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M. BAUCHER
Оглавлениеjuste titre on peut dire que l’œuvre de M. Baucher est celle qui a eu le plus de retentissement dans le monde équestre contemporain; car, non seulement ce maître, au point de vue de l’équitation savante, est l’homme qui a le plus reculé les limites de son art; mais ses théories, quoiqu’elles aient été très discutées, surtout au début de son enseignement, n’en sont pas moins très séduisantes et en partie basées sur des vérités équestres incontestables qui, dans tous les cas, serviront de point de départ aux hommes de cheval de l’avenir.
Quant aux moyens d’action qu’il a préconisés, il est peut-être prématuré aujourd’hui de vouloir en apprécier toute la portée et surtout d’indiquer ceux qui passeront définitivement dans la pratique générale. Néanmoins, on est obligé de convenir que la plus grande partie de ses moyens d’action sont employés, avec succès, par la plupart des cavaliers qui se livrent sérieusement à l’étude de l’équitation. Dans tous les cas, ce qu’on peut affirmer, c’est que les nouveaux principes posés, en dernier lieu, par M. Baucher, pour obtenir ce qu’il a qualifié d’équilibre de premier genre– main sans jambes! jambes sans main–paraissent destinés à simplifier les principes de dressage, en ce qui regarde surtout l’emploi ordinaire du cheval.
Seulement, à ce sujet, ce dont nous croyons qu’il faudra toujours tenir compte pour beaucoup de raisons, c’est que tout travail en place doit toujours être précédé de l’obtention d’une impulsion franche et énergique, à volonté. De même qu’il sera toujours nécessaire de laisser la position de la tête et de l’encolure se modifier en raison de l’allure exigée. On doit ajouter aussi que cette tension des rênes que beaucoup de cavaliers regardent comme la conséquence forcée d’une allure vive, n’implique nullement une résistance aux effets de la main. On peut très bien admettre en effet que la main suive en quelque sorte la tension de l’encolure, pour donner à l’allure plus de fixité, sans que pour cela des résistances se manifestent quand elle agit pour ralentir ou diriger.
Ce qu’il ne faut pas croire surtout, c’est qu’après avoir eu principalement en vue, pendant longtemps, la concentration des forces de l’animal, M. Baucher se soit déjugé en proclamant, en dernier lieu, cet aphorisme: «Main sans jambes, jambes sans main», seul moyen d’obtenir, selon lui, l’équilibre du premier genre. Ce serait une erreur; car les bases du célèbre novateur restent les mêmes, puisqu’il s’agit toujours de la recherche de la légèreté et d’un équilibre qui permette de mobiliser facilement la masse dans tous les sens. Aussi peut-on dire que les différentes pratiques que son génie équestre lui a suggérées, tendent toutes vers ce but.
D’un autre côté, que l’on discute ou non la portée des moyens d’action qu’il a préconisés pendant la plus grande partie de sa carrière équestre, il n’en faut pas moins convenir que c’est avec eux qu’il est parvenu à produire en public26chevaux, dont la plupart ont eu un travail des plus remarquables, et dont plusieurs ont été montés, aux grands applaudissements de ce même public, par des amazones formées généralement en très peu de temps.
Qui ne se rappelle, du reste, ces magnifiques sujets de cirque devenus légendaires: Partisan, cheval de pur sang, acheté500fr., parce qu’il se défendait et dont le travail était d’un fini si élégant; Capitaine, Buridan, Neptune, tous exécutant avec une régularité parfaite des mouvements très compliqués et nous faisant admirer des allures artificielles extraordinaires et variées.
Aussi, même parmi ceux qui contestent la portée pratique de ses premières théories, n’y a-t-il, malgré tout, qu’une voix pour proclamer que M. Baucher a été le génie incarné de l’équitation savante.
