Читать книгу Les hommes de cheval depuis Baucher - Charles-Maurice de Vaux - Страница 20
ОглавлениеLE LT-COLONEL GUÉRIN
Il ne m’est pas possible de parler du colonel Guérin sans évoquer immédiatement le souvenir des luttes fameuses auxquelles donna lieu l’apparition de Baucher dans le monde hippique, tant militaire que civil. L’ancien écuyer en chef de Saumur, comme beaucoup d’hommes de cheval de cette époque, qui ne connaissaient pas le fameux écuyer, le considéraient comme un saltimbanque, tout au plus bon à parader dans un cirque, en uniforme de théâtre, dont on n’avait plus à s’occuper une fois la représentation terminée.
Cependant il n’en était pas ainsi, et le colonel Guérin fut un des premiers à le reconnaître.
La réputation de Baucher était telle que le général Oudinot, qui montait à cheval de la façon la plus remarquable, voulut aussi aller voir cet écuyer de cirque, sorti par lui-même de l’obscurité. Le général Oudinot avait commandé jusqu’en1830l’École de cavalerie, qu’il avait réorganisée de fond en comble. Mettant de côté son amour-propre d’homme de cheval éminent, le général se rendit plusieurs fois au cirque et reconnut qu’il y avait dans Baucher quelque chose de vrai et de supérieur dans la pratique à tout ce qui avait paru jusqu’alors.
Ayant conservé une sorte de tutelle sur l’École de cavalerie, le général Oudinot, très en faveur à cette époque, ne voulant pas s’en rapporter à sa propre appréciation, fit venir à Paris le commandant de manège Rousselet, un des hommes de cheval personnifiant le mieux l’École française par son tact, sa douceur, sa position à la Nestier et son exécution toujours pure et dégagée de tous effets de force et de contrainte.
Le général Oudinot, dans sa bonne foi de vieux soldat, ne pensant qu’au parti qu’on pouvait tirer des moyens employés par Baucher, se rendit au cirque avec le commandant Rousselet, qui s’empressa de rendre justice au savant praticien, avec lequel il eut du reste une longue entrevue.
C’est vers cette époque que le colonel Guérin faisait, en qualité de sous-maître, son entrée au manège de Saumur. C’était l’élève du commandant Rousselet, pour lequel il professait, du reste, une admiration sans bornes. Il ne pouvait entrer dans l’esprit du jeune élève que son maître fût appelé à aller dans un cirque pour y admirer un saltimbanque. Aussi grande était la curiosité du sous-maître de connaître l’opinion du commandant, dont il attendait le retour avec la plus grande anxiété.
Dès le retour du commandant Rousselet et à sa première apparition au manège, le sous-maître Guérin lui dit: «Eh bien, mon commandant, on a voulu vous apprendre à brider le cheval par la tête!»
Quelle ne fut pas la stupéfaction de l’élève lorsque M. Rousselet lui répondit, avec son bienveillant sourire:
–Non, mon enfant, non, on n’a point voulu m’apprendre –ce que je savais, Baucher n’est point un saltimbanque; il est l’auteur d’une méthode toute nouvelle. Chose surprenante, il est aussi précis dans ses explications qu’il est précis en selle: c’est toute une révolution qui se prépare dans l’équitation.
Le commandant Rousselet, qui connaissait l’amour de son élève pour le cheval, ajouta: Vous êtes appelé à aller loin en étudiant les principes de M. Baucher, avec votre amour de l’art, vos heureuses dispositions et votre tendance à rechercher le pourquoi, vous irez loin.
Comme, dès la rentrée du commandant Rousselet à Saumur, le ministre de la guerre avait donné l’ordre à M. de L’Herme de Novital de venir à Paris pour étudier la méthode Baucher, celui-ci revint à l’École émerveillé de ce qu’il avait vu, abjurant le passé. Il s’empara aussitôt de ses sous-maîtres pour les initier à ce qu’il avait appris. Dire combien ces nouveaux moyens, expliqués avec précision et suivis de résultats inconnus jusqu’à ce jour, électrisèrent ces jeunes sous-maîtres est impossible, et déjà, dans leur modeste sphère, ils causaient et discutaient sans cesse entre eux de cette méthode, alors que, dans des régions plus élevées, les passions et les inimitiés s’allumaient.
