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II

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Les premiers objets que je retrouve sous une forme distincte, quand je cherche à me rappeler les jours de ma petite enfance, c’est d’abord ma mère, avec ses beaux cheveux et son air jeune. Ensuite c’est notre servante Peggotty. Elle n’a pas d’âge. Ses yeux sont si noirs, qu’ils jettent une nuance sombre sur tout son visage. Ses joues et ses bras sont si durs et si rouges, que jadis, il m’en souvient, je ne comprenais pas comment les oiseaux ne venaient pas la becqueter plutôt que les pommes.

Il me semble que je vois ma mère et Peggotty placées l’une en face de l’autre. Pour se faire petites, elles se penchent et s’agenouillent par terre, et je vais en chancelant de l’une à l’autre. Il me reste un souvenir qui me semble encore tout récent du doigt que Peggotty me tendait pour m’aider à marcher, un doigt usé par l’aiguille et plus rude qu’une râpe à muscade.

Qu’est-ce que je me rappelle encore? Voyons.

Ce qui sort d’abord du nuage, c’est notre maison, souvenir familier et distinct.

Au rez-de-chaussée, voilà la cuisine de Peggotty, qui donne sur une cour; dans cette cour il y a, au bout d’une perche, un pigeonnier sans le moindre pigeon; une niche à chien, dans un coin, sans le moindre chien; plus une quantité de poulets qui me paraissent gigantesques, et qui arpentent la cour, de leur air le plus menaçant et le plus féroce. Il y a un coq qui saute sur son perchoir pour m’examiner, tandis que je passe ma tête par la fenêtre de la cuisine. Cela me fait trembler; il a l’air si cruel!

Voilà un long corridor; je n’en vois pas la fin; il mène de la cuisine de Peggotty à la porte d’entrée. Ensuite, il y a les deux salons: le salon où nous nous tenons le soir, maman, moi et Peggotty; car Peggotty est toujours avec nous quand nous sommes seuls et qu’elle a fini son ouvrage; et puis, le grand salon où nous nous tenons le dimanche: il est plus beau, mais on n’y est pas aussi à son aise.

Voilà notre banc dans l’église, notre banc avec son grand dossier. Tout près il y a une fenêtre par laquelle on peut voir notre maison; pendant l’office du matin, Peggotty la regarde à chaque instant pour s’assurer qu’elle n’a été ni brûlée ni dévalisée en son absence. Mais Peggotty ne veut pas que je fasse comme elle, et, quand cela m’arrive, elle me fait signe de regarder le pasteur. Cependant je ne peux pas toujours le regarder; je le connais bien quand il n’a pas cette grande chose blanche sur lui, et j’ai peur qu’il ne s’étonne de me voir le regarder fixement. Il va peut-être s’interrompre pour me demander ce que cela signifie. Mais qu’est-ce que je vais donc faire? C’est bien vilain de bâiller, et cependant il faut bien s’occuper à quelque chose. Je regarde ma mère, mais elle fait semblant de ne pas me voir. Je regarde un petit garçon qui est là, près de moi, et il me fait des grimaces. Je regarde le rayon de soleil qui pénètre sous le porche, et je vois une brebis égarée: ce n’est pas un pécheur que je veux dire, c’est un mouton qui est sur le point de pénétrer dans l’église. Je sens que si je le regardais plus longtemps, je finirais par lui crier de s’en aller, et alors ce serait une belle affaire!

Je regarde la chaire. Comme on y jouerait bien! Cela ferait une fameuse forteresse; l’ennemi se précipiterait par l’escalier pour nous attaquer; nous, nous l’écraserions avec le coussin de velours et tous ses glands. Peu à peu mes yeux se ferment; j’entends encore le pasteur répéter un psaume; il fait une chaleur étouffante, puis je n’entends plus rien, jusqu’au moment où je glisse de mon banc avec un fracas épouvantable, et où Peggotty m’entraîne hors de l’église, plus mort que vif.

Voilà mes plus anciens souvenirs. Ajoutez-y l’opinion, si j’avais déjà une opinion, que Peggotty nous faisait un peu peur, à ma mère et à moi, et que nous suivions presque toujours ses conseils.

Un soir, Peggotty et moi nous étions seuls dans le salon, assis au coin du feu. J’avais lu à Peggotty une histoire de crocodiles. Ou bien j’avais lu avec peu d’intelligence, ou bien la pauvre fille avait été distraite, car l’impression fort vague qui lui resta de ma lecture, c’est que les crocodiles étaient une espèce de légumes. J’étais fatigué de lire, et je tombais de sommeil, mais on m’avait fait, ce soir-là, la grande faveur de me laisser attendre le retour de ma mère, qui dînait chez une voisine, et je serais plutôt mort sur ma chaise que d’aller me coucher.

J’ÉCARQUILLAIS LES YEUX TANT QUE JE POUVAIS.