On peut donc croire qu’il y a un certain intérêt à mettre en relief, non seulement l’idée-mère de son système de dressage, mais aussi à faire comprendre, en même temps, pourquoi ses théories et ses premiers moyens d’action ont donné lieu à tant de controverses; comme ce qui a fait que beaucoup de cavaliers, même parmi les mieux doués, n’ont pas obtenu, en pratiquant sa méthode, les résultats qu’ils étaient en droit d’en attendre.
Toutes ces choses, du reste, tiennent à des causes assez multiples, que l’on peut résumer en quelques lignes.
Et d’abord, il faut avouer qu’à ses débuts surtout, M. Baucher s’est aliéné beaucoup d’hommes de cheval, en paraissant méconnaître la valeur des travaux de ses devanciers; ensuite, que ses affirmations ont eu souvent un caractère trop absolu, et qu’il les a présentées quelquefois sous une forme trop métaphorique. De plus, on ne peut méconnaître que ses puissants moyens d’action étaient, à une certaine époque surtout, plus difficiles à employer qu’il ne le pensait; car ils exigeaient à la fois un grand sentiment équestre et une gradation infinie dans leur mode d’emploi. Enfin, au point de vue physiologique, ce maître a paru s’appuyer sur une théorie très contestable. Cela seul suffirait pour légitimer les résistances que ses doctrines ont rencontrées dès le début de son enseignement.
Voici maintenant la donnée principale du système de M. Baucher.
Selon lui, on doit rechercher, avant tout, la légèreté absolue, c’est-à-dire toute absence de résistance au moindre effet des rênes, et rendre, par cela même, très facile la position du ramener. On arrive à ce résultat au moyen de l’assouplissement des muscles de l’encolure, et par suite de toutes les puissances musculaires qui peuvent faciliter les résistances instinctives de l’animal. Cette légèreté et la position du ramener amenant forcément l’équilibre de la masse, celle-ci devient alors facile à mobiliser dans tous les sens. Puis, après cela il s’agit, par des oppositions de main et de jambes adroitement graduées, et sans prendre sur l’action nécessaire au mouvement, d’arriver à rapprocher, à volonté, les extrémités postérieures du centre de gravité, jusqu’au point où l’action des fléchisseurs prime tellement sur celle des extenseurs, que cette action ne peut plus se produire qu’en élévation. De plus, il reste bien entendu que dans tous ces exercices, le sujet ne doit offrir aucune résistance aux effets de la main, ce qui se constate par la mobilité constante de la mâchoire.
Une fois ceci obtenu, toutes les puissances musculaires du cheval sont, d’après M. Baucher, à la disposition du cavalier, et l’animal ne doit plus se mouvoir que par des forces transmises, expression qui laisse sans doute beaucoup à désirer, mais qu’a paru vouloir maintenir le créateur de la nouvelle méthode d’équitation.
En somme, ce qui ressort de ses théories, c’est que les indications données par le cavalier sont d’autant mieux comprises du sujet que ses dispositions instinctives peuvent moins se manifester. A ce propos, du reste, il a posé un principe lumineux qui domine l’ensemble de son enseignement et paraît destiné à servir de base à toute équitation rationnelle; ce principe, c’est qu’il faut toujours parler à l’intelligence du cheval par la position.
Maintenant, il est nécessaire de mentionner ici un des puissants moyens d’action de M. Baucher, au moins en ce qui regarde sa première manière; c’est ce qu’il a qualifié très heureusement d’effet d’ensemble; opposition simultanée de mains et de jambes appropriée au résultat que l’on veut obtenir, soit qu’il s’agisse de s’opposer à des manifestations de forces instinctives, soit qu’on veuille immobiliser la masse.
Voici le moment venu de faire mieux comprendre pourquoi les théories et les moyens d’action de M. Baucher ont donné lieu à tant de controverses, et comment les difficultés de leurs applications sont cause qu’entre certaines mains elles n’ont pas donné de résultats toujours satisfaisants.
