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IV

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Table des matières

Si la chambre où l’on avait transporté mon lit pouvait rendre témoignage de ce qui se passait entre ses quatre murs, je pourrais, aujourd’hui encore, la prendre à témoin de la désolation à laquelle mon cœur était en proie lorsque j’y entrai ce soir-là. Je m’assis; mes petites mains se croisèrent machinalement, et je me mis à penser.

Je finis par me rouler dans un coin de mon couvre-pied et je m’endormis en pleurant.

Je me réveillai. Une voix venait de dire: «Le voilà !» Une main découvrait doucement ma tête brûlante. Ma mère et Peggotty étaient venues à moi, et c’était la voix de l’une d’elles que j’avais entendue.

« Davy, me dit ma mère, qu’est-ce que vous avez donc?»

Comment pouvait-elle me demander cela? Je répondis: «Je n’ai rien.» Mais je détournai la tête pour cacher le tremblement de ma lèvre, qui aurait pu lui en dire trop long.

« Davy! dit ma mère, Davy, mon enfant!»

Aucune parole n’aurait pu me troubler plus profondément que ces simples mots: «Mon enfant!» Je cachai mes larmes dans mon oreiller, et je repoussai la main de ma mère qui cherchait à m’attirer à elle.

Tout à coup je sentis se poser sur moi une main qui n’était ni celle de ma mère, ni celle de Peggotty; je me glissai au pied de mon lit. C’était la main de M. Murdstone qui tenait mon bras.

« Qu’est-ce que cela signifie, Clara, mon amour? Avez-vous oublié ? Un peu de fermeté, ma chère!

— Je suis bien fâchée, Édouard, répondit ma mère, je voulais être raisonnable, mais je me sens si triste!

— Descendez, mon amour, reprit M. Murdstone, David et moi nous allons revenir tout à l’heure.»

Peggotty sortit avec ma mère.

Lorsque nous fûmes tous deux seuls, il ferma la porte, et, s’asseyant sur une chaise, il fixa sur moi un regard perçant; je ne pouvais détourner mes yeux des siens. Il me semble encore entendre battre mon petit cœur.

« David, dit-il, et ses lèvres minces se serraient l’une contre l’autre, quand j’ai à réduire un cheval ou un chien entêté, qu’est-ce que je fais?

— Je n’en sais rien.

— Je le bats.»

Je lui avais répondu d’une voix presque éteinte, mais je sentais maintenant que la respiration me manquait tout à fait.

« Je le force à céder et à demander grâce. Je me dis: Voilà un drôle que je veux dompter; quand même cela devrait lui coûter tout le sang qu’il a dans les veines, j’en viendrai à bout. Qu’est-ce que je vois là, sur votre joue?

— C’est de la boue,» répondis-je.

Il savait aussi bien que moi que c’était la trace de mes larmes. Mais, m’eût-il adressé vingt fois la même question, en me rouant de coups chaque fois, je crois que je lui aurais toujours fait la même réponse, dût mon cœur se briser.

« Pour un enfant, vous avez beaucoup d’intelligence, dit-il avec le sombre sourire qui lui était familier; vous m’avez compris, je crois. Lavez-vous la figure, monsieur, et descendez avec moi.»

Il me montra la toilette et me fit signe de lui obéir immédiatement. Si j’avais seulement hésité, il m’aurait roué de coups, j’en suis sûr.

« Clara, ma chère, dit-il, quand nous fûmes descendus au salon, on ne vous tourmentera plus, j’espère. Nous corrigerons notre petit caractère.»

Dieu m’est témoin qu’en ce moment un mot de tendresse aurait pu me rendre meilleur pour toute ma vie, peut-être faire de moi une autre créature. En m’encourageant et en m’expliquant ce qui s’était passé, en m’assurant que j’étais le bienvenu, et que la maison de ma mère serait toujours mon chez moi, M. Murdstone aurait pu attirer à lui mon cœur, au lieu de s’assurer une obéissance hypocrite. Au lieu de le haïr, j’aurais pu le respecter. Il me sembla que ma mère était fâchée de me voir là, debout au milieu du salon, l’air malheureux et effaré. Lorsqu’elle me vit aller m’asseoir timidement, je crus remarquer que ses yeux me suivaient plus tristement encore, comme si elle eût souhaité me voir plutôt courir gaiement. Mais sur le moment elle ne me dit pas un mot; et plus tard, il n’était plus temps.

Nous dînâmes seuls tous les trois. Je compris à la conversation de ma mère et de M. Murdstone, qu’ils attendaient, le soir même, une sœur de M. Murdstone, qui venait demeurer avec eux. M. Murdstone, sans être précisément dans le commerce, avait une part annuelle dans les bénéfices d’un négociant en vins de Londres, et sa sœur avait le même intérêt que lui dans cette maison.