J’écarquillais les yeux tant que je pouvais; je tâchais de les fixer constamment sur Peggotty, qui cousait assidûment; j’examinais le bout de cire sur lequel elle passait son fil, et qui était rayé dans tous les sens; et la petite chaumière figurée, qui contenait son mètre, et sa boîte à ouvrage dont le couvercle représentait la cathédrale de Saint-Paul, avec un dôme rose. Puis c’était le tour du dé d’acier, enfin de Peggotty elle-même: je la trouvais charmante. J’avais une telle envie de dormir que, si j’avais cessé un seul instant de tenir mes yeux ouverts, c’était fini.

Elle s’en aperçut et me dit: «Lisez-moi encore un peu des coco-drilles, car j’ai grande envie d’en savoir plus long sur leur compte.»

Nous en avions fini avec les crocodiles, et nous allions passer aux alligators, quand on sonna à la porte du jardin. Nous courûmes pour l’ouvrir; c’était ma mère qui rentrait, plus jolie que jamais, à ce qu’il me sembla. Elle était escortée d’un monsieur qui avait des cheveux et des favoris noirs superbes. Il était déjà revenu de l’église avec nous le dimanche précédent.

Il me caressa la joue; mais, je ne sais pourquoi, sa voix et sa personne ne me plaisaient nullement.

Ma mère remercia le monsieur de ce qu’il avait bien voulu prendre la peine de l’accompagner jusque chez elle. En parlant ainsi, elle lui tendit la main, et en lui tendant la main, elle me regardait.

« Dites-moi bonsoir, mon bel enfant, dit le monsieur.

— Bonsoir, dis-je.

— Venez ici, voyons, soyons bons amis, ajouta-t-il en riant, Donnez-moi la main.»

Je donnai ma main à l’étranger, qui la serra cordialement en disant que j’étais un fameux garçon, et puis il s’en alla.

Je le vis se retourner à la porte du jardin, et nous jeter un regard d’adieu avec ses yeux noirs qui avaient une expression de mauvais augure.

Est-ce le dimanche d’après que je revis le monsieur inconnu? ou bien s’écoula-t-il un plus long intervalle avant qu’il reparut? Je ne saurais l’affirmer. Mais enfin, le dimanche en question, il était à l’église, et il revint avec nous jusqu’à la maison. J’appris qu’il s’appelait M. Murdstone.

Peu à peu Peggotty resta moins souvent le soir avec nous. Ma mère la traitait toujours avec déférence, peut-être même avec plus de déférence que par le passé. Nous faisions toujours un trio d’amis, mais pourtant ce n’était pas tout à fait comme autrefois, et nous n’étions plus si heureux.

Je m’accoutumais à voir le monsieur aux favoris noirs; mais je ne l’aimais pas plus que par le passé. C’était une aversion d’enfant, purement instinctive, et fondée sur cette idée générale que Peggotty et moi nous n’avions besoin de personne pour aimer ma mère. Je n’avais pas d’arrière-pensée. Je savais faire, à part moi, mes petites réflexions; mais quant à les réunir, pour en faire un tout, c’était au-dessus de ma portée. Nous étions un soir ensemble, Peggotty et moi, comme par le passé (ma mère était sortie selon sa coutume), quand Peggotty, après m’avoir regardé plusieurs fois, et après avoir plusieurs fois ouvert la bouche sans parler, me dit enfin, d’un ton câlin:

« Monsieur Davy, aimeriez-vous à venir avec moi passer quinze jours chez mon frère, à Yarmouth? Cela ne vous amuserait-il pas?

— Votre frère est-il agréable? demandai-je prudemment.

— Ah! je crois bien qu’il est agréable! s’écria Peggotty en levant les bras au ciel. Et puis il y a la mer, et les barques, et les vaisseaux, et les pêcheurs, et la plage, et mon neveu Cham qui jouera avec vous.»

Ce programme de divertissements m’enchanta, et je répondis que tout cela m’amuserait prodigieusement. Mais qu’en dirait ma mère?

« Eh bien! répondit Peggotty en me regardant avec attention, je parierais une guinée qu’elle vous laissera aller. Si vous voulez, je le lui demanderai aussitôt qu’elle rentrera. Qu’en dites-vous?

— Mais, qu’est-ce qu’elle fera quand nous ne serons plus là ? demandai-je en appuyant mes petits coudes sur la table, pour donner plus de force à mon objection. Elle ne peut pas rester toute seule.

— Que le bon Dieu vous bénisse! répondit Peggotty après quelques moments d’embarras. Ne savez-vous pas qu’elle va passer quinze jours chez mistress Grayper; et mistress Grayper va avoir beaucoup de monde.»

Puisqu’il en était ainsi, j’étais tout prêt à partir. J’attendais avec impatience que ma mère revînt de chez mistress Grayper (car elle était chez elle ce soir-là), pour voir si on nous permettrait de mettre à exécution notre beau projet. Ma mère fut beaucoup moins surprise que je ne m’y attendais, et donna tout de suite son consentement. Tout fut arrangé dès le soir même; et l’on convint de ce que l’on payerait pendant ma visite, pour la nourriture et le logement.

Le jour de notre départ arriva bientôt. Nous devions faire le voyage dans la carriole d’un voiturier qui partait le matin après déjeuner. J’aurais donné je ne sais quoi pour qu’on me permît de m’habiller la veille au soir et de me coucher tout botté.

David Copperfield

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