D’une part, l’équilibre préconisé par M. Baucher pendant la plus grande partie de sa carrière équestre, est, on peut le dire, un équilibre très artificiel, surtout lorsque la construction de l’animal exige (pour employer ses expressions) une constante concentration de forces, pour le maintenir dans un ramener complet, et, à plus forte raison, quand il s’agit d’obtenir de la cadence et de l’élévation dans les allures. C’est alors que l’emploi énergique de l’éperon devient d’absolue nécessité. Or il ne faut pas oublier qu’au début de son enseignement il se servait de l’éperon à cinq pointes et qu’il était indispensable de suivre une gradation bien calculée, pour ne pas amener des désordres difficiles à réprimer, c’est-à-dire éveiller une susceptibilité telle que certains chevaux en arrivaient à ne plus vouloir même supporter le contact des jambes. Dans tous les cas, il y avait là une grande difficulté d’exécution que ses disciples les plus studieux et les mieux doués parvenaient seuls à vaincre. Il faut ajouter aussi que l’abus ou même simplement l’emploi répété de l’éperon, avait l’inconvénient de provoquer, surtout chez les juments, une irritabilité particulière, se traduisant par des fouaillements de queue et des contractions de croupe, qui nuisent beaucoup à la correction du travail comme à la franchise des allures.
M. Baucher, du reste, n’a pas été sans reconnaître la difficulté et les inconvénients de l’emploi de l’éperon, tel qu’il est constitué généralement; car, plus tard, non seulement il a recommandé de le modifier sensiblement, mais il a cru devoir donner les indications nécessaires pour l’employer d’une façon de plus en plus graduée.
Il en a été de même, du reste, de plusieurs autres de ses moyens d’action. Les agissements de ceux qui n’avaient pas un tact équestre suffisant avaient éclairé le grand novateur sur bien des choses, et son radicalisme. équestre–pour parler le langage du jour–avait fait place à un opportunisme plus en rapport avec les difficultés de la pratique.
BAUCHER
Mais tout cela ne peut avoir qu’une importance secondaire quand il s’agit de porter un jugement sur l’ensemble de l’œuvre du maître des maîtres en équitation savante, et, surtout, n’infirme en aucune façon les grandes vérités équestres qu’il nous a laissées. N’est-ce pas lui qui a proclamé qu’au point de vue des parties de la bouche qui sont en contact avec le mors, il n’y a, en réalité, aucune différence appréciable de sensibilité, entre les différents sujets; pas plus qu’il n’y en a en ce qui regarde les téguments sur lesquels agissent les talons.
Évidemment, tout cela tient à l’état moral de l’animal, au peu d’habitude qu’il a contractée de répondre convenablement à nos moyens d’action, ou plutôt à la manière dont on a procédé au début du dressage.
Mais il faut ajouter aussi que cela ne peut avoir pour cause le manque de souplesse de certains foyers musculaires, et, encore moins, des vices de conformation, comme a paru le croire M. Baucher.
Il est nécessaire, à présent, de parler de ce que ce maître entendait par l’équilibre correct de la masse, comme aussi de juger sa manière d’apprécier le genre d’équilibre qu’exigeaient ses devanciers, et surtout celui que semblait préconiser son célèbre antagoniste.