Après le dîner, nous étions assis au coin du feu, et je méditais d’aller retrouver Peggotty, mais la crainte que j’avais de mon nouveau maître m’ôtait la hardiesse de m’échapper, lorsqu’on entendit une voiture s’arrêter à la grille du jardin.

C’était miss Murdstone qui venait d’arriver. Elle avait l’air sinistre, les cheveux noirs, comme son frère, auquel elle ressemblait beaucoup de figure et de manières. Ses sourcils épais se croisaient presque sur son grand nez, comme si elle eût reporté là les favoris que sa qualité de femme ne lui permettait pas de garder à leur place naturelle. Elle était suivie de deux caisses noires, dures et farouches comme elle; sur le couvercle on lisait ses initiales en clous de cuivre. Quand elle voulut payer le cocher, elle tira son argent d’une bourse d’acier; elle la renferma ensuite dans un sac qui avait l’air d’une prison portative, suspendue à son bras au moyen d’une lourde chaîne, et qui claquait en se fermant, comme une trappe. Je n’avais jamais vu une dame aussi métallique que miss Murdstone.

On la fit entrer dans le salon, avec une foule de souhaits de bienvenue, et là elle salua solennellement ma mère comme sa nouvelle et proche parente, puis, levant les yeux sur moi, elle dit:

« Est-ce votre fils, ma belle-sœur?»

Ma mère dit que oui.

« En général, dit miss Murdstone, je n’aime pas les garçons. Comment vous portez-vous, petit garçon?»

Je répondis à ce discours obligeant que je me portais très bien, et que j’espérais qu’il en était de même pour elle. Mais j’y mis si peu de grâce, que miss Murdstone me jugea immédiatement en deux mots: «Mauvaises manières!»

Après avoir prononcé cette sentence d’une voix très sèche, elle demanda à voir sa chambre, qui devint dès lors pour moi un lieu de terreur et d’épouvante.

Je crus comprendre que miss Murdstone venait s’installer chez nous pour tout de bon, et qu’elle n’avait nulle intention de jamais repartir.

Elle enleva sans façon les clefs de la maison à ma mère; et désormais les garda dans son sac d’acier pendant la journée, sous son oreiller pendant la nuit; et dorénavant, malgré quelques timides réclamations, ma mère n’eut pas à s’en occuper plus que moi.

La teinte sombre qui dominait dans le sang des Murdstone assombrissait aussi leur religion, qui était austère et farouche. J’ai pensé depuis que c’était la conséquence nécessaire de la fermeté de M. Murdstone, qui ne pouvait souffrir l’idée de voir échapper quelqu’ un aux châtiments les plus sévères qu’il pût inventer. Quoi qu’il en soit, je me rappelle bien les visages menaçants qui m’entouraient quand j’allais à l’église, et comme tout était changé autour de moi. Si par malheur je remue le petit doigt, miss Murdstone me donne dans les côtes, avec son livre de prières, de bonnes bourrades qui me font grand mal.

Je vois encore, en revenant à la maison, quelques-uns de nos voisins qui regardent ma mère et qui se parlent à l’oreille. Il me semble qu’elle marche d’un pas moins joyeux et que sa beauté a presque disparu.

En attendant qu’on me mît en pension, je prenais mes leçons à la maison. Ma mère y présidait nominalement, mais en réalité je les recevais de M. Murdstone et de sa sœur, qui étaient toujours présents et qui trouvaient là une occasion favorable de donner à ma mère des leçons de fermeté. Je crois que c’est uniquement pour cela qu’ils me gardaient à la maison. J’avais assez de facilité et j’apprenais avec plaisir, du temps où nous vivions seuls ensemble, ma mère et moi. Il me semble que j’ai été conduit par un sentier de fleurs depuis la première lettre de l’alphabet jusqu’au livre des crocodiles. Mais les leçons solennelles qui suivirent celles-là furent un coup mortel porté à mon repos, un labeur pénible, un chagrin de tous les jours. Elles étaient très longues, très nombreuses, très difficiles. La plupart étaient parfaitement inintelligibles pour moi, et j’en avais grand’peur; aussi grand’peur que ma pauvre mère.

Voici comment les choses se passaient presque tous les matins.

Je descends après le déjeuner dans le petit salon, avec mes livres, mon cahier et une ardoise. Ma mère m’attend près de son pupitre; mais si elle est disposée à m’entendre, il y a quelqu’un qui l’est encore plus qu’elle: c’est M. Murdstone qui fait semblant de lire, dans son fauteuil, près de la fenêtre, ou bien miss Murdstone, qui enfile des perles d’acier à côté de ma mère. La vue de ces deux personnages exerce sur moi une telle influence, que je commence à sentir m’échapper, pour courir la pretantaine, les mots que j’ai eu le plus de peine à me fourrer dans la tête.

