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XI

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Le magasin de Murdstone et Grinby était situé à Blackfriars, au bord de la Tamise. C’était une vieille maison, avec une petite cour qui aboutissait à la rivière quand la marée était haute, et à la vase de la rivière quand la marée se retirait; les rats y pullulaient. Les pièces, revêtues de boiseries décolorées par la poussière et la fumée depuis plus d’un siècle, les planchers et l’escalier, à moitié détruits, les cris aigus et les luttes des vieux rats gris dans les caves, la moisissure et la saleté générale du lieu, tout cela est présent à mon esprit comme si je l’avais vu hier.

Les affaires Murdstone et Grinby embrassaient des branches de négoce très diverses, mais le commerce des vins et des liqueurs avec certaines compagnies de bateaux à vapeur en était une partie importante. Je sais qu’une des conséquences de ce commerce était un certain nombre de bouteilles vides, et qu’on employait un certain nombre d’hommes et d’enfants à les examiner, à mettre de côté celles qui étaient fêlées, à rincer et à laver les autres. Quand les bouteilles vides faisaient défaut, il y avait des étiquettes à mettre aux bouteilles pleines, des bouchons à couper, à cacheter, des caisses à remplir de bouteilles. C’était le genre de travail qui m’était destiné ; je devais être du nombre des enfants employés à cet office.

Nous étions trois ou quatre en me comptant. Le jour où je devais commencer la vie pour mon propre compte sous de si favorables auspices, on fit venir l’aîné de mes compagnons pour me montrer ce que j aurais à faire. Il s’appelait Mick Walker; il portait un tablier déchiré et un bonnet de papier. Il m’apprit que nous avions pour camarade un jeune garçon qu’il appelait du nom extraordinaire de «Fécule de pomme de terre». Je découvris bientôt que ce n’était pas le vrai nom de cet être intéressant, mais qu’il lui avait été donné au magasin, parce que son teint rappelait celui d’une pomme de terre.

NOUS ÉTIONS TROIS OU QUATRE EN ME COMPTANT.


Les paroles ne peuvent rendre la secrète angoisse que j’éprouvai en voyant dans quelle société je venais de tomber, en comparant les nouveaux compagnons de ma vie journalière avec ceux de mon heureuse enfance, sans parler de Steerforth, de Traddles et de mes autres compagnons de pension.

La grande horloge du magasin marquait midi et demi, et tout le monde se préparait à aller dîner, quand M. Quinion frappa à la fenêtre de son bureau et me fit signe de venir lui parler. J’entrai, et je me trouvai en face d’un homme d’un âge mûr, un peu gros, en redingote brune et en pantalon noir; sur sa tête, qui était énorme et présentait une surface polie, il n’y avait pas plus de cheveux que sur un œuf. Il tourna vers moi un visage rebondi; si ses habits étaient râpés, le col de sa chemise présentait un aspect imposant. Il portait une canne ornée de deux glands fanés, et un lorgnon pendait sur le devant de son paletot. Je découvris plus tard que ce lorgnon était un simple ornement; car il s’en servait très rarement et aussitôt qu’il l’avait sur les yeux, il n’y voyait goutte.

« Le voilà, dit M. Quinion en me montrant.

— C’est là M. Copperfield? dit l’étranger, avec un certain ton de condescendance, et un certain air qu’il est impossible de décrire, et qui produisit sur moi une profonde impression; j’espère que vous êtes en bonne santé, monsieur?»

Je répondis que je me portais très bien, et j’exprimai l’espoir que sa santé était bonne également.

« Grâce au ciel, dit l’étranger, je me porte on ne peut mieux. J’ai reçu une lettre de M. Murdstone. M. Murdstone désire que je puisse vous recevoir dans un appartement situé sur le derrière de ma maison, et qui est pour le moment inoccupé... qui est à louer, en un mot, comme... en un mot, ajouta l’étranger avec un sourire de confiance amicale, comme chambre à coucher.., le jeune commerçant auquel j’ai le plaisir de...»

Ici l’étranger fit un geste de la main et rentra son menton dans le col de sa chemise.

« C’est M. Micawber, me dit M. Quinion. M. Murdstone connaît M. Micawber. Il nous transmet des commandes, quand il en reçoit.

— Mon adresse, dit M. Micawber, est: Windsor Terrace, route de la Cité. Je... en un mot, ajouta M. Micawber avec le même air élégant et un nouvel élan de confiance, c’est là que je demeure.»

Je le saluai.

« Dans la crainte que vous ne soyez exposé à vous perdre en route, reprit M. Micawber, je serai très heureux de venir vous chercher ce soir pour vous montrer le chemin le plus court.»

Il prit son chapeau et sortit, sa canne sous le bras, d’un air majestueux, en fredonnant un air aussitôt qu’il eut franchi le seuil.

M. Quinion m’engagea solennellement au service de Murdstone et Grinby pour tout faire au magasin, avec un salaire de six shillings par semaine. Il me paya une semaine d’avance (de sa poche, je crois), sur quoi je donnai six pence à Fécule pour porter ma malle, le soir, à Windsor Terrace; quelque petite qu’elle fût, je n’avais pas la force de la soulever. Je dépensai encore six pence pour mon dîner, qui se composa d’un pâté de veau et d’une gorgée d’eau bue à la pompe voisine, puis j’employai l’heure accordée pour le repas à me promener dans les rues.