D’après M. Baucher, le poids de la masse doit être réparti également sur les quatre extrémités; non seulement au ramener, mais encore dans les effets de concentration; voire même dans le rassembler le plus complet. Il ne peut être question à ce propos, bien entendu, de ce qu’imposent les translations de poids nécessaires aux différents mouvements exigés. Sa manière de voir, sur ce sujet, peut évidemment être discutée; néanmoins, ce qu’il y a de certain, c’est qu’il a su tirer un énorme parti de ce genre d’équilibre. Mais là où il s’est trompé, c’est lorsqu’il a paru affirmer que ses devanciers exigeaient de leurs chevaux un équilibre tout différent, et que son contradicteur (M. d’Aure) en avait adopté un autre, entièrement opposé à celui des anciens. Ainsi, selon lui, l’équilibre adopté par les fondateurs de l’école française comportait une surcharge sur l’arrière-main, et celui qui serait la conséquence des principes posés par M. d’Aure, une surcharge sur l’avant-main. C’est évidemment une double erreur. D’un côté, l’équilibre qu’indiquent les gravures du temps, représentant M. de la Guérinière ou M. de Nestier à cheval, est simplement celui qu’ils exigeaient de leurs chevaux d’école, lesquels devaient travailler sur les hanches, comme on disait, ce qui donne, en effet, beaucoup de brillant aux allures. Mais ce genre d’équilibre n’était pas exigé des chevaux destinés au dehors, car personne ne menait plus librement que nos anciens écuyers les sujets employés pour l’usage ordinaire. C’est ce qui faisait que nos hommes de cheval en grande réputation, comme étaient le vicomte et le chevalier d’Abzac, montaient si bien, à première vue, les sujets les plus difficiles. Quant à l’équilibre que M. d’Aure donnait à ses chevaux, il ne peut être évidemment celui qu’indique M. Baucher dans les dernières éditions de ses œuvres. M. d’ Aure exigeait bien que ses chevaux d’école fussent fixés sur la main, mais il voulait également que leur arrière-main se trouvât aussi légèrement en surcharge. Seulement, il est évident que le dernier écuyer en chef de Versailles a semblé indiquer que chez les chevaux destinés au dehors, l’avant-main devait supporter plus de poids que l’arrière-main; non pas, il est vrai, dans des proportions exagérées, comme pourraient le faire croire les affirmations de M. Baucher. Maintenant, si l’on compare l’équilibre que les anciens écuyers donnaient à leurs chevaux d’école avec celui que paraît avoir exigé des siens M. d’Aure, on peut dire que chez les anciens c’étaient les reins et les hanches de l’animal qui, par leur flexion, venaient se charger d’une partie du poids de devant, tandis que l’arrière-main des chevaux d’école de M. d’Aure se trouvait en surcharge, par suite de l’élévation du bout de devant, comme on disait volontiers.
Quoi qu’il en soit de toutes ces choses, on peut très bien admettre que l’équilibre préconisé par M. Baucher, c’est-à-dire celui où le poids de la masse se trouve également partagé sur les quatre extrémités, quel que soit leur rapprochement, a sa raison d’être, si l’on tient bien compte du but qu’il voulait atteindre; l’absorption complète des puissances musculaires de l’animal par son cavalier. Et, tout en convenant que ce genre d’équilibre a ses inconvénients, celui, par exemple, de trop tendre à annuler les forces instinctives de l’animal, on peut affirmer que le tact équestre, si extraordinaire du maître, les empêchait de se produire. Après tout, on ne saurait trop le répéter: n’est-ce pas dans cet équilibre qu’il nous a fait admirer les surprenants chevaux d’école qui nous ont tellement ébloui, que nous n’avons pensé que plus tard à analyser et à discuter les puissants moyens d’action dont il se servait.
Maintenant voici le moment d’aborder cette grosse question: Comment se fait-il qu’à un moment donné, vers la fin de sa carrière équestre, M. Baucher a paru reléguer au second plan les pratiques qui lui avaient donné des résultats si extraordinaires, pour proclamer la supériorité de nouveaux principes en apparence opposés aux premiers. Et cela doit paraître d’autant plus singulier que l’homme avait toujours été trop affirmatif, pour ne pas craindre de paraître se déjuger. Quoi qu’il en soit, il est bien certain que dans ce qu’on peut appeler sa seconde manière, M. Baucher a fait preuve d’autant de sagacité équestre, d’autant d’esprit d’observation que dans toutes les phases de son enseignement.
