Читать книгу L'Académie nationale des sciences, belles-lettres et arts de Lyon - Diverse Auteurs - Страница 7
LES DEUX PREMIERS SIÈCLES DE L’ACADÉMIE DE LYON
ОглавлениеLu dans la séance publique du 29 mai 1900
PAR
M. OLLIER
Correspondant de l’Institut
Président de l’Académie (classe des Sciences)
MESSIEURS,
L’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon célèbre solennellement aujourd’hui son deuxième Centenaire. Elle obéit à un sentiment de pieuse reconnaissance pour les hommes qui l’ont fondée et pour tous ceux qui, par un travail incessant, lui ont valu deux siècles d’honneur, de gloire et de prospérité.
C’est avec une vive et sincère satisfaction que nous avons vu accourir à cette solennité de nombreux associés, membres émérites et correspondants de l’Académie.
Nous sommes particulièrement reconnaissants aux illustres membres de l’Institut de France (de l’Académie française et de l’Académie des Sciences) qui nous ont apporté le fortifiant témoignage de leurs sympathies. Au nom de l’Académie, je les prie d’agréer nos plus vifs remerciements.
Je remercie aussi les membres des Sociétés savantes de Lyon, les membres des Académies et Sociétés savantes des régions voisines, qui ont bien voulu se joindre à nous dans cette solennelle circonstance. Le concours de toutes ces sympathies justifie l’importance que nous avons attachée à la commémoration des deux premiers siècles de notre Académie qui a rendu, durant toute cette période, de continuels services à la cité et à la région lyonnaises.
Ces services ont été de tout temps reconnus et encouragés par les représentants du pouvoir central et les autorités municipales, quel que soit le nom qu’elles aient porté depuis deux siècles, et nous sommes heureux de voir ces traditions se continuer de nos jours. Aussi saluons-nous avec respect tous les représentants des pouvoirs publics en les remerciant de l’appui moral qu’ils nous font l’honneur de nous apporter aujourd’hui.
Il y aura demain deux cents ans que l’Académie de Lyon a été fondée. Elle tint sa première séance le 3o mai 1700, chez un de ses membres, Falconnet, qui exerçait la médecine à Lyon, et devait, sept ans après, se fixer à Paris et siéger à l’Académie des inscriptions. Brossette, l’ami et le correspondant de Boileau, fut le premier secrétaire de l’Académie, qui n’était, au début, composée que de sept membres. Ses premières réunions furent consacrées à discuter la célèbre démonstration cartésienne de l’existence de Dieu.
Si ces débuts furent modestes, l’Académie ne tarda pas à grandir. Elle attira bientôt à elle les hommes les plus éminents de la cité, soit dans les sciences, soit dans les lettres, et, quelques années après, en 1724, par le fait de la protection active des Villeroy, du gouverneur d’abord et du cardinal ensuite, elle reçut des lettres patentes du Roi qui lui donnèrent une existence légale.
A l’occasion de son deuxième Centenaire, et pour dresser le bilan des efforts qu’elle a faits et des services qu’elle a rendus, l’Académie a demandé à ses différentes sections un rapport sur ce qu’elle a produit elle-même, par le travail de ses membres, ou fait produire autour d’elle, grâce aux travaux suscités par ses concours, dans ces deux premiers siècles.
La classe des Sciences a eu pour interprètes MM. Léger, Locard et J. Teissier. MM. Bleton, Rougier et Pariset ont rendu compte des travaux accomplis par la classe des Lettres. M. Sainte-Marie Perrin s’est chargé de la section des Beaux-Arts. Ces remarquables rapports, réunis dans un volume qui a pu être distribué aujourd’hui même, sont précédés d’une introduction sur l’origine de l’Académie, par notre secrétaire général pour la classe des Lettres, M. Vachez. Ils forment un tableau assez complet, quoique nécessairement très abrégé de l’histoire de notre Compagnie.
Dès ses premières années, avant même sa consécration par l’autorité royale, et sans avoir les ressources de la publicité que la Presse nous fournit si abondamment aujourd’hui, l’Académie rayonnait au dehors, et tous les hommes de lettres et savants étrangers, qui passaient à Lyon, tenaient à honneur d’être admis à ses assemblées.