Vers le milieu de janvier1843, Baucher envoyait à Saumur ses deux chevaux Partisan et Neptune, avec lesquels il était reçu pour initier à sa méthode les capitaines instructeurs de Saumur et les écuyers instructeurs des régiments qui y étaient convoqués.
Baucher monta à plusieurs reprises Partisan, qui restera comme la plus remarquable expression de sa méthode. Comme l’a dit le baron d’Étreillis dans son livre: Écuyers et cavaliers, Baucher voulait prouver par la perfection du travail de son cheval, qui était un pur-sang, la valeur de sa méthode. Il eut un plein succès.
En dehors des leçons qu’il donnait aux capitaines instructeurs, Baucher voulut aussi avoir le cours des sous-maîtres. Il leur donna la leçon pendant un mois, et parmi ceux-là figuraient le colonel Guérin et M. Dijon, qui fut plus tard écuyer commandant à l’École d’état-major. Guérin fut l’élève privilégié de Baucher, qui lui donna à dresser Nelson, un cheval d’une rétivité extrême et excessivement dangereux par ses défenses. Ce cheval fut dressé très rapidement.
Baucher fut émerveillé du travail de son élève. Vous avez la solidité du comte d’Aure, lui dit-il, vous savez ce que vous faites et savez le dire. Les camarades de Guérin ajoutèrent: , , Et un jour, c’est toi qui seras écuyer en chef de l’École.
Baucher quitta l’École en laissant au commandant de Novital le soin de continuer ses leçons; et, disons-le, à la louange de cet homme de cheval, il ne négligea rien pour faire triompher la méthode Baucher, qui recrutait chaque jour de nouveaux partisans.
La mauvaise foi, la haine, tout fut mis en œuvre pour combattre le savant écuyer.
Parmi les plus hostiles à la nouvelle école, se trouvait le comte d’Aure, qui, ayant gagné à sa cause le duc de Nemours, arrivait à se faire nommer, quoique civil, écuyer en chef de l’École de cavalerie.
D’Aure était, je dois le dire, un homme de cheval de grande valeur, dont la réputation avait été faite par sa belle prestance et sa solidité à cheval. Comme il venait à Saumur pour déraciner la plaie et détruire la gangrène, le jeune Guérin, qui était alors sous-lieutenant sous-écuyer, lui fut signalé comme un bauchériste effréné; le comte d’Aure, qui pouvait obtenir, si tel avait été son bon plaisir, le renvoi de cet officier, se contenta de le plaisanter; mais comme, en somme, il lui reconnaissait une grande valeur équestre, il fut plein de bienveillance pour lui.
Le passage du comte d’Aure à l’École de cavalerie de Saumur ne produisit rien de bien saillant. L’École fut nulle en tant que progrès en équitation, et à part le livre qu’il écrivit, il ne fut pas, quoique célèbre à juste titre dans les annales de l’équitation, ce que l’on appelle un maître dans toute l’acception du mot.
D’Aure était un splendide improvisateur, bien fait pour stupéfier les spectateurs; mais, pour de véritables connaisseurs, il n’obtenait ses résultats que par des effets de force, une brutalité sans égale qui terrifiait le cheval qu’il montait.
Il avait de bonnes idées cependant, et c’est à lui qu’on doit la part si large qui a été faite à Saumur, à l’équitation hardie, qui est le propre de celle qu’on doit enseigner à des soldats. Il s’est attaché à développer cette instruction par le travail en carrière, qui était limité avant lui au terrain de manœuvre, le Chardonnet. Quand les courses furent instituées à Saumur, il y fit participer les élèves, ce qui donna un grand élan au travail du dehors. Mais, je le répète, d’Aure montait fort peu au manège, et il ne savait rien y enseigner.
Lorsqu’en1855, il quitta le commandement de l’Ecole, M. Guérin, qui n’avait alors que quatre ans de grade de capitaine, fut nommé écuyer en chef, quoique ne figurant pas au tableau d’avancement et qu’il y eût des capitaines plus anciens que lui dans le cadre de l’École.
C’est le comte d’Aure qui désigna le capitaine Guérin, son antagoniste cependant, pour lui succéder dans la direction du manège de Saumur.
Deux ans après, le capitaine Guérin fut promu chef d’escadron et, en1864, il quitta, après avoir formé plus de deux mille élèves, le manège de l’École par voie d’avancement.
