Читать книгу Les Oeuvres Complètes de la Comtesse de Ségur - Comtesse de Ségur - Страница 140

XVIII - Le baptême

Оглавление

Pierre et Camille devaient être parrain et marraine d’un enfant qui venait de naître, et dont la mère avait été bonne de Camille.

Camille voulait qu’on donnât son nom à sa filleule. «Pas du tout, dit Pierre; puisque je suis parrain, j’ai droit de lui donner un nom, et je veux l’appeler Pierrette.»

CAMILLE. – Pierrette! mais c’est un affreux nom! Pas du tout, je ne veux pas qu’elle s’appelle Pierrette. Elle s’appellera Camille; je suis la marraine, et j’ai le droit de l’appeler comme moi.

PIERRE. – Non; c’est le parrain qui a le plus de droits, et je l’appellerai Pierrette.

CAMILLE. – Si tu l’appelles Pierrette, je ne veux pas être marraine.

PIERRE. – Si tu l’appelles Camille, je ne veux pas être parrain.

CAMILLE. – Eh bien! faites comme vous voulez; je demanderai à papa d’être parrain à votre place.

PIERRE. – Et moi, mademoiselle, je demanderai à maman d’être marraine à votre place.

CAMILLE. – D’abord, je suis sûre que ma tante ne voudra pas qu’elle s’appelle Pierrette; c’est affreux et ridicule!

PIERRE. – Et moi je suis certain que mon oncle ne voudra pas qu’elle s’appelle Camille; c’est horrible et bête!

CAMILLE. – Et comment donc m’a-t-il appelé Camille, moi? Va lui dire que c’est un nom horrible et bête; va, mon bonhomme, et tu verras comme tu seras bien reçu.

PIERRE. – Enfin, tu diras ce que tu voudras, mais je dis que je ne serai pas parrain d’une Camille.

— Papa, dit malicieusement Camille en courant à son père, voulez-vous être parrain avec moi de la petite Camille?

LE PAPA. – Quelle Camille, chère Minette? Je ne connais de Camille que toi.

CAMILLE. – C’est ma petite filleule, papa, que je veux appeler Camille quand on la baptisera aujourd’hui.

LE PAPA. – Mais Pierre doit être parrain avec toi; on n’a jamais deux parrains.

CAMILLE. – Papa, Pierre ne veut plus l’être.

LE PAPA. – Ne veut plus? Pourquoi ce caprice?

CAMILLE. – Parce qu’il trouve le nom de Camille horrible et bête, et qu’il veut l’appeler Pierrette.

LE PAPA. – Pierrette! Mais c’est bien ce nom-là qui serait horrible et bête.

CAMILLE. – C’est ce que je lui ai dit, papa; il ne veut pas me croire.

LE PAPA. – Écoute, ma fille, tâche de t’entendre avec ton cousin. Mais, s’il persiste à ne vouloir être parrain qu’à la condition de l’appeler Pierrette, je le remplacerai très volontiers.

Pendant cette conversation de Camille avec son papa, Pierre avait couru chez sa maman.

«Maman, lui dit-il, voulez-vous remplacer Camille, et être marraine avec moi de la petite fille qu’on doit baptiser aujourd’hui?»

LA MAMAN. – Pourquoi donc remplacer Camille? La bonne demande que ce soit elle qui soit marraine.

PIERRE. – Maman, c’est parce qu’elle veut que la petite fille s’appelle Camille; je trouve ce nom très laid, et, comme je suis parrain, je veux qu’elle s’appelle Pierrette.

LA MAMAN. – Pierrette! Mais c’est un affreux nom! Autant Pierre est joli, autant Pierrette est ridicule.

PIERRE. – Oh! maman, je vous en prie, laissez-moi l’appeler Pierrette… D’abord, je ne veux pas qu’elle s’appelle Camille.

LA MAMAN. – Mais, si aucun de vous ne veut céder, comment vous arrangerez-vous?

PIERRE. – Voilà pourquoi, maman, je viens vous demander de remplacer Camille pour appeler la petite Pierrette.

LA MAMAN. – Mon pauvre Pierre, d’abord je te dirai franchement que je ne veux pas non plus de Pierrette, parce que c’est un nom ridicule. Et puis la mère de l’enfant a été bonne de Camille et non pas la tienne, et tu penses bien que c’est surtout Camille qu’elle veut avoir pour marraine de sa fille. Je crois même qu’elle sera contente que son enfant porte le nom de Camille.

PIERRE. – Alors je ne veux pas être parrain.

Camille accourut au même instant.

