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I
ОглавлениеJe suis né à Blunderstone, dans le comté de Suffolk, un vendredi. Lorsque mes yeux s’ouvrirent à la lumière de ce monde, mon père avait fermé les siens depuis plus de six mois.
Le grand personnage de notre famille, c’était une tante de mon père, par conséquent ma grand’tante à moi, miss Trotwood ou miss Betsy, comme l’appelait ma pauvre mère, quand elle parvenait à prendre sur elle de nommer cette terrible personne, ce qui arrivait très rarement. Miss Betsy habitait dans un hameau, bien loin, au bord de la mer, en compagnie de sa servante, sans voir âme qui vive.
Mon père avait été, je crois, le favori de miss Betsy, mais elle ne lui avait jamais pardonné son mariage, sous prétexte que ma mère n’était qu’ «une enfant». Mon père ne revit jamais miss Betsy. Il avait le double de l’âge de ma mère quand il l’avait épousée, et sa santé était loin d’être robuste. Il mourut un an après, six mois avant ma naissance.
Tel était l’état des choses, dans la matinée de ce mémorable et important vendredi. Quelques heures avant celle où je devais faire mon apparition en ce monde, ma mère vit arriver par le jardin une femme qu’elle ne connaissait pas. Au second coup d’œil, elle fut persuadée, sans savoir pourquoi, que cette femme était miss Betsy. Les rayons du soleil couchant éclairaient, à la porte du jardin, toute la personne de cette étrangère; elle marchait d’un pas trop ferme et d’un air trop déterminé pour n’être pas Betsy Trotwood en personne.
En arrivant devant la maison, elle donna une autre preuve de son identité. Mon père avait souvent fait entendre à ma mère que sa tante ne se conduisait presque jamais comme le reste des humains. Et voilà, en effet, qu’au lieu de sonner à la porte, elle vint se planter devant la fenêtre, et appuya si fort son nez contre la vitre, qu’il en devint tout blanc et parfaitement plat.
Ma mère, qui était jeune et timide, se leva brusquement et alla se cacher dans un coin, derrière sa chaise. Miss Betsy, après avoir lentement parcouru toute la pièce du regard, aperçut enfin ma mère. Elle lui fit signe, d’un air renfrogné, de venir lui ouvrir la porte, comme quelqu’un qui a l’habitude du commandement. Ma mère lui obéit.
« Mistress David Copperfield, je suppose? dit miss Betsy.
— Oui, répondit faiblement ma mère.
— Miss Trotwood, lui répliqua l’étrangère, vous avez entendu parler d’elle, je suppose.»
Ma mère dit qu’elle avait eu ce plaisir.
« Eh bien! maintenant vous la voyez,» dit miss Betsy.
Ma mère baissa la tête et la pria d’entrer.
Elles s’acheminèrent vers la pièce que ma mère venait de quitter, et elles s’assirent. Miss Betsy gardait le silence; après avoir fait de vains efforts pour se contenir, ma mère fondit en larmes.
« Allons, allons! dit vivement miss Betsy, pas de tout cela, venez ici: ôtez votre bonnet, enfant, il faut que je vous voie.»
Trop effrayée pour résister à cette étrange requête, ma mère fit ce qu’on lui disait; mais ses mains tremblaient tellement, qu’elle détacha ses longs cheveux en même temps que son bonnet.
« Ah! bon Dieu! s’écria miss Betsy, vous n’êtes qu’une enfant!»
Ma mère avait certainement l’air très jeune pour son âge; elle baissa la tête, pauvre femme! comme si c’était sa faute, et murmura, au milieu de ses larmes, qu’elle avait peur d’être bien enfant, pour être déjà veuve et mère. Il y eut un moment de silence, pendant lequel ma mère s’imagina que miss Betsy lui passait doucement la main sur les cheveux. Elle leva timidement les yeux; mais non, la tante était assise d’un air rechigné, devant le feu, la robe relevée, les mains croisées sur ses genoux, les pieds posés sur les chenets.
Tout à coup elle releva la tête, et dit: «C’est tout naturellement une fille que vous aurez. Cela ne fait pas l’ombre d’un doute. J’ai le pressentiment que ce sera une fille. Eh bien, mon enfant, à partir du jour de sa naissance, cette fille...
— Ou ce garçon, se permit d’insinuer ma mère.
— Je vous dis que j’ai le pressentiment que ce sera une fille. Prière de ne pas me contredire. A dater du jour de la naissance de cette fille, je veux être son amie. Je compte être sa marraine, et je vous prie de l’appeler Betsy Trotwood Copperfield. David était-il bon pour vous, enfant? reprit miss Betsy après quelques instants de silence. Viviez-vous bien ensemble?
— Nous étions très heureux, répondit ma mère, M. Copperfield n’était que trop bon pour moi.
— Vous étiez orpheline, n’est-ce pas?
— Oui.
— Et gouvernante?
— J’étais sous-gouvernante dans une maison où M. Copperfield venait souvent. M. Copperfield était très bon pour moi; il m’a demandé de l’épouser. Je lui ai dit oui, et nous nous sommes mariés, ajouta ma mère avec simplicité.
— Pauvre enfant, dit miss Betsy, les veux toujours fixés sur le feu, savez-vous faire quelque chose?
— Madame, je vous demande pardon... balbutia ma mère.
— Savez-vous tenir une maison, par exemple? dit miss Betsy.
— Bien peu, j’en ai peur, répondit ma mère, mais M. Copperfield me donnait des leçons.
— Avec cela qu’il en savait bien long lui-même! murmura miss Betsy.
— Et j’espère que j’en aurais profité, car j’avais grande envie d’apprendre, et c’était un maître si patient, mais le malheur affreux qui m’a frappée...» Ici, ma mère fut interrompue par ses sanglots.
« Bien, bien! dit doucement miss Betsy. Et elle ajouta aussitôt:
« David avait placé sa fortune en rentes viagères. Qu’a-t-il fait pour vous?
— M. Copperfield, répondit ma mère avec un peu d’hésitation avait eu la grande bonté de placer sur ma tête une portion de cette rente.
— Combien? demanda miss Betsy.
— Cent cinq livres sterling, répondit ma mère.
— Il aurait pu faire plus mal,» dit ma tante.
Ma mère, plus souffrante, se retira dans sa chambre; miss Betsy s’installa tranquillement dans la pièce où ma mère l’avait reçue.
Quelques heures plus tard, le docteur Chillip, le médecin de la maison, vint trouver miss Betsy.
« Comment va-t-elle? dit ma tante en croisant les bras. Elle avait ôté son chapeau, et le tenait suspendu par les brides, à son poignet gauche.
— Eh bien! madame, répondit d’un ton suave le docteur Chillip, elle sera bientôt tout à fait bien, j’espère. Elle est aussi bien que possible pour une jeune mère qui se trouve dans une si triste situation. Je ne m’oppose pas à ce que vous la voyiez, madame. Cela lui fera peut-être du bien.
— Et elle, comment va-t-elle?» demanda vivement miss Betsy.
M. Chillip pencha la tête en côté, et regarda miss Betsy d’un air câlin.
« L’enfant, s’écria ma tante, comment va-t-elle?
— Madame, répondit M. Chillip, je me figurais que vous le saviez. C’est un garçon.»
Ma tante ne dit pas un mot; elle saisit son chapeau par les brides, le lança comme une fronde à la tête de M. Chillip, le remit tout bos elé sur sa propre tête, sortit de la chambre et disparut pour toujours.