Je tends mon premier livre à ma mère. C’est un livre de grammaire, ou d’histoire ou de géographie. Avant de le lui donner, je jette un dernier regard de désespoir sur la page, et je pars au grand galop pour la réciter pendant que je la sais encore un peu. Je saute un mot, M. Murdstone lève les yeux. Je saute un autre mot, miss Murdstone lève les yeux. Je rougis, je passe une demi-douzaine de mots, et je m’arrête. Je crois que ma mère me montrerait bien le livre si elle l’osait, mais elle n’ose pas, et alors elle me dit doucement:

« Oh! Davy, Davy!

— Voyons, Clara, dit M. Murdstone, soyez ferme avec cet enfant; ne dites pas: «Oh! Davy, Davy!» C’est un enfantillage. Il sait sa leçon ou il ne la sait pas.

— Il ne la sait pas, reprend miss Murdstone d’une voix terrible.

— J’en ai peur, dit ma mère.

— Vous voyez bien, Clara, ajoute miss Murdstone, qu’il faut lui rendre le livre et l’envoyer rapprendre sa leçon.

— Oui, certainement, dit ma mère; c’est ce que je vais faire, ma chère Jane. Voyons, David, recommence, ne sois pas si stupide.»

J’obéis à la première de ces injonctions, et je me remets à apprendre; mais je ne réussis pas en ce qui concerne la seconde, car je suis plus stupide que jamais. Avant d’arriver à l’endroit fatal, je m’arrête à un passage que je savais parfaitement tout à l’heure, et je me mets à réfléchir. M. Murdstone fait un signe d’impatience que j’attendais depuis longtemps, miss Murdstone en fait autant. Ma mère les regarde d’un air résigné, ferme le livre et le met de côté comme un arriéré que j’aurai à acquitter quand mes autres devoirs seront faits.

Le nombre des arriérés va grossissant comme une boule de neige. Je deviens de plus en plus stupide. Ma mère a pitié de moi et cherche à me souffler. Miss Murdstone, qui est aux aguets depuis longtemps, dit d’une voix grave:

« Clara!»

Ma mère tressaille, rougit et sourit faiblement. M. Murdstone se lève, prend le livre, me le jette à la tête, ou me donne un soufflet et me fait sortir brusquement de la chambre.

Quand j’ai fini d’apprendre mes leçons, il me reste encore à faire ce qu’il y a de plus terrible: une effrayante multiplication. Je traîne dessus jusqu’au dîner. On me donne un morceau de pain sec et je passe en pénitence tout le reste de la journée.

Quant à jouer avec d’autres enfants de mon âge, cela m’arrivait rarement, car la sombre théologie des Murdstone leur faisait envisager les enfants comme une race de petites vipères (et pourtant il y eût jadis un enfant placé au milieu des disciples), et à les croire, ils n’étaient bons qu’à se corrompre mutuellement.

Le résultat de ce traitement, qui dura six mois au moins, fut de me rendre grognon, triste et maussade. Ce qui y contribuait aussi infiniment, c’est qu’on m’éloignait de plus en plus de ma mère. Une seule chose m’empêchait de m’abrutir absolument. Mon père avait laissé dans un cabinet, au second, une petite collection de livres; ma chambre était à côté, personne ne songeait à cette petite bibliothèque. Ces livres tenaient mon imagination en éveil; ils me donnaient l’espoir de m’échapper un jour de ce lieu. Je m’étonne encore aujourd’hui de la consolation que je trouvais au milieu de mes petites épreuves, qui étaient grandes pour moi, à m’identifier avec tous ceux que j’aimais dans ces histoires, où, naturellement, tous les méchants étaient pour moi M. et miss Murdstone. J’avais la passion des récits de voyages; il y en avait quelques-uns sur les planches de la bibliothèque. Je me rappelle que pendant des jours entiers je parcourais l’étage où j’habitais, armé d’une traverse d’embauchoir de bottes, pour représenter le capitaine un tel, de la marine royale, en grand danger d’être attaqué par des sauvages, et résolu à vendre chèrement sa vie. Le capitaine avait beau recevoir des soufflets, tout en conjuguant ses verbes latins, jamais il n’abandonnait sa dignité. Moi, je perdais la mienne, mais le capitaine était un capitaine, un héros, en dépit de toutes les grammaires, et de toutes les langues vivantes ou mortes.