Bientôt elle s’adjoignit des membres associés, et parmi ceux qui réclamèrent cet honneur, nous trouvons Louis Racine, Quesnay, Vaucanson, Voltaire, La Condamine, Maupertuis, Le Cat, Daubenton, Pequet, Condillac, Guitton de Morveau, Ducis, Montgolfier, La Harpe, Saussure, Buffon, Franklin, Monge, Chaptal, et beaucoup d’autres savants ou littérateurs de la fin du dernier siècle. Buffon fut le premier qui reçut l’association sans en avoir fait la demande. Il est vrai que l’illustre naturaliste venait de recevoir le même honneur de l’Académie française, dont il avait été nommé membre sans avoir fait de visites, et même, disait-il, sans y penser.
Voltaire, qui s’était soumis à la formalité nécessaire, tint beaucoup à se faire recevoir en séance publique. Nommé associé en 1745, il écrivait, peu de temps après, à Bollioud-Mermet, secrétaire de l’Académie: «Je vois que bientôt Lyon sera plus connu dans l’Europe par ses Académies que par ses manufactures. Vous redoublez l’envie que j’ai de me faire recevoir.»
Il fut solennellement reçu le 6 décembre 1754, et fit, à cette occasion, un séjour à Lyon, qui est resté, pour nous Lyonnais en particulier, un des épisodes les plus intéressants de l’histoire littéraire de cette époque. Il fut accueilli, non seulement par l’Académie, mais par la population tout entière, avec un enthousiasme indescriptible. Au théâtre, dans les salons, dans la rue, c’étaient des ovations continuelles.
Voltaire en parut vivement touché, et, en quittant Lyon, il lui adressa un adieu poétique, qui montre combien il avait été frappé par le double aspect que présentaient déjà le caractère et l’esprit des Lyonnais d’alors, pratiques et spéculatifs à la fois, mystiques à leurs heures, commerçants et artistes, industriels et lettrés, calmes habituellement, mais susceptibles d’un enthousiasme débordant. Ce dernier aspect avait dû surtout frapper l’auteur de Brutus, qui reçut à la représentation de cette tragédie la plus sensationnelle de ses ovations.
En s’éloignant d’eux, Voltaire disait aux Lyonnais:
Il est vrai que Plutus est au rang de vos dieux.
Ailleurs il est aveugle, il a pour vous des yeux,
Il n’était autrefois que Dieu de la Richesse,
Vous en faites le Dieu des Arts.
J’ai vu couler dans vos remparts
Les ondes du Pactole et les eaux du Permesse...
Jusqu’en 1758, l’Académie n’était encore que l’Académie des Sciences et Belles-Lettres. L’Académie des Beaux-Arts, établie cependant en même temps, par les lettres patentes de 1724, en était restée distincte. Mais, dès 1758, les deux Académies furent réunies sous le nom d’Académie des Sciences, Belles-Lettres et Arts de Lyon, nom qu’elle porte encore aujourd’hui.
La seconde moitié du XVIIIe siècle fut la période la plus brillante du premier siècle de notre Compagnie. Son activité s’étendit dans toutes les directions, dans les sciences, dans les lettres, dans les arts. Elle ne resta étrangère à aucune des questions scientifiques dont les applications touchaient aux intérêts de la cité.
Les questions d’hygiène publique et de médecine y tiennent souvent le premier rang, mais les questions de chimie et de technique industrielles, l’invention ou le perfectionnement des procédés de fabrication, les questions d’agronomie et de statistique agricole, les questions d’économie politique, que Quesnay avait depuis longtemps déjà soulevées dans le milieu lyonnais (commerce, transports, douanes), toutes les questions en un mot qui intéressaient la richesse de notre pays furent l’objet des préoccupations constantes de l’Académie. L’histoire et l’archéologie locale furent aussi l’objet de ses recherches et le sujet de ses prix.
