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ALLOCUTION

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Lue dans la séance publique du 3o mai 1900.

PAR

M. H. BEAUNE

Président de l’Académie (classe des Lettres).

MESSIEURS,

Permettez-moi, au nom de la Compagnie, de vous remercier tous de votre présence et de souhaiter une seconde fois la bienvenue à ceux d’entre vous qui sont nos hôtes d’un jour. J’en ressens un honneur trop grand pour que je le décline, et un plaisir trop rare pour que je puisse me flatter de le goûter à nouveau dans un troisième centenaire.

Vous êtes venus assister au Carmen sæculare de l’Académie, à une Assemblée tout à fait originale, qui ne tient qu’une session par siècle, où l’on ne connaît ni discussions aigres ou stériles, ni jalousies, ni rivalités, où il ne se dit que des choses aimables, et pour laquelle, par une faveur qui excite toute notre gratitude, la Maison de Ville s’est galamment ouverte à une vieille dame qui depuis deux siècles se donne l’unique mission d’accueillir la science et de distribuer des couronnes au talent comme à la vertu. Sans la municipalité lyonnaise, elle n’aurait pu faire une toilette digne de vous. On la disait même si caduque qu’on la prétendait morte: seulement, elle ne voulait pas qu’on le sût.

Ce qui vous a attirés ici, ce n’est donc pas l’espoir de rencontrer en elle les restes d’une beauté qui brilla longtemps de ses premiers feux et qui n’a plus rien à ménager dans l’arrière-saison, c’est le seul désir de lui marquer votre sympathie. Et c’est juste au moment où une grande fête du travail captive tous les regards que vous êtes venus vous enfermer en province pour nous donner le meilleur de votre temps! Dussiez-vous imputer la redite à son grand âge, l’Académie ne me pardonnerait pas d’omettre l’expression publique de sa reconnaissance et j’y ajoute celle de la cité qui montre, elle aussi, par son constant labeur et la vigueur de son industrie, l’étonnant ressort d’une nation à laquelle, malgré ses épreuves, Dieu conserve une intarissable fécondité.

Puisque nous avons la bonne fortune de nous rencontrer ensemble dans un pays qui sait calculer, vous me permettrez bien aussi de compter notre or, je devrais plus modestement dire notre cuivre, en famille; de rappeler en deux mots non pas notre histoire — elle a été magistralement retracée hier — mais quelques traits épars de notre physionomie. Car enfin, ce n’est pas d’hier qu’on travaille en France, et si nous vous avons conviés à la commémoration de notre origine, c’est, avouons-le simplement, que nous en sommes fiers et qu’il nous reste encore assez d’ardeur pour chercher avec vous, dans le sillon creusé par deux siècles, la trace un peu défraîchie de notre enfance. C’est que ces premières heures nous apparaissent maintenant, comme au père de famille, les touchants souvenirs du temps où il aidait à se tenir debout la petite fille aujourd’hui devenue une vénérable matrone; c’est qu’il y eut ici, alors comme en ce moment, malgré la différence des conditions, des liens étroits entre les hommes d’étude, un asile ouvert hors des soucis matériels à toutes les manifestations libres et désintéressées de la pensée humaine, un oasis de l’idéal, un corps resté fidèle en même temps à ses traditions, car il est bon qu’il y ait ça et là quelques institutions qui échappent à l’éternel devenir et ne confondent pas le progrès avec la mobilité. N’est-il pas vrai, Messieurs, que par cela même elles sont, malgré l’ambition du mot, une véritable force sociale? Je vous en prends à témoin, Messieurs des Académies et Sociétés voisines, et ne pouvant les citer toutes, je veux nommer au moins la première, celle qui honore la France, qui en porte le nom et en soutient la gloire, car c’est à elle, à l’Académie française, que remontent les nobles inspirations qui vont au loin stimuler les intelligences; c’est dans cet inépuisable dépôt que s’alimente la réserve d’atticisme, de culture et d’élévation d’esprit, de santé morale dont ne peut se passer notre nation.