Quant aux nouveaux principes qui constituent cette seconde manière, on doit ajouter qu’ils paraissent avoir été mis seulement en pratique par quelques cavaliers d’élite; qu’ainsi, jusqu’à présent du moins, ils ont passé presque inaperçus. L’homme, du reste, ne pouvait pas leur donner par lui-même une consécration éclatante, n’étant plus en état de monter énergiquement à cheval; et puis, en définitive, il faut une certaine attention pour bien se rendre compte de leur portée.
J’en reviens donc à cette question vraiment intéressante pour ceux qui s’occupent sérieusement de l’art équestre: qu’est-ce qui a pu pousser le grand maître en équitation savante à chercher à obtenir de ses chevaux, ou plutôt des chevaux qu’il a fait dresser sous sa direction, un équilibre différent de celui avec lequel il avait opéré des merveilles? Il y a, selon moi, deux raisons principales pour expliquer ce fait. La première, on peut dire, est celle que M. Baucher nous a donnée dans les lignes qui vont suivre; quant à la seconde, il n’en a peut-être pas eu bien conscience; néanmoins, c’est peut-être cette raison qui devait le plus l’entraîner à faire de nouvelles recherches, afin d’arriver à rendre plus pratiques l’emploi de nos moyens d’action.
En ce qui regarde la première raison, voici ce que M. Baucher a écrit en dernier lieu: Avec le premier équilibre je modifiais les mauvaises conditions et les constructions plus ou moins défectueuses de mes chevaux; j’obtenais par moments une légèreté très grande, mais qui diminuait par suite d’un nouveau mouvement, d’un changement de direction… et mal. gré les progrès continus de ces chevaux, je reconnaissais (sic) chaque jour un nouveau desideratum, au lieu qu’avec le nouvel équilibre il ne me reste plus rien à désirer.
Du reste, la cause véritable des petites résistances que rencontrait M. Baucher, et qu’il ne spécifie pas, est facile à définir. Dans son premier équilibre, qualifié plus tard d’équilibre du second genre, la position qu’il imposait à l’animal était, je l’ai déjà dit, tout artificielle, au moins en ce qui concerne le travail d’école; aussi, le cheval devait tendre sans cesse à en sortir, surtout dans les changements d’allures ou de mouvements, puisque les oppositions constantes de main et de jambes, qui le maintenaient dans cet équilibre, cessaient forcément un instant de se produire. Il fallait donc un grand tact et un grand à-propos, pour s’opposer efficacement aux tendances instinctives du sujet. C’est ce qui devait rendre la légèreté constante bien difficile, sinon impossible à obtenir, surtout quand on avait affaire à des constructions défectueuses. Mais la grande raison, à mon avis, qui fait que M. Baucher s’est livré en dernier lieu à de nouvelles recherches, lesquelles l’ont amené à formuler le fameux aphorisme équestre, main sans jambes, jambes sans main, c’est que le maître, après avoir perdu à la suite d’un fatal accident une grande partie de sa puissance d’action à cheval, et s’être vu dans la nécessité de renoncer aux effets énergiques de concentration, puis, peut-être aussi, un peu désabusé sur la portée des résultats qu’obtenaient la plupart de ses imitateurs, a dû chercher dans une direction opposée, et par des moyens d’exécution faciles à employer, une légèreté et un équilibre plus à portée de la masse des cavaliers.
Un trait de lumière avait paru, du reste, l’éclairer, le jour où il a dit: Voyez le cheval courant dans la prairie, quelle souplesse, quelle légèreté dans les mouvements! Ici, il faut l’avouer, nous sommes déjà loin de l’époque où le maître parlait de la raideur commune à tous les chevaux, et où il écrivait ceci: Le cheval, quelque favorisé qu’il soit de la nature, a besoin d’un exercice préalable pour disposer de ses forces, etc., etc. N’a-t-il pas dit aussi, bien avant qu’il fût question de sa seconde manière: Le cheval ne peut conserver un parfait et constant équilibre que par une combinaison de forces opposées, habilement ménagées par le cavalier.