Mais ce n’est pas seulement des intérêts locaux et régionaux qu’elle s’occupe: elle vise plus haut, se mêle aux discussions et aux recherches d’intérêt général, et s’efforce de prendre part aux découvertes et aux inventions qui font encore la gloire de notre nation.
Aux noms des Soufflot, des Perrache, des Morand, des Poivre, des Pouteau, des Rozier, des Bourgelat, des Patrin, je pourrais en joindre beaucoup d’autres, mais je veux seulement rappeler deux événements auxquels l’Académie a été intimement mêlée, qu’elle a préparés par son contrôle et favorisés par ses encouragements et la participation de ses membres.
Lorsque, en 1783, le marquis de Jouffroy lança sur la Saône le premier bateau qui put marcher sans le secours de la voile, de la rame ou des bêtes de trait, il fit son expérience mémorable sous les auspices et avec le contrôle de l’Académie.
Il ne s’agissait pas de faire marcher un petit bateau que la moindre force eût pu mettre en mouvement. Le bateau avait 140 pieds de long (46 mètres) et 14 pieds de large (4 m. 50). Ce n’était donc pas une expérience de laboratoire, mais une tentative immédiatement susceptible d’applications pratiques. Cinq membres de l’Académie se trouvaient sur le bateau, qui remonta la Saône de Lyon à l’Ile-Barbe, avec une vitesse de deux lieues à l’heure. Le trajet fut répété plusieurs fois, aux applaudissements de la foule qui encombrait les rives. Pendant seize mois, on put voir ce bateau naviguer sur la Saône.
Jouffroy voulut aller à Paris refaire ses expériences et perfectionner son œuvre, mais là il n’éprouva que des déboires dus à l’hostilité des uns ou à l’indifférence des autres.
La Révolution et les guerres de l’Empire interrompirent les recherches de Jouffroy; il les reprit plus tard, mais alors il était trop âgé et surtout trop ruiné pour les mener à bien. Presque oublié par ses contemporains, il mourut en 1832, à l’Hôtel des invalides, sans avoir eu la joie suprême de connaître les revendications qu’Arago et Cauchy allaient bientôt faire en sa faveur, en réclamant pour lui la gloire d’avoir donné le premier la démonstration pratique de la navigation à vapeur.
Jouffroy n’était pas né à Lyon, mais il était devenu lyonnais par son mariage et le séjour prolongé qu’il fit dans notre ville. C’est à Lyon et par des mains lyonnaises qu’il avait fait construire son pyroscaphe; c’est de nos quais qu’il l’avait fait partir. Sa gloire ne doit donc pas nous être indifférente. Aussi l’Académie avait-elle demandé, il y a trente-cinq ans, qu’un monument fût élevé en son honneur.
Il a déjà sa statue à Besançon, mais Lyon ne peut l’oublier, et nous devons rappeler aux générations futures que c’est ici, à quelques pas de nous, qu’a été, pour la première fois, réalisée une invention qui, depuis, a révolutionné le monde.
Un autre événement du même ordre, qui eut plus de retentissement que l’expérience du marquis de Jouffroy, vint l’année suivante montrer de nouveau la part active que prenait l’Académie au progrès de la science et au perfectionnement des grandes inventions.
Le 19 janvier 1784, de Montgolfier et Pilastre du Rozier firent leur fameuse ascension en ballon, accompagnés d’un membre de l’Académie, le comte de Laurencin, et de deux autres personnes. Avant de se lancer dans cette périlleuse entreprise, Montgolfier avait expliqué son invention à l’Académie, qui avait nommé une Commission pour suivre et contrôler tous les préparatifs de l’expérience. Montgolfier était déjà associé de l’Académie; quant à Pilastre, il reçut son acte d’association au moment où il mettait le pied dans la nacelle. On sait que le ballon, parti de la plaine des Brotteaux, atterrit heureusement après un séjour de cinq heures dans les airs.
Pour encourager les perfectionnements de l’invention dont elle venait d’être témoin, l’Académie fonda un prix de 1200 livres pour celui qui trouverait le moyen de diriger les ballons. Cent mémoires environ répondirent à cet appel, mais le prix ne fut pas décerné, pas plus du reste que n’ont été décernés les prix analogues proposés depuis cent ans.
