Читать книгу Les hommes de cheval depuis Baucher - Charles-Maurice de Vaux - Страница 15
ОглавлениеLE CTE D’AURE Ancien Écuyer Cavalcadour
Quel que soit le mérite des hommes qui se sont distingués depuis une cinquantaine d’années dans la pratique raisonnée de l’équitation, il n’en faut pas moins convenir que deux d’entre eux, seulement, ont acquis une très grande célébrité, et auront une influence sérieuse sur les progrès de l’art équestre en France et à l’étranger.
Ces deux hommes, qu’il est à peine nécessaire de nommer, sont M. le comte d’Aure et M. Baucher.
M. d’Aure, dont il paraît naturel de s’occuper tout d’abord, était déjà écuyer en chef du célèbre manège de Versailles, et regardé par le monde équestre de cette époque comme un cavalier hors ligne, lorsque celui qui est devenu en quelque sorte son antagonisten’était encore connu que d’un petit nombre d’élèves studieux, et professait simplement dans une ville de province. En un mot, M. d’Aure jouissait déjà d’une très grande réputation au moment où le maître des maîtres en équitation savante commençait à peine à faire parler de lui.
Mais déjà M. d’Aure, quoique élevé dans les anciennes traditions, avait compris qu’au point de vue de la pratique nouvelle ces traditions devaient être modifiées; on peut même dire que non seulement il avait senti la nécessité de ces modifications, mais encore dans quel sens elles devaient avoir lieu. Ainsi, avant même la chute du manège de Versailles il entrevoyait déjà le but qu’il fallait atteindre; aussi se préparait-ilà être le représentant autorisé des nouveaux principes qui, selon lui, devaient servir de base à l’équitation du dehors, dans son ensemble, et à en régulariser, en quelque sorte, l’enseignement.
Ce n’est cependant pas comme théoricien que le grand improvisateur équestre laissera les souvenirs les plus durables, c’est comme praticien hors ligne; car il a eu, en effet, des titres incontestables à l’admiration du monde équestre de son temps, auquel il s’est imposé, on peut dire, par son tact et sa puissance à cheval. Et cela lui était d’autant plus nécessaire, qu’il avait également compris qu’avec les transformations qui s’étaient opérées dans la pratique de l’équitation, il fallait, pour rester un maître aux yeux de ceux qui avaient acquis, et en dehors des écoles et par habitude, un grand savoir-faire, joindre à un grand sentiment équestre une grande puissance d’action, être au besoin improvisateur et ne reculer devant aucune difficulté.
Du reste, il s’était admirablement préparé pour le rôle qu’il voulait remplir: écuyer brillant, ayant au suprême degré ce tact et cet à-propos que donne la pratique de l’équitation savante, il avait su conquérir, par son énergie et par sa persévérance, une tenue et une aisance admirables à cheval, qui lui permettaient de se jouer de difficultés que ne pouvaient vaincre même d’habiles cavaliers. Et, de plus, il était resté en mesure de monter magistralement un cheval d’école dressé par un écuyer de talent, et d’en tirer, à première vue, un parti dont ce dernier était souvent tout surpris.
Qui n’a entendu parler, en effet, des performances de M. d’Aure? Ne l’a-t-on pas vu, dans certaines circonstances, monter sans préparation des étalons de pur sang n’ayant pas été pratiqués depuis longtemps, et en obtenir des choses qui surprenaient les spectateurs? Aussi, on peut affirmer que, dans ces derniers temps, M. d’Aure est l’homme qui a fait le plus d’honneur à l’équitation française, et que s’il eût fallu qu’elle fût représentée en Europe dans un tournoi équestre, tous ceux qui ont pu apprécier son talent d’improvisateur l’eussent désigné pour remplir ce rôle.
Malgré tout, un écuyer de cette valeur n’eût pas laissé une trace lumineuse dans l’enseignement de son art, s’il n’eût été simplement qu’un magnifique acteur, remplissant de son prestigieux talent la scène où il s’est illustré, tout serait, pour ainsi dire, mort avec lui; et s’il fût resté grand pour la génération qui l’a connu, celle qui la suit l’eût bien vite oublié; et les célébrités du jour, qui sont plus ou moins loin de pouvoir être placées à la même hauteur que lui, occuperaient seules l’attention du monde équestre. Mais M. d’Aure n’est pas de ceux que cette génération puisse laisser dans l’oubli, car pour les cavaliers qui veulent aller au fond des choses, il a sa grande part dans les progrès qui se sont déjà accomplis, et qu’amènera encore la pratique de plus en plus raisonnée de l’équitation. Ainsi, sans être ce qu’on peut appeler un théoricien méthodique, et malgré même ce qu’il peut y avoir de contestable, surtout dans les débuts de son enseignement, on ne peut méconnaître que c’est lui qui a le mieux pressenti les exigences équestres du présent.
