d’en faire mention. D’après mon observation très humble que plus tard elle pourrait m’être utile, nous revînmes sur nos pas, et il dit au commis que le voiturier viendrait la prendre à midi.
« Monsieur, lui demandai-je, auriez-vous la bonté de me dire si c’est bien loin?
— C’est du côté de Blackheath, me répondit-il.
— Est-ce loin, monsieur? dis-je timidement.
— Il y a un bon bout de chemin; nous irons par la diligence, on compte environ six milles.»
Comme je n’avais rien pris depuis la veille, je lui demandai la permission d’acheter quelque chose; il eut la bonté de me le permettre.
Ensuite nous allâmes rejoindre la diligence et nous montâmes sur l’impériale, et nous arrivâmes enfin à destination. Un grand mur de briques formait l’enceinte, et l’ensemble avait un air fort triste. Sur une porte pratiquée dans le mur était fixé un écriteau où on lisait Salem-House. Nous vîmes bientôt paraître, à une petite ouverture près de la porte, un visage maussade, qui appartenait à un gros homme. Ce gros homme avait un énorme cou de taureau, une jambe de bois, un front bombé, et des cheveux coupés ras.
« C’est le nouvel élève,» dit le maître d’étude, qui s’appelait M.Mell.
L’homme à la jambe de bois m’examina de la tête aux pieds, ce qui ne fut pas long, car je n’étais pas bien grand; puis il referma la porte derrière nous et retira la clef.
Salem-House était un bâtiment carré, bâti en briques avec deux pavillons sur les ailes, le tout d’une apparence nue et désolée. Le plus profond silence régnait, et je dis à M. Mell que les élèves étaient probablement en promenade. M. Mell parut surpris de mon observation, et m’apprit que les élèves étaient en vacances M. Creakle, le maître de pension, prenait l’air au bord de la mer, avec madame et miss Creakle. Quant à moi, si l’on m’envoyait en pension pendant les vacances, c’était pour me punir de ma mauvaise conduite.
Il me mena dans la salle d’étude; jamais je n’avais vu un endroit si lamentable et si désolé. Je la revois encore à l’heure qu’il est. Une longue chambre avec trois rangées de bancs, et des champignons pour accrocher les chapeaux et les ardoises. Partout des débris informes, de vieux cahiers déchirés. Il règne dans la pièce une odeur malsaine, composé étrange de cuir pourri, de pommes renfermées et de livres moisis. Il ne saurait y avoir plus d’encre répandu dans toute la pièce, lors même que les architectes auraient oublié d’y mettre une toiture,,et que pendant toute l’année le ciel y aurait fait pleuvoir, neiger ou grêler de l’encre.
M. Mell me quitta un moment, et je m’avançai avec hésitation au bout de la salle. Tout à coup j’arrivai devant un écriteau en carton posé sur un pupitre. On y lisait ces mots, écrits en grosses lettres: «Prenez garde; il mord.
Je grimpai immédiatement sur le pupitre, persuadé qu’il devait y avoir un chien dessous. Mais j’avais beau regarder tout autour de moi avec inquiétude, je ne l’apercevais pas. J’étais encore absorbé dans cette recherche, lorsque M. Mell revint, et me demanda ce que je faisais là-haut.
« Je vous demande bien pardon, monsieur, mais je regarde où est le chien.
— Le chien, dit-il, quel chien?
— Le chien auquel il faut prendre garde, parce qu’il mord.
— Non, Copperfield, dit-il gravement, ce n’est pas un chien. C’est un petit garçon. J’ai pour instruction, Copperfield, de vous attacher cet écriteau derrière le dos. Je suis fâché d’avoir à commencer par là avec vous, mais il le faut.»
Il me fit descendre et m’attacha derrière le dos l’écriteau comme une giberne; et partout où j’allais ensuite, j’avais la consolation de le transporter avec moi.
Ce que j’avais à souffrir de cet écriteau, personne ne peut le deviner. Qu’il fût possible ou non de le voir, je m’imaginais toujours qu’il y avait là quelqu’un à le lire. La cruauté de l’homme à la jambe de bois aggravait encore mes souffrances. C’était lui qui était le mandataire de l’autorité ; toutes les fois qu’il me voyait m’appuyer le dos contre un arbre, ou contre le mur, ou contre la maison, il criait de sa loge, d’une voix formidable: «Hé ! Copperfield, faites voir la pancarte, ou je vous donne une mauvaise note!»
Je faisais voir la pancarte et j’étais la risée des domestiques et des fournisseurs. Je pensais souvent à mes futurs condisciples et je redoutais beaucoup leur arrivée. La vie monotone que je menais et la fin prochaine des vacances me causaient une affliction intolérable. J’avais chaque jour à faire de longs devoirs pour M. Mell. Mais comme M. et miss Murdstone n’étaient pas là, je ne m’en tirais pas mal. Avant et après mes heures d’étude, je me promenais sous la surveillance de l’homme à la jambe de bois, qui s’appelait Tungsby.
M. Mell ne me disait pas grand’chose, mais il n’était pas méchant; je suppose que nous nous tenions mutuellement compagnie, sans nous parler.