Grâce aux fondations Christin et Adamoli, et grâce à la libéralité de ses membres, l’Académie était à même de mettre au concours des prix importants. La liste de ceux qu’elle a proposés dans cette période, pour des questions d’hygiène, d’économie politique, d’art industriel, montre avec quel souci du bien public elle remplissait sa mission.
Les questions philosophiques, morales et politiques qui préoccupaient tous les esprits, surtout dans le dernier tiers du XVIIIe siècle, furent souvent l’objet des discussions et des concours de l’Académie. L’auteur de l’Histoire philosophique des deux Indes, l’abbé Raynal, nommé membre associé, fut reçu avec la plus grande solennité, et sa réception, sans faire oublier celle de Voltaire, provoqua un véritable enthousiasme parmi ses confrères. Il témoigna sa reconnaissance à l’Académie en fondant un prix sur la question suivante:
«Quelles vérités et quels sentiments importe-t-il le plus d’inculquer aux hommes pour leur bonheur?»
C’était en 1791. Parmi les seize concurrents figurait un jeune lieutenant d’artillerie dont personne ne soupçonnait alors la haute destinée. Ce lieutenant d’artillerie n’était autre que Bonaparte. Son mémoire ne fut pas couronné ; il fut même assez mal jugé par les membres de la Commission. Vasselier le qualifiait de songe prolongé. Selon Campigneulles, c’est peut-être l’ouvrage d’un homme sensible, mais il est trop mal ordonné, trop disparate, trop décousu et trop mal écrit pour fixer l’attention.
Ce jugement sévère mettait hors de cause le futur empereur. Ce fut Daunou qui remporta le prix.
Les quelques faits que je viens de rappeler montrent bien l’importance que l’Académie avait aquise dans l’esprit public, la considération dont elle jouissait et le prix qu’on attachait à ses suffrages. C’est au moment où elle était à même de rendre les plus grands services, qu’elle dut disparaître devant le décret de la Convention, du 8 août 1793.
Elle avait continué, jusqu’à la veille de sa suppression, à s’occuper des intérêts publics. Elle discutait encore le 6 août la valeur de plusieurs procédés industriels et le meilleur moyen de panser les blessures par armes de guerre. A la fin de cette année, elle devait distribuer plusieurs prix intéressant particulièrement la ville de Lyon et la région lyonnaise.
Ainsi finit le premier siècle de notre Académie. Les dernières séances ne comptaient pas beaucoup de membres présents. Les événements les avaient déjà dispersés.
Après une interruption de sept années, l’Académie fut reconstituée, sous le nom d’Athénée, par un arrêté de M. Verninac, préfet du Rhône, à la date du 24 messidor, an VIII de la République.
La première séance de l’Athénée eut lieu le 13 juillet 1800. Les survivants de l’ancienne Académie furent tous rappelés. On compléta le nombre réglementaire par des annexions nouvelles, et la Compagnie put fonctionner immédiatement.
Au moment de sa réorganisation, l’Académie eut un rôle important à remplir. Il s’agissait de rétablir, de rassembler, de restaurer les instruments de travail dispersés un peu partout par la tourmente révolutionnaire: les livres, les manuscrits, les tableaux et tout ce qui restait des collections de physique et d’histoire naturelle. Notre compagnie se mit à la disposition des autorités, et contribua à sauver du naufrage beaucoup de richesses que nous sommes heureux de posséder aujourd’hui.
Dès la reprise de ses travaux, ses séances offrirent souvent le plus grand intérêt. Et d’abord, en 1801, nous trouvons, à la date du 14 décembre, une séance mémorable où se rencontrèrent deux des plus grands génies qui aient illustré notre siècle: Volta et Ampère.
Volta se trouvait à Lyon, comme membre de la Consulta convoquée dans notre ville pour déterminer les bases des lois organiques qui devaient régir la République cisalpine. Cette délégation comptait de nombreux savants et lettrés: Volta, Moscati, Brugnatelli, Brambilla, Foscolo. Elle assistait aux séances de l’Académie, et c’est dans une de ces réunions que Volta démontra l’identité du fluide galvanique et du fluide électrique. Le même jour et dans la même séance, Ampère donna une explication nouvelle des phénomènes de l’électricité, qu’il essaya de ramener aux lois ordinaires de la mécanique.