M. MURDSTONE FICELAIT QUELQUE CHOSE AU BOUT DE SA CANNE.


Un matin, en descendant au salon avec mes livres, je vis que ma mère avait l’air soucieux, que miss Murdstone avait l’air ferme, et que M. Murdstone ficelait quelque chose au bout de sa canne. Cette canne était un jonc élastique qu’il se mit à faire tournoyer en l’air, au moment où j’entrais.

« Puisque je vous assure, Clara, disait M. Murdstone que j’ai été souvent fouetté moi-même! Maintenant, David, reprit-il, et ses yeux étincelaient, soyez plus attentif aujourd’hui que de coutume.» Il fit de nouveau tournoyer sa canne, puis, ayant fini ses préparatifs, il la posa à côté de lui avec un regard expressif, et prit son livre.

C’était, pour débuter, un bon moyen de me donner de la présence d’esprit. Naturellement, tout alla mal, ma mère fondit en larmes.

« Clara! dit miss Murdstone de sa voix d’avertissement.

— Je suis un peu souffrante, je crois, ma chère Jane,» murmura ma mère.

Je le vis regarder sa sœur d’un air solennel, puis il se leva et dit en prenant sa canne:

« Vraiment, Jane, nous ne pouvons pas nous attendre à ce que Clara supporte avec une fermeté parfaite la peine et le tourment que David lui a causés aujourd’hui. Ce serait trop héroïque. Clara a fait de grands progrès, mais ce serait trop lui demander. David, nous allons monter ensemble, mon garçon.»

Comme il m’emmenait, ma mère se précipita vers nous. Miss Murdstone dit: «Clara, est-ce que vous êtes folle?» et l’arrêta. Je vis ma mère se boucher les oreilles, puis je l’entendis pleurer.

M. Murdstone monta à ma chambre, lentement et gravement. Je suis sûr qu’il était ravi de cet appareil de justice exécutive. Quand nous fûmes entrés, il passa tout d’un coup ma tête sous son bras.

« Monsieur Murdstone, monsieur! m’écriai-je, non, je vous en prie, ne me battez pas! J’ai essayé d’apprendre, monsieur, mais je ne peux pas réciter, quand miss Murdstone et vous, vous êtes là. Vraiment, je ne peux pas.

— Vous ne pouvez pas, David, nous verrons ça.»

Il tenait ma tête sous son bras, comme dans un étau, mais je m’entortillais si bien autour de lui, en le suppliant de ne pas me battre, que je l’arrêtai un instant. Un instant seulement, hélas! car il me battit cruellement la minute d’après. Je saisis la main qui me retenait, et je la mordis de toutes mes forces. Je grince encore des dents rien que d’y penser.

Alors il me battit comme s’il voulait me tuer. Au milieu du bruit que nous faisions, j’entendis courir sur l’escalier, puis pleurer; oui, j’entendis pleurer ma mère et Peggotty. Il s’en alla, ferma la porte à clef, et je demeurai seul, couché par terre, tout en nage, écorché, brûlant, furieux comme un petit diable.

A la suite de cet esclandre, je fus tenu emprisonné cinq jours, au pain et à l’eau. Si encore j’avais pu voir ma mère un instant seule, je me serais jeté à ses genoux et je l’aurais suppliée de me pardonner; mais je ne voyais absolument que miss Murdstone, excepté le soir, au moment de la prière Miss Murdstone venait alors me chercher quand tout le monde était déjà en place, elle me mettait, comme un jeune bandit, tout seul près de la porte; puis elle m’emmenait solennellement, avant que personne eût pu se relever. Ma mère était tenue aussi loin de moi que possible, et tournait la tête d’un autre côté, de sorte que je ne pouvais voir son visage; M. Murdstone avait la main enveloppée d’un grand mouchoir de batiste.

Le sixième jour, miss Murdstone parut comme à l’ordinaire, et me dit que j’allais partir pour la pension. En descendant à la salle à manger, j’y trouvai ma mère très pâle et les yeux rouges. Je courus me jeter dans ses bras, et je la suppliai du fond du cœur de me pardonner.

« Oh! Davy, dit-elle, comment as-tu pu faire mal à quelqu’un que j’aime? Tâche de devenir meilleur, prie Dieu de te rendre meilleur. Je te pardonne; mais je suis bien malheureuse, Davy, de penser que tu aies de si mauvaises passions.»

On lui avait persuadé que j’étais un méchant enfant, et elle en souffrait plus que de me voir partir. Je ne pus déjeuner, et je partis, osant à peine embrasser ma mère, sous les regards sévères et vigilants de miss Murdstone.

Je n’avais vu ni Peggotty, ni M. Murdstone, avant de monter dans la carriole attelée du cheval languissant.

David Copperfield

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