IL ME PRÉSENTA A MISTRESS MICAWBER.


Le soir, à l’heure fixée, M. Micawber reparut.

Arrivés à Windsor Terrace, il me présenta à mistress Micawber, qui était pâle et maigre; il y avait longtemps qu’elle n’était plus jeune. Je la trouvai assise dans la salle à manger (le premier étage n’était pas meublé, et on tenait les stores baissés pour faire illusion aux voisins).

Elle était en train d’allaiter un enfant. Cette petite créature avait un frère jumeau. Je puis dire que, tant que durèrent mes rapports avec la famille, il ne m’est presque jamais arrivé de voir les deux jumeaux à la fois hors des bras de mistress Micawber. L’un des deux avait toujours quelques prétentions au lait de sa mère.

Il y avait deux autres enfants, M. Micawber fils, plus âgé de quatre ans à peu près, et miss Micawber qui avait environ trois ans. Une jeune personne très brune, qui avait l’habitude de renifler, et qui servait la famille, complétait l’établissement. Au bout d’une demi-heure, elle m’informa qu’elle était orpheline, et qu’elle avait été élevée à l’hôpital de Saint-Luc, dans les environs.

Ma chambre était située à l’étage supérieur de la maison; elle était petite, tapissée d’un papier qui représentait une série de pains à cacheter bleus, et aussi peu meublée que possible.

Mistress Micawber, en me montrant ma chambre, me parla de son mari. Je ne me rappelle pas bien si elle me dit que M. Micawber avait été officier dans les troupes de marine, ou si je l’ai rêvé. Dans tous les cas, je suis convaincu, à l’heure qu’il est, sans en être bien sûr, qu’il avait servi jadis dans la marine. Il était, pour le moment, courtier au service de diverses maisons, mais il y gagnait peu de chose, peut-être rien, j’en ai peur.

M. Micawber avait des créanciers, des créanciers importuns, qui lui rendaient de fréquentes visites. En pareille occasion, M. Micawber était plongé dans le chagrin et le désespoir. Il alla même un jour, à ce que j’appris par un cri de sa femme, jusqu’à faire le simulacre de se frapper avec un rasoir. Mais une demi-heure après il cirait ses souliers avec le soin le plus minutieux, et sortait en fredonnant quelque ariette, d’un air plus élégant que jamais. Mistress Micawber était douée de la même élasticité de caractère. Je l’ai vue se trouver mal à trois heures parce que l’on était venu toucher les impositions, et puis manger à quatre heures des côtelettes d’agneau panées, arrosées d’un bon pot d’ale, le tout payé en mettant en gage deux cuillers à thé.

Je passais tous mes loisirs avec cette famille. Je me procurais mon déjeuner, qui se composait d’un petit pain d’un sou et d’un sou de lait. J’avais un autre petit pain et un morceau de fromage, qui m’attendaient dans le buffet, sur une planche consacrée à mon usage, pour mon souper; c’était une fière brèche dans mes six ou huit shillings. Je passais la journée au magasin et mon salaire devait suffire aux besoins de toute la semaine. Du lundi matin au samedi soir, je ne recevais ni avis, ni conseil, ni encouragement, ni consolation, ni secours d’aucune sorte, de qui que ce soit.

J’étais si jeune, si inexpérimenté, si peu en état de veiller sur moi-même, qu’il m’arrivait souvent, en allant au magasin, le matin, de ne pouvoir résister à la tentation d’acheter des gâteaux de la veille, vendus à moitié prix chez le restaurateur, et je dépensais ainsi l’argent de mon dîner. Ces jours-là je me passais de dîner, ou bien j’achetais un petit pain ou un morceau de pudding.

Nous avions, ce me semble, une demi-heure pour prendre notre thé. Quand j’avais assez d’argent, je prenais une tasse de café et une tartine de pain et de beurre. Quand je n’avais rien, je contemplais une boutique de gibier dans Fleet-street; j’allais quelquefois jusqu’ au marché de Covent-Garden pour regarder des ananas.

Je n’exagère pas, même involontairement, l’exiguïté de mes ressources ni les difficultés de ma vie. Je sais que si M. Quinion me donnait par hasard un shilling, je l’employais à payer mon dîner. Je sais que je travaillais du matin au soir, dans le costume le plus Mesquin, avec des hommes et des enfants de la classe inférieure. Je sais que j’errais dans les rues, mal nourri et mal vêtu. Je sais que, sans la miséricorde de Dieu, l’abandon dans lequel on me laissait aurait pu me conduire à devenir un voleur ou un vagabond.

Avec tout cela, j’étais pourtant sur un certain pied chez Murdstone et Grinby.