La rencontre de ces deux hommes dans notre Académie est un événement que j’ai cru devoir rappeler. Elle marque les premiers travaux d’Ampère, qui furent le prélude des grandes découvertes qui depuis un demi-siècle ont transformé les conditions de la vie sociale et matérielle des peuples civilisés.
Le nom d’Ampère n’a jamais été oublié parmi nous, mais ce n’est que tardivement que notre cité lui a rendu les honneurs qu’il méritait. Il avait déjà sa statue de l’autre côté de l’Atlantique, à Boston, et n’était représenté à Lyon que par un buste, dans la collection des Lyonnais dignes de mémoire. Et cependant il ne s’agissait pas seulement ici d’une gloire locale, il s’agissait d’une de nos plus grandes gloires nationales, bien plus, d’une des gloires qui appartiennent à l’humanité tout entière.
J’aime à rappeler aujourd’hui que c’est sur les instances et la pression de l’Académie que l’honneur d’une statue sur une de nos places publiques a été décerné par la ville de Lyon au plus illustre de ses enfants. C’est grâce à ses efforts incessants, et sur le rapport d’un de nos plus éminents compatriotes, notre confrère aujourd’hui, M. Ed. Aynard, que la municipalité vota les fonds nécessaires pour élever à la grande mémoire d’Ampère un témoignage de la reconnaissance et de l’admiration publiques.
Notre Compagnie eut le bonheur d’inaugurer son second siècle par les travaux de ce génie universel. Appelé peu de temps après, à vivre à Paris, Ampère n’oublia jamais l’Académie de Lyon, et profita de toutes les circonstances qui lui permirent d’assister à ses séances et de prendre part à ses travaux.
L’Académie fut de plus en plus prospère dans la première moitié du XIXe siècle. On peut dire que tous ceux de nos compatriotes qui cultivaient les sciences, les lettres et les arts, briguèrent ses suffrages. Les noms de ceux qui y furent admis constituent dans cette période le livre d’or de la cité. D’autres Sociétés scientifiques et littéraires s’étaient déjà reconstituées, et c’est dans leur sein que l’Académie se recrutait le plus souvent; mais en dehors de ces centres où se préparaient naturellement les futurs académiciens, les hommes politiques, les administrateurs de la cité tenaient à honneur de figurer parmi ses membres, sur la liste desquels on lisait les noms de Camille Jordan, de Prunelle, de Terme et de Sauzet.
Parmi les services que l’Académie a rendus à la ville de Lyon, pendant cette période, il en est un que je ne puis me dispenser de rappeler. C’est grâce à notre Compagnie que l’école La Martinière a pu être organisée d’après les idées fondamentales qui la régissent encore aujourd’hui. Désignés expressément dans le testament du major Martin pour déterminer «la meilleure institution qui pût être constamment soutenue par l’intérêt de la somme léguée», les Académiciens se mirent à l’œuvre à partir de 1803 pour exécuter les volontés du testateur. Ils rencontrèrent les plus grandes difficultés, soit pour faire adopter leur plan d’organisation par l’autorité municipale, soit pour recouvrer l’héritage. En 1816, deux de ses membres (Camille Jordan et Regny) durent se transporter à Londres et discuter longtemps avec le Gouvernement anglais pour obtenir la délivrance du legs en capital et en intérêts.
Ce fut seulement en 1831 que l’organisation définitive de La Martinière fut fixée par une ordonnance royale qui chargea l’Académie d’indiquer la nature des études, le nombre des professeurs et maîtres, les conditions d’admission des élèves et le régime intérieur de l’École.
Ce fut surtout vers le milieu du siècle, à partir de 1840, que l’Académie atteignit son plus haut point de prospérité.