Dès qu’il prit le commandement du manège, le capitaine Guérin, qui venait de produire son premier ouvrage: L’École de cavalerie au manège, s’attacha à uniformiser l’enseignement et à y établir une fusion entre ce que l’on appelait la méthode d’Aure et la méthode Baucher, l’une symbolisant l’équitation hardie du dehors et l’autre l’académie équestre de haute école; et voulant arriver, coûte que coûte, à obtenir des résultats sérieux, il prêcha d’exemple en montant en reprise d’écuyer Intrépide, un cheval de demi-sang, de1m, 67, et remontant le lendemain le même cheval pour suivre une chasse en forêt, ce qui ne l’empêcha pas d’arriver le premier à l’hallali. Il dressa ensuite Norfolk, un cheval anglais grand, trapu, très ardent, et qui était encore plus cheval de haute école que le premier.
L’un et l’autre avaient été dressés selon la méthode Baucher, et comme ils étaient aussi brillants à l’intérieur qu’à l’extérieur, la démonstration était facile.
Les cours de l’écuyer en chef Guérin, que je m’honore d’avoir eu pour Maître, étaient très intéressants, cela était dû en grande partie à la manière claire et lucide avec laquelle il captivait ses élèves dans ses explications.
Mais le commandant Guérin voulut vulgariser cette fusion et détruire à tout jamais le préjugé que le cheval de haute école était impropre aux exercices extérieurs. Pour arriver à ce but, il prit lui-même la direction de ses sous-maîtres de manège, et à l’aide d’un travail progressif et raisonné il forma une pépinière d’écuyers qui marqua et dont on parle encore. Ce furent MM. Esnault, Triboulet, Javez, Serre, de Maillé et Chaverondier, aujourd’hui colonel commandant le dépôt de remonte de Caen.
Ces jeunes gens exécutaient au manège tout le travail de haute école avec une précision digne d’envie, montaient les sauteurs en liberté d’une façon très remarquable et montaient en carrière avec la plus extrême vigueur.
Le commandant Guérin, qui a fait paraître un autre ouvrage sur le dressage du cheval de guerre, n’a jamais été préoccupé que d’une pensée: celle de prendre à chacun des écuyers, prédécesseurs de Baucher, ce qui lui semblait bon et pratique pour la cavalerie, d’écarter le faux et l’inutile, tout ce qui tenait du cheval savant, pour, avec son expérience, en former un tout rationnel.
Parmi les nombreux chevaux qui ont été dressés par le colonel Guérin, qui a poussé jusque dans ses dernières limites l’équitation hardie, inaugurée par le comte d’Aure, il s’en trouve quelques-uns de fort connus des hommes de cheval, tels que Masque, un anglo-arabe qui séduisit si bien M. de Thanneberg, alors inspecteur des haras, qu’il voulut en faire un étalon, malgré ses vingt-deux ans. Il n’avait pas une tare et Dieu sait s’il était bauchérisé.
Après lui, je citerai Homère, qui fut pris poulain, et qui fut le dernier cheval que dressa M. Guérin, comme écuyer en chef. Il marchait à un passage très élevé et très soutenu, pendant un temps illimité, sur toutes les lignes de une ou deux pistes, exécutant avec brio toutes les figures de manège, en changeant de pied tous les deux temps.
Norfolk et Intrépide, dont j’ai déjà parlé, étaient aussi réguliers dans leur travail de haute école que brillants à l’extérieur.
Avec ces deux chevaux, le colonel Guérin avait atteint le but qu’il poursuivait depuis longtemps, pour infirmer l’opinion erronée qu’un cheval bauchérisé était disloqué, privé de toute initiative et par cela même automate au manège, sans initiative et sans détente à l’extérieur.
L’écuyer en chef Guérin a donc justifié la bonne opinion que jeune encore il avait fait naître dans l’esprit de Rousselet, de L’Herme de Novital, Baucher et d’Aure lui-même qui, ayant, un jour, monté Intrépide, dit aux officiers qui l’accompagnaient: „ ce b. de Guérin a parfaitement compris ma méthode; je n’ai jamais monté un cheval plus agréable que celui-ci.
Le colonel Guérin, par son travail, ses aptitudes et son amour pour le cheval qu’il cultivait comme un artiste, et par les élèves et les écrits qu’il a laissés, a marqué sa place dans les annales de l’équitation.