Croyez-vous qu’elles lui soient inutiles, ces demeures hospitalières où l’on s’instruit, où l’on parle honnêtement, librement, où, dans le domaine des sciences comme dans celui des lettres, se rencontrent sans se combattre les opinions les plus diverses et les tenants de tous les partis, où se conserve jalousement, par exemple, dans sa pureté, notre langue si belle, si claire, si nerveuse, qui a si merveilleusement servi tant de génies et qui a peine de nos jours à se défendre contre tant d’efflorescences maladives? Et regarderiez-vous simplement comme un luxe cette admirable famille qui siège au Palais Mazarin, où la science du bien dire s’efface, dans ses grandes fêtes, derrière celle du bien faire, pour rendre honneur à des choses aujourd’hui fort démodées, dit-on, à la piété filiale, à la charité, au dévouement, à l’immolation de soi-même?

Ah! Messieurs, Dieu me garde de comparer, même de loin, notre Compagnie à celle-là et d’oublier que notre mérite n’est fait que de notre modestie! Mais enfin, Boileau n’est-il pas un peu, de par l’amitié, sinon par le sang, un de nos ancêtres, un de nos parrains au moins, et, dans les bonnes familles qui se respectent, tient-on à la porte les parents pauvres?

Je ne répondrais pas, il est vrai, qu’elle ne se soit repentie plus tard d’avoir refusé l’affiliation parisienne qui lui était offerte par le fils de Racine et n’ait tenu qu’un compte médiocre de ses sept véritables aïeux, pensant peut-être de ceux-ci ce que la grande Mademoiselle disait de la duchesse de Guise, sa grand’mère maternelle: «Elle est ma grand’maman de loin, elle n’est pas reine.» Je ne répondrais pasqu’un jour, comme les princesses des contes de Perrault, elle n’ait eu en tête d’épouser un fils de roi, j’entends un homme de génie, un grand homme. Qui pourrait lui en faire un crime? C’étaitle temps où on lisait encore Amadis de Gaule, où l’on admirait l’Astrée, où les grands seigneurs n’estimaient guère que les héros et taillaient leur plume avec leur épée. Est-ce pour cela que quelques-uns, dit-on, écrivaient si mal? Mais les héros sont toujours rares et le génie se fait souvent attendre. En revanche, notre Compagnie compta beaucoup de talents: c’est une monnaie moins brillante, moins sonore, mélangée de plus d’alliage, qui en vaut cependant une autre, alors même qu’elle est de celles que le frai a usées et que le numismate relègue dans la pénombre des coins oubliés. Les médisants prétendent qu’à ses savantes études se mêlèrent un instant trop de petits vers, trop de bouquets à Chloris, et que la mythologie chère à nos devanciers mettait tous les matins le cap sur la Grèce, pour n’aborder le soir qu’au boudoir de Mme de Pompadour. Mais il faut se défier des mauvaises langues et il y a fort à rabattre de leurs propos.

La vérité est que, sans le savoir, la province subissait en ce temps la mode de Paris, même dans les choses graves, témoin l’un des nôtres, Servan, dont le nom, jadis célèbre, n’éveille plus d’écho, quoique sa philosophie ait étonné ses contemporains, lorsqu’elle ne les inquiétait pas. La vérité est que l’Académie eut à ces heures lointaines trop de greffes, pas assez de sauvageons, mais que les importations étrangères ne lui firent du moins jamais perdre le goût du terroir; et de cela on doit la louer, car la sagesse, la rectitude du jugement, l’indomptable énergie du labeur et le robuste bon sens sont des qualités éminemment lyonnaises qui suffisent à remplir les interrègnes du génie: ne les a pas qui veut; on en hérite ici de père en fils, en ligne directe; l’esprit seul, l’esprit léger surtout, n’y est qu’un collatéral.

Bref, si nous n’avons pas encore acquis cette facilité, cette aisance, cette verve aimable et gaie, ce je ne sais quoi qui distingue le Parisien et ses œuvres, nous tirons maintenant l’eau de notre puits pour faire pousser des roses ou des choux — c’est au public à le dire — mais nous restons résolument dans notre jardin: ce n’est peut-être pas le moyen de faire beaucoup de bruit, mais c’est encore la meilleure façon de se rendre utile au voisin et, quand on est vieux, de se rajeunir par des services.