C’était une belle période que celle où l’on pouvait citer dans la classe des Sciences les noms de Bravais, de Fournet, d’Amédée Bonnet, de Pétrequin, de B. Teissier, de Jourdan, de Mulsant, de Rollet; ceux de Laprade, de Bouillier, de Bl. Saint-Bonnet, de Gilardin, de Soulary, des Tisseur, d’Allmer dans la classe des Lettres; ceux de Saint-Jean, de Fabisch, de G. Bonnet, d’André, dans la section des Arts.
Parmi ces noms que je devrais multiplier si je voulais rendre hommage à ceux qui ont honoré l’Académie, il en est quelques-uns qui me paraissent devoir être mis en relief, parce qu’ils ne représentent pas seulement des gloires locales, mais qu’ils montrent avec quel éclat l’Académie a rayonné au dehors et quelle part elle a prise au mouvement général des idées et à notre gloire nationale.
Il y a un nom qu’on me permettra de saluer tout d’abord, parce que je suis plus à même d’apprécier sa valeur et les services qui s’y rattachent: c’est le nom d’Amédée Bonnet, ancien chirurgien en chef de l’Hôtel-Dieu, et professeur à l’Ecole de médecine.
Bonnet a fait école en chirurgie, et non seulement dans le monde limité qui l’entourait, mais dans le monde chirurgical tout entier.
Sa gloire doit nous être d’autant plus précieuse qu’elle a été exclusivement acquise parmi nous. C’est à Lyon, c’est dans notre Hôtel-Dieu que Bonnet a fait tous ses travaux. Précurseur de l’antisepsie actuelle, il a lutté constamment contre l’infection des plaies qui désolait alors nos services hospitaliers. Il a combattu les erreurs doctrinales de son époque, par une suite de travaux, de recherches cliniques et expérimentales qui l’avaient conduit à une pratique que nous avons abandonnée aujourd’hui, mais qui marquait un grand pas vers les conquêtes réalisées par la chirurgie actuelle. Il a été le fondateur de la chirurgie scientifique des os et des articulations.
Esprit chercheur, enthousiaste dans la recherche de la vérité, mais toujours scientifique dans sa méthode, doublé d’un beau caractère, Bonnet ne s’était pas limité aux visées étroites auxquelles la spécialisation condamne beaucoup d’hommes de nos jours. C’était un homme complet, qui n’était resté étranger à aucune des grandes et nobles préoccupations de l’esprit humain.
En même temps que Bonnet, la section de Médecine possédait quelques hommes remarquables, parmi lesquels je ne puis me dispenser de citer: Pétrequin, qui nous a communiqué de remarquables travaux de critique et d’érudition chirurgicales; Teissier, élève de Bonnet, imbu de sa doctrine et de son esprit, et qui fut à Lyon le principal fondateur de la clinique médicale. Il a été deux fois président de l’Académie, et personne n’a laissé parmi nous de plus sympathiques souvenirs.
Quelque temps après Bonnet, entra à l’Académie un homme dont nous devons glorifier l’œuvre, parce qu’elle est aussi remarquable par sa valeur scientifique que par les services qu’elle a rendus à l’hygiène publique. Je veux parler de Rollet, ancien chirurgien en chef de l’Antiquaille, qui réforma les fausses doctrines qui régnaient alors sur une maladie contagieuse des plus communes, et des plus menaçantes à cause même des erreurs doctrinales qui s’étaient répandues partout. L’œuvre de Rollet fut aussi belle sous le rapport théorique que féconde et bienfaisante au point de vue pratique. Ses conséquences se sont fait sentir sur le monde tout entier.
Dans les sciences naturelles, parmi les savants distingués qui les ont cultivées à cette époque, et au nombre desquels je m’empresse de citer Jourdan et Mulsant, un nom mérite tout particulièrement d’être mis en lumière: c’est celui de Fournet. Par l’importance et le nombre de ses travaux en géologie, en minéralogie et en paléontologie, Fournet s’est placé au premier rang des savants de son époque. Il a vécu plus de quarante ans à Lyon. C’est dans les régions voisines, dans nos montagnes du Lyonnais, dans les Alpes, dans les Cévennes, qu’il a fait ses patientes recherches, qui lui ont permis de formuler des lois qu’on désigne encore sous le nom de Lois de Fournet. C’était non seulement un bon et sagace observateur; c’était un de ces esprits généralisateurs voyant de haut et sachant grouper dans des synthèses fécondes les faits nombreux qu’ils ont eu la patience de recueillir.