Non seulement M. Quinion faisait, pour me traiter avec plus d’égards que mes camarades, tout ce qu’on pouvait attendre d’un indifférent, très occupé d’ailleurs, et qui avait affaire à une créature si abandonnée; mais, comme je n’avais dit à personne le secret de ma situation, et que je n’en témoignais aucun regret, mon amour-propre en souffrait moins. Personne ne savait mes peines; quelque cruelles qu’elles fussent, je me tenais sur la réserve et je faisais mon ouvrage. J’avais compris dès le commencement que le moyen d’échapper au mépris et aux moqueries des autres, c’était de faire ma besogne aussi bien qu’eux! Je devins bientôt aussi habile et aussi actif, pour le moins, que mes compagnons. Je vivais sans doute avec eux dans les rapports les plus familiers; mais ma conduite et mes manières différaient assez des leurs pour les tenir à distance. On m’appelait en général le «petit monsieur».

Je n’avais aucun espoir d’être arraché à cette horrible existence et j’avais renoncé à y penser. Néanmoins je suis profondément convaincu que je n’en avais pas pris mon parti un seul jour, et que je me sentais toujours profondément malheureux. Mais je supportais mes chagrins en silence, et je ne révélai jamais la vérité dans mes nombreuses lettres à Peggotty, moitié par honte et moitié par affection pour elle.

Les embarras de M. Micawber ajoutaient à mes tourments d’esprit. Dans l’abandon où je me trouvais, je m’étais attaché à la famille, et je roulais dans ma tête, tout le long du chemin, les calculs de mistress Micawber sur leurs chances et leurs ressources. Je me sentais accablé par les dettes de M. Micawber.

Un jour, mistress Micawber me dit: «Monsieur Copperfield, je ne veux pas vous traiter en étranger, et je n’hésite pas à vous dire que la crise approche pour les affaires de M.» Micawber.»

J’éprouvai un vrai chagrin en apprenant cette nouvelle, et je regardai avec sympathie les yeux rouges de mistress Micawber. Même, par un mouvement tout spontané, je tirai de ma poche quelques shillings qui me restaient de ma dernière semaine.

« Non, mon cher monsieur Copperfield, s’écria mistress Micawber, une telle idée est loin de mon esprit, mais vous êtes d’une discrétion au-dessus de votre âge, et vous pourriez me rendre un service que j’accepterais avec reconnaissance.»

Je la priai de me dire comment je pourrais lui être utile.

« J’ai mis moi-même l’argenterie en gage, dit mistress Micawber: six cuillers à café, deux pelles à sel et une pince à sucre. Mais les jumeaux me gênent beaucoup pour faire la course, et ces démarches-là me sont très pénibles quand je me rappelle le temps où j’étais avec papa et maman. Il y a encore quelques pétites choses dont nous pourrions disposer. Les idées de M. Micawber ne lui permettraient jamais d’agir en cette affaire et Clickett (c’était le nom de la petite servante), ayant un esprit vulgaire, prendrait peut-être des libertés pénibles à supporter si on lui témoignait une aussi grande confiance. Monsieur Copperfield, si je pouvais vous prier...»

Je comprenais enfin mistress Micawber, et je me mis entièrement à sa disposition. Je commençai le soir même à déménager les objets les plus faciles à transporter, et j’accomplissais presque tous les matins une expédition de cette nature avant d’aller chez Murdstone et Grinby.

Enfin la crise arriva, M. Micawber fut arrêté un jour, de grand matin, et emmené à la prison pour dettes. Il me dit, en quittant la maison, que le Dieu du jour s’était couché pour lui à jamais, et je croyais réellement que son cœur était brisé ; le mien l’était dans ous les cas. J’appris pourtant plus tard qu’il avait joué aux quilles rès gaiement dans l’après-midi.

Je ne sais comment on en vint à vendre les meubles pour soutenir la famille; je ne sais qui se chargea de cette opération; en tout cas ce ne fut pas moi. Tout fut donc vendu et emporté dans une charrette, à l’exception des lits, de quelques chaises et de la table de cuisine. Nous campions avec ces meubles dans les deux pièces du rez-de-chaussée, au milieu de cette maison dépouillée, et nous y vivions la nuit et le jour. Mistress Micawber prit le parti d’aller s’établir dans la prison, où M. Micawber avait une chambre particulière. Je fus chargé de porter la clef de la maison au propriétaire, qui fut enchanté de rentrer en possession de son appartement, et l’on envoya tous les lits à la prison, à l’exception du mien. On loua pour moi une petite chambre dans les environs.

Les affaires de M. Micawber étaient toujours très embarrassées, par le fait d’un certain «acte» dont j’entendais toujours parler, et que je suppose maintenant avoir été quelque arrangement antérieur avec ses créanciers. Enfin le document parut s’être évanoui, je ne sais comment; au moins avait-il cessé d’être une pierre d’achoppement, comme par le passé ; et mistress Micawber m’apprit que, sur le conseil de sa famille, M. Micawber ferait un petit appel pour être mis en liberté d’après la loi des débiteurs insolvables, et qu’il pourrait être libre au bout de six semaines.

« Et alors, dit M. Micawber qui était présent, je pourrai sans aucun doute, s’il plaît à Dieu, commencer à me tirer d’affaire et à vivre d’une manière toute différente, si..... si... en un mot, si je puis tomber sur une bonne chance.»

David Copperfield

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