CAMILLE. – Eh bien! Pierre, es-tu décidé? On va partir dans une heure; et il faut absolument un parrain.

PIERRE. – Je veux bien qu’elle ne s’appelle pas Pierrette, mais je ne veux pas qu’elle s’appelle Camille.

CAMILLE. – Puisque tu veux bien céder pour Pierrette, je veux bien aussi céder pour Camille. Tiens, faisons une chose, demandons à ma bonne quel nom elle veut donner à sa fille!

PIERRE. – Tu as raison; va le lui demander.

Camille repartit en courant; elle revint aussitôt.

«Pierre, Pierre, ma bonne veut que sa fille s’appelle Marie-Camille.»

PIERRE. – Lui as-tu demandé s’il ne fallait pas l’appeler Pierrette, puisque je suis parrain?

CAMILLE. – Si, je le lui ai demandé: elle s’est mise à rire; maman a ri aussi: elle ont dit que c’était impossible, que Pierrette était trop laid.

Pierre rougit un peu; pourtant, comme il commençait lui-même à trouver Pierrette un nom ridicule, il ne dit rien et soupira.

«Où sont les dragées?» demanda-t-il.

CAMILLE. – Dans un grand panier qu’on emportera à l’église. On laissera ici les boîtes et les paquets. Tout est prêt; viens voir combien il y en a.

Ils coururent à l’antichambre, où tout était préparé.

PIERRE. – Pour quoi faire tous ces centimes? Il y en a presque autant que de dragées.

CAMILLE. – C’est pour jeter aux enfants de l’école.

PIERRE. – Comment, aux enfants de l’école? Nous irons donc à l’école après le baptême?

CAMILLE. – Mais non: c’est pour jeter à la porte de l’église. Tous les enfants du village sont rassemblés, et on jette en l’air des poignées de dragées et de centimes: ils les attrapent et les ramassent par terre.

PIERRE. – Est-ce que tu as déjà vu jeter des dragées?

CAMILLE. – Non, jamais, mais on dit que c’est très amusant.

PIERRE. – Je crois que je n’aimerai pas cela; bien certainement ils se battent, ils se font mal. Et puis je n’aime pas qu’on jette les dragées aux enfants comme à des chiens.

— Camille, Pierre, venez, voici l’enfant qui arrive; on va bientôt partir, s’écria Madeleine qui arrivait tout essoufflée.

Tous partirent en courant pour aller au-devant de l’enfant.

«Oh! que notre filleule est belle!» dit Pierre.

CAMILLE. – Je crois bien! elle a une robe brodée tout autour, un bonnet de dentelle, un manteau doublé de soie rose.

PIERRE. – Est-ce toi qui as donné tout cela?

CAMILLE. – Oh non! je n’avais pas assez d’argent; c’est maman qui a tout payé, excepté le bonnet, que j’ai acheté de mon argent.

Tout le monde était prêt; quoiqu’il fît très beau temps, la calèche était attelée pour mener l’enfant avec sa nourrice, le parrain et la marraine. Camille et Pierre étaient fiers de se trouver, comme de grandes personnes, tout seuls dans la voiture. Ils partirent; moi, j’attendais, attelé à la petite voiture des enfants; Louis, Henriette, Jacques et Jeanne montèrent dedans; Madeleine et Élisabeth se mirent devant pour mener, et Henri grimpa derrière: les mamans, les papas et les bonnes étaient partis les uns après les autres pour se trouver près de nous en cas d’accident, mais ce n’était que par excès de prudence, car, avec moi, ils savaient qu’il n’y avait rien à craindre.

Je partis au galop, malgré la charge que je traînais; mon amour-propre me poussait à atteindre et même à dépasser la calèche. J’allais comme le vent; les enfants étaient enchantés.

«Bravo! criaient-ils. Courage, Cadichon! Encore un temps de galop! Vive Cadichon, le roi des ânes!»

Ils battaient des mains, ils applaudissaient.

«Bravo! criaient les personnes que je dépassais sur la route. En voilà-t-il un âne! Il court tout comme un cheval. Allons, hardi, bonne chance et pas de culbute!»

Les papas et les mamans, qui étaient échelonnés le long du chemin, n’étaient pas très rassurés; ils voulurent me faire ralentir, mais je ne les écoutai pas, et je n’en galopai que mieux. Je ne tardai pas à rattraper la calèche; je passai triomphalement devant les chevaux qui me regardaient avec surprise. Se trouvant humiliés, eux qui étaient partis avant, d’être dépassés par un âne, ils voulurent aussi se mettre au galop; mais le cocher les retint, et ils furent obligés de ralentir leur pas, tandis que j’allongeais le mien.