Dans un autre ordre d’idées, j’ai hâte de vous rappeler un nom depuis longtemps cher à l’Académie. C’est celui de Laprade, de notre illustre poète lyonnais, qui a toujours vécu parmi nous, même quand il eut été brutalement privé de sa chaire universitaire, à la suite d’une satire qui nous paraîtrait bien pâle aujourd’hui.
Du poème de Psyché à Pernette, et surtout dans ses Poèmes évangéliques et ses Symphonies, Laprade se montra toujours aussi beau par la forme que grand par l’idée. Les sentiments élevés de cette âme d’élite, droite et désintéressée, le maintenaient toujours dans des régions sereines où il donnait libre cours à ses pensées spiritualistes et patriotiques, qui sont la source la plus pure de la poésie.
Je ne puis parler de Laprade sans vous rappeler en même temps ses contemporains et ses amis, Soulary et les deux Tisseur. Joséphin Soulary n’est pas certainement un génie aux grandes envolées, mais c’est le poète le plus délicat, le plus fin que nous ayons eu depuis longtemps. Ses sonnets sont de petits chefs-d’œuvre; la ciselure de son vers les rend inimitables, et, s’il est toujours vrai qu’un sonnet sans défaut vaille seul un long poème, on n’hésitera pas à placer Soulary au premier rang de nos poètes contemporains. Quant aux Tisseur, ils faisaient partie d’une famille de quatre frères, tous éminemment doués pour la littérature et pour l’art. Deux nous ont appartenu: Jean et Clair. Le premier nous a légué d’exquises poésies; le second, le plus jeune des quatre, était doué du talent le plus varié et le plus fécond. Auteur, comme ses frères, d’œuvres purement littéraires, il nous a laissé en outre de très intéressantes recherches sur la langue et les usages de nos pères, et sur les idiomes du Lyonnais et des régions voisines.
La philosophie, l’histoire et l’archéologie ont été aussi représentées à l’Académie, durant cette période, par des hommes éminents qui ont augmenté son prestige au dehors, et dont je dois pour cela même vous rappeler les travaux.
Une des figures dignes d’être mises en lumière, c’est celle de Bouillier, que ses travaux sur Descartes avaient élevé bien haut dans l’estime des philosophes. Il nous avait quittés depuis longtemps pour aller à Paris, diriger l’Ecole normale et siéger à l’Institut, mais il nous était resté fidèle et ne venait jamais à Lyon sans prendre séance parmi nous.
Il avait rêvé une organisation des Académies de province qui devaient être, d’après lui, des prolongements et des dépendances de l’Institut.
Je ne sais comment ses vues furent accueillies parles Académies de Paris, mais malgré les séductions qu’elles devaient exercer sur un grand nombre de sociétés de province, je ne crois pas qu’elles fussent facilement applicables, surtout dans un pays comme le nôtre, toujours un peu particulariste, et où l’on craint de voir la centralisation se renforcer par de nouveaux liens, quelque dorés qu’ils puissent être.
L’archéologie a perdu récemment un de ses plus éminents représentants en la personne d’Allmer. Ce savant modeste, était arrivé seul, par ses propres forces, à une situation scientifique exceptionnelle, dans le domaine de l’épigraphie et de l’archéologie. Ses travaux sur Vienne et sur Lyon, ses découvertes sur le passé de ces deux villes l’avaient mis au premier rang parmi les hommes qui ont reconstitué sur des bases solides l’histoire ancienne de notre région.
Mais je m’arrête; en m’étendant plus longuement je risquerais d’empiéter sur un terrain qui m’est naturellement interdit. Je ne puis parler des travaux des membres actuels de l’Académie: ce serait une tâche délicate, et je dois ajouter un travail inutile, car tout le monde connaît dans notre cité la valeur de leurs travaux et l’importance de leurs services. C’est à d’autres qu’il incombera un jour de les rappeler et de les mettre en lumière.