Mais rien n’est vraiment plus puéril que d’opposer à eux-mêmes les grands chercheurs, les hommes qui, dans un art quelconque, ont passé leur vie en quête de la vérité absolue, et n’ont longtemps rencontré que des vérités relatives. Il faut laisser cela à ceux qui, pour une raison quelconque, se sont donné la mission de les amoindrir.
A présent, ce qu’il est utile de mentionner, c’est qu’on peut bien ne pas classer, comme M. Baucher l’a fait, les deux genres de moyens d’action que son génie équestre lui a suggérés. Ainsi, pour moi, la première manière de ce maître, en tant qu’il s’agira de donner un équilibre artificiel à des sujets peu disposés pour le travail d’école, aura toujours une très grande utilité; elle aura même pour résultat, si on le veut, de donner à l’animal l’équilibre qu’exigeaient nos anciens maîtres, en admettant même que l’on ait affaire à des natures assez ingrates. Car, après tout, si M. Baucher a dit: «Tous les chevaux peuvent se ramener», il est rationnel d’affirmer, également, que tous les chevaux, pour peu qu’ils conviennent à la selle, peuvent arriver, par l’action des fléchisseurs des reins et de la croupe, à un rassembler correct; c’est-à-dire à se mouvoir de façon que l’arrière-main se charge aisément d’une partie du poids de l’avant-main; ce qui donne, évidemment, beaucoup de brillant au travail. Or, avec ce genre de rassembler (et ceci est important à noter), il n’y a aucune raison pour que les changements d’allures et de direction ne s’opèrent sans que la main perçoive la moindre résistance, puisque ces résistances ne peuvent, en réalité, se produire que dans un équilibre trop artificiel; c’est-à-dire lorsque, avec le rapprochement des extrémités, l’avant-main reste chargé du même poids que l’arrière-main. De plus, il est certain que dans l’équilibre adopté par les anciens écuyers pour les chevaux d’école les hanches peuvent rester diligentes comme le veut celui que je considère comme notre maître à tous, en matière d’équitation savante, le général L’Hotte.
Mais avant d’achever cette étude sur M. Baucher, il me paraît utile de revenir encore un peu sur le principe qui sert de base à sa seconde manière; et surtout de faire ressortir ce qu’il a d’avantageux pour la pratique de l’équitation usuelle; et cela tout en constatant qu’il peut également s’approprier au dressage des chevaux d’école; en un mot, qu’avec lui, on peut aborder toutes les difficultés de l’art équestre.
Main sans jambes, jambes sans main! Ce dernier mot du maître signifie, naturellement, pas d’oppositions contradictoires, c’est-à-dire pas d’effets simultanés de main et de jambes. En d’autres termes, d’après ce principe, les jambes ne doivent être employées que pour impulsionner et la main pour diriger, ralentir ou arrêter. En n’employant qu’un moyen d’action à la fois, a dit M. Baucher, soit celui des jambes pour impulsionner, soit celui de la main pour opérer les translations de poids utiles à tel ou tel mouvement, le cavalier peut apprécier à l’instant le degré de justesse avec lequel il agit. Ainsi, selon le maître, il ne faut pas que les jambes servent à corriger les fautes de la main et la main celles des jambes.
On doit comprendre, de suite, la simplicité de cette nouvelle théorie et la portée qu’elle peut avoir pour la pratique usuelle; surtout, si l’on tient bien compte des trois effets de main que M. Baucher a indiqués, en dernier lieu, et qui complètent la série de moyens que doit employer un cavalier ordinaire pour dresser convenablement un jeune cheval. Aussi, à mon avis, le plus grand service qu’aura rendu à la pratique équestre le grand prestidigitateur en haute école, c’est d’avoir formulé, en dernier lieu, des principes simples et applicables à l’emploi ordinaire du cheval.