Quand la calèche arrêta à la porte de l’église, tous mes petits maîtres et maîtresses étaient déjà descendus de voiture, et moi, je m’étais rangé le long d’une haie pour avoir de l’ombre; j’avais chaud, j’étais essoufflé.

À mesure que les parents arrivaient, ils admiraient ma vitesse, et ils faisaient compliment aux enfants sur leur équipage.

Le fait est que nous faisions un bon effet, ma voiture et moi. J’étais bien brossé, bien peigné; mon harnais était ciré, verni; il était semé de pompons rouges; on m’avait mis des dahlias panachés rouge et blanc au-dessus des oreilles. La voiture était brossée, vernie. Nous avions très bon air.

J’entendis par la fenêtre ouverte la cérémonie du baptême; l’enfant cria comme si on l’égorgeait. Camille et Pierre, un peu embarrassés de leurs grandeurs, s’embrouillèrent en disant le Credo; le curé fut obligé de les souffler. Je jetai un coup d’oeil à la fenêtre: je vis la pauvre marraine et le malheureux parrain rouges comme des cerises, et les larmes dans les yeux. Pourtant, ce qui leur arrivait était bien naturel, et arrive à bien des grandes personnes.

Quand la petite Marie-Camille fut baptisée, on sortit de l’église pour jeter aux enfants, qui attendaient à la porte, les dragées et les centimes. Aussitôt que le parrain et la marraine parurent, les enfants crièrent tous ensemble: «Vive le parrain! vive la marraine!»

Le panier de dragées était prêt; on l’apporta à Camille, pendant qu’on donnait à Pierre le panier de centimes. Camille prit une poignée et la fit retomber en pluie sur les enfants; là commença une véritable bataille, une vraie scène de chiens affamés. Les enfants se disputaient les dragées et les centimes: tous se précipitaient vers le même point; ils s’arrachaient les cheveux; ils se battaient, ils se roulaient par terre, ils se disputaient chaque dragée et chaque centime. Il y en eut la moitié de perdus, foulés au pied, disparus dans l’herbe. Pierre ne riait pas; Camille, qui avait ri aux premières poignées, ne riait plus; elle voyait que les batailles étaient sérieuses, que plusieurs enfants pleuraient, que d’autres avaient la figure égratignée.

Quand ils furent remontés en voiture: «Tu avais raison, Pierre, dit-elle; la première fois que je serai marraine, je donnerai les dragées à tous les enfants, mais je ne les jetterai pas.

— Ni moi les centimes, dit Pierre, je les donnerai comme toi.»

La voiture partit; je n’entendis pas la suite de leur conversation.

Les miens remontèrent dans mon équipage. Mais, cette fois, les papas et les mamans voulurent nous accompagner.

«Cadichon a produit son effet, dit la maman de Camille; il peut revenir plus sagement, ce qui nous permettra de faire la route avec vous.

— Maman, dit Madeleine, est-ce que vous aimez cet usage de jeter aux enfants des dragées et des centimes?»

LA MAMAN. – Non, chère enfant, je trouve cela ignoble: les enfants deviennent semblables à des chiens qui se battent pour un os. Si jamais je suis marraine dans ce pays-ci, je ferai donner des dragées, et je ferai porter aux pauvres l’argent qu’on dépense en centimes, perdus en grande partie.

MADELEINE. – Vous avez bien raison, maman; tâchez, je vous en prie, que je sois aussi marraine pour faire comme vous dites.

LA MAMAN, souriant. – Pour être marraine, il faut avoir un enfant à baptiser, et je n’en connais pas.

MADELEINE. – C’est ennuyeux! J’aurais été marraine avec Henri. Comment nommeras-tu ton filleul, Henri?

HENRI. – Henri, comme de raison; et toi?

MADELEINE. – Je l’appellerai Madelon.

HENRI. – Quelle horreur! Madelon! D’abord ce n’est pas un nom.

MADELEINE. – C’est un nom tout comme Pierrette.

HENRI. – Pierrette est plus joli; et puis, tu vois bien que Pierre a cédé.

— Je pourrai bien céder aussi, dit Madeleine en riant, mais nous avons le temps d’y penser.

Nous arrivions au château; chacun descendit de voiture et alla défaire sa belle toilette; on m’enleva aussi mes pompons, mes dahlias, et je revins brouter mon herbe pendant que les enfants mangeaient leur goûter.

Les Oeuvres Complètes de la Comtesse de Ségur

Подняться наверх