Guidé par un sentiment extraordinaire et une pratique très largement comprise, M. d’Aure, il faut le reconnaître, a posé deux principes dont il a peut-être exagéré la portée, mais qui, appliqués avec méthode, doivent rester les bases de l’équitation usuelle; principes, il faut le dire, qui paraissent avoir été méconnus par l’homme qui a amplement partagé avec lui l’admiration de la génération équestre qui s’éteint. Le premier, c’est que la base de toute équitation usuelle est d’obtenir une impulsion très franche au début du dressage; le second, c’est que la position de la tête et celle de l’encolure doivent être en raison de la vitesse de l’allure; de même que, selon lui, cet appui sur la main ferme et léger, que préconisaient les anciens, doit augmenter en raison directe de l’impulsion exigée. Mais, à ce propos, on peut ne pas être absolument de l’avis du célèbre cavalier.
C’est à ce sujet, du reste, qu’il a écrit une chose assez originale et qui peint merveilleusement sa pensée; la voici: Je ne puis mieux comparer, dit-il, la situation du cheval dirigé par l’homme qu’à celle de l’aveugle conduit par son chien; tant que la corde est tendue et qu’il suit son guide, l’aveugle marche en confiance; si la tension cesse, l’incertitude arrive.
On comprend, dès lors, la profonde différence qui existe entre le point de départ de M. d’Aure et celui de M. Baucher, lequel n’a cessé de préconiser la recherche de la légèreté absolue.
Quoi qu’il en soit, au point de vue de la pratique ordinaire, les principes posés par le dernier écuyer de Versailles ont une raison d’être, et, il ne faut pas craindre de le dire, doivent guider dans une certaine mesure tout homme qui s’occupe simplement d’équitation usuelle. La seule erreur du célèbre improvisateur, c’est d’avoir voulu appliquer ces principes à l’équitation savante, et, conséquemment, d’avoir méconnu la véritable exigence d’un rassembler correct, c’est-à-dire de ce rassembler dont la condition première est l’absence de toute espèce de tension de l’encolure, car cette tension entraîne forcément une contraction anormale de l’arrière-main, résultat d’une surcharge gênante, et nuisant à la fois à sa flexion et à son rapprochement naturel.
Ce que l’on peut aussi ne pas approuver, c’est que M. d’Aure, dans ses derniers écrits, a toujours eu trop en vue la critique des moyens d’action de son célèbre antagoniste. Néanmoins, il faut convenir que, dans certains moments, son sentiment exquis des nécessités de l’équitation usuelle lui a fait dire, malgré tout, des choses qui sont bien près de la vérité, comme celles-ci, par exemple:
La véritable équitation consiste à savoir commander aux forces et non à les détruire. En détruisant, on va plus vite peut-être pour ralentir et rassembler un cheval; mais aussi ne doit-on plus les trouver quand elles peuvent devenir nécessaires, dans un travail qui tend à développer les allures du cheval en le portant sur les épaules.
Évidemment, le puissant cavalier fait ici allusion à l’affaiblissement de cette force d’impulsion qui nécessite une énergique contraction de tous les extenseurs.
C’est peut-être aussi le moment d’avouer que M. d’Aure a partagé quelques-unes des erreurs de ses devanciers, et même d’ajouter qu’il a professé dans ses premiers écrits, certaines doctrines laissées ensuite dans l’ombre ou même presque désavouées plus tard. Mais cela ne peut faire oublier les grands services qu’a rendus à l’équitation cet admirable centaure à côté duquel semblaient s’effacer toutes les supériorités équestres. Aussi, le souvenir d’un tel homme, quelle que soit la façon dont on le juge, doit rester dans la mémoire de tous ceux qui se sont passionnés pour l’art équestre dans ces derniers temps.
C’est ce qui fait que celui qui représente aujourd’hui, avec tant de supériorité, l’équitation militaire comme l’équitation savante, et qui a été l’élève le plus assidu des deux hommes de cheval extraordinaires dont il vient d’être question et qui se sont partagé l’admiration du monde équestre contemporain, les confondit un jour dans sa pensée, en les qualifiant ainsi: Nos deux grands morts!