Des services! oh! le mot paraîtra gros, mais je ne m’en dédis pas. Quel autre nom donner, sans parler de l’histoire locale, si abondamment, si curieusement fouillée, aux travaux scientifiques, économiques, philosophiques, esthétiques qui se réflètent sur la cité et en attisent le progrès? Et pour n’en citer entre tous qu’un seul, comment oublier ces récompenses distribuées chaque année aux grandes, aux belles et généreuses actions, qui font du bien non seulement aux humbles qui les reçoivent, mais encore à ceux qui les donnent et au public qui y applaudit? La vertu, l’Académie en a fait son domaine, elle a le droit de dire avec le poète:

Mon sillon le voici; ma gerbe la voilà.

Car enfin, il ne faut pas croire qu’on ne fasse à Lyon que de la soie. Il y a encore bien des têtes résolues à faire autre chose. Ce n’est pas pour rien qu’on a fait à ses enfants une réputation d’opiniâtreté mêlée à je ne sais quel élan de vague mysticisme. Quand le type s’incarne dans une figure illustre, il se nomme le doux Ballanche ou l’amer Jules Favre dans les lettres, et dans les arts Puvis de Chavannes. Mais au-dessous de ces frères aînés, que de cadets inconnus! Sous son calme apparent, sous sa démarche posée, sous la gravité douce de son regard, que le Lyonnais ne recèle-t-il pas de ténacité, de fermentation et d’efforts ambitieux! Je me souviens malgré moi, bien qu’il ne soit pas notre compatriote, de ce qu’on raconte du grand paysagiste Corot, le Claude Lorrain du XIXe siècle.

Il s’était juré d’être peintre et, à chaque jour de l’an, il répétait ce serment à son père. L’inébranlable négociant répondait toujours: «Retourne à ton magasin.» C’étaient toutes ses étrennes et le jeune homme rentrait à la boutique. Une fois pourtant il se mit en révolte. Il était depuis longtemps majeur. Son père lui dit tranquillement: «C’est bien, je te fais i 5oo francs de rente, pas un sou de plus.» Voilà comment Corot devint peintre. Tous les Corots ne sont pas à Paris, il y en a aussi à Lyon. Seulement c’est l’Académie qui, sans qu’on l’en sollicite, prend souci de leur vocation et se charge de leur viatique. Les 1500 francs bien comptés y sont, avec quelques sous de plus.

Mais je m’aperçois un peu trop tard qu’en parlant de ce que j’aime, je ne sais pas m’arrêter. Pardonnez-moi, Messieurs, ce plaidoyer pro domo; après le bonheur de croire, je n’en connais pas de plus grand que celui de faire partager son culte, et c’est un culte aussi que l’affection, je n’ose dire l’admiration.

Je termine donc par où j’ai commencé. Certains murmurent que dans un siècle il ne restera rien de nous. Oh! nous n’attendrons pas si longtemps. Mais si nos œuvres, nos pauvres œuvres fugitives doivent promptement s’ensevelir dans l’oubli, il restera du moins à l’Académie le souvenir des souffrances qu’elle a soulagées et du bien qu’elle a pu accomplir, il lui restera la mémoire ineffaçable de votre aimable visite et des liens que ce jour aura resserrés entre nous. Notre maison est pleine et nos cœurs le sont encore plus. Comment vous l’exprimer? Il y a des années et des années, sous la Révolution, un évêque espagnol, ayant reçu une mitre tressée de feuilles de palmier, en fit présent à un prélat français émigré en Castille et lui dit: «Cette mitre de palme, j’ai voulu l’essayer à ma tête et elle ne me va pas du tout. Faites-moi la grâce de l’accepter. Sur la vôtre elle sera à sa juste mesure.» Messieurs, qui nous êtes venus du dehors, nous n’avons pas malheureusement de mitres à vous offrir, mais nous savons bien pour qui les palmes sont faites et les fronts que nous aimerions à en couronner.

L'Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Lyon

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