Je sais bien qu’à ses yeux les nouveaux principes qu’il nous a laissés doivent toujours avoir pour corollaire cette légèreté constituée par la mobilité moelleuse de la mâchoire; car, selon lui, quand la légèreté n’est pas complète, c’est que l’équilibre de la masse laisse à désirer. Mais, d’une part, il faut commencer par le dire, M. Baucher n’entend pas, évidemment, par ouverture moelleuse de la mâchoire, ce cliquetis convulsif causé par le rapprochement des dents de l’animal que d’aucuns ont cru, à tort, être son desideratum; car il n’est, au contraire, que l’expression agaçante de l’impatience qu’éprouve l’animal. Ensuite, il ne faut pas craindre de le dire, les principes du maître des maîtres en équitation savante sont un peu trop absolus. En effet, le cheval qui ne pense plus à résister aux effets de la main, ouvre naturellement la mâchoire, quand le mors agit. Or, il m’a toujours paru que l’absence de résistance amenait constamment, à bien peu de chose près, ce que recherchait M. Baucher. Dans tous les cas, cette absence de résistance me paraît très suffisante dans la généralité des cas.
A présent, j’oserai dire en terminant que ce qu’on peut reprocher à l’ensemble des théories émises par le maître, c’est de ne pas avoir paru tenir assez compte du cheval moral; car on ne doit plus l’ignorer aujourd’hui, le cheval moral est tout. Et de Brèves a eu raison d’affirmer que la volonté étant le mobile du mouvement, c’était la volonté qu’il fallait atteindre chez l’animal.
Sans doute, on peut affirmer que, dans la pratique, M. Baucher se préoccupait énormément du cheval moral; seulement, il n’en a peut-être pas paru assez comprendre la constante nécessité. Et cependant, dans son premier écrit, le Dictionnaire raisonné d’équitation, il avait dit cecii: J’ai toujours cru à l’intelligence du cheval, et c’est sur cette opinion que j’ai basé ma méthode et tous les principes énoncés dans cet ouvrage. Grâce à elle, en maîtrisant la volonté de l’animal, je suis parvenu à n’exiger de lui que ce qui avait été saisi par son intelligence.
Du reste, il n’y a pas à en douter, si l’on cherche bien, on trouve tout dans ce qu’a écrit cet écuyer extraordinaire, et on lui devra aussi une foule de moyens très ingénieux, et qu’il serait trop long d’énumérer ici, pour arriver plus facilement à se faire comprendre du sujet, et l’obliger à répondre à nos moyens d’action. Son travail à la cravache en particulier est un des exemples frappants de la fécondité de ses ressources équestres. Et n’est-il pas arrivé même, en dernier lieu, à utiliser d’une façon toute particulière le caveçon, instrument dont il parut proscrire l’emploi à ses débuts, mais dont il a fini par se servir ingénieusement pour faciliter le travail de ses élèves, et empêcher les fautes de la main d’avoir de trop mauvaises conséquences. Puis, chose qui prouve bien que l’homme était tout entier à son art, c’est qu’il donnait encore, sur son lit de mort, à son disciple préféré et au moment où sa pensée presque éteinte allait quitter la terre, une indication, suprême et savante à la fois, sur le rôle assigné à la main.
Aussi, quand on considère, dans son ensemble, l’œuvre de M. Baucher, on reste convaincu que cet homme de cheval surprenant a conquis, à tout jamais, une place à part dans l’histoire de l’équitation.
Son œuvre est incontestablement celle qui laissera le plus de traces dans la pratique équestre; quant à l’habileté de l’homme, elle a été, pour ainsi dire, sans égale, et ses tours de force équestres presque inimitables. Et, non seulement il a élargi de beaucoup le cercle des difficultés équestres que l’on peut vaincre, mais si quelques-unes de ses théories peuvent être discutées et présentent certaines difficultés dans leur application, il n’en a pas moins proclamé des vérités équestres incontestables, en éclairant magistralement des choses laissées dans l’ombre par ses plus habiles devanciers.