Ce que j’ai dû faire ressortir, c’est que le deuxième siècle de notre Académie n’avait été en rien inférieur au premier, que l’activité de notre Compagnie avait été toujours en grandissant, et que sa suppression en 1793 n’avait pas stérilisé les germes féconds qu’un premier siècle avait laborieusement préparés.
Un troisième siècle va commencer pour elle. Nous ignorons ce que l’avenir nous réserve, mais nous ne devons avoir tous qu’une pensée aujourd’hui: préparer ce troisième siècle et le rendre digne de ses aînés.
Dans ses deux premiers siècles, l’Académie s’est toujours adaptée aux besoins du moment; elle s’est accommodée aux circonstances dans lesquelles elle avait à se mouvoir; elle s’est appropriée au milieu que lui ont créé les événements politiques et les desiderata de la science; elle a dirigé ses travaux particuliers ou collectifs de manière à les rendre le plus possible utiles à nos concitoyens.
Elle a, dans cet ordre d’idées, rendu les plus grands services aux autorités municipale et préfectorale, au moment surtout où elle pouvait seule posséder une compétence indiscutable pour la solution de toutes les questions qui ressortissaient à ses différentes sections: pour les questions d’hygiène publique, de chimie industrielle, pour la direction des fouilles archéologiques, pour le choix des inscriptions des monuments publics, pour la reconstitution des bibliothèques et pour le classement des collections artistiques et épigraphiques.
Aujourd’hui les conditions ne sont plus les mêmes, la multiplication des Sociétés scientifiques, littéraires, artistiques, l’établissement des Comités consultatifs de divers ordres permettent aux pouvoirs publics de s’adresser, pour beaucoup de questions spéciales, à des institutions créées dans ce but. Mais l’Académie s’empressera toujours de leur prêter son concours pour toutes les questions qu’elle est à même d’étudier et d’éclaircir. Son concours libre, indépendant et désintéressé est la meilleure garantie de la justesse des solutions qu’elle propose.
Pour s’accommoder aux besoins nouveaux amenés par le temps et la marche naturelle des choses, l’Académie, tout en conservant sa constitution fondamentale, a souvent modifié son organisation intérieure. Les sept membres, qui la constituaient au moment de sa fondation, furent portés à vingt-cinq lorsque les lettres patentes de 1724 consacrèrent son existence. A la veille de sa suppression par la Convention, elle comptait quarante membres d’après le décret qui l’avait réorganisée en 1758.
Lorsqu’elle fut reconstituée en 1800, le nombre des membres ordinaires fut porté à quarante-cinq. En 1847, il fut augmenté encore et fixé à cinquante-deux.
Nous en sommes toujours à ce nombre, et cependant, depuis 1847, les conditions de la culture littéraire et scientifique ont complètement changé. La fondation de notre Université, qui est de plus en plus prospère et qui prend une part de plus en plus active au travail national, l’installation dans les Facultés, à l’Ecole vétérinaire, de nombreux laboratoires où toutes les recherches et toutes les expérimentations sont possibles; la création des Facultés libres, la fondation de nouvelles Sociétés savantes ont tellement augmenté le nombre des hommes qui se livrent à la culture des sciences et des lettres, que nous ne pouvons nous adjoindre tous ceux que nous serions heureux de faire entrer dans nos rangs.
Plusieurs esprits, sages et progressifs à la fois, se sont déjà occupés de cette importante question, et nous chercherons à la résoudre, dans le plus grand intérêt de l’Académie, pour augmenter sa force et accroître ses moyens d’action.
On a dit, et avec raison, que toute assemblée qui consacre ses séances à reviser sa constitution et à modifier ses règlements s’expose à perdre un temps précieux. Mais nous nous trouvons aujourd’hui dans une circonstance exceptionnelle qui ne se renouvellera que dans cent ans, et nous ne compromettrons guère la tranquillité de nos successeurs si nous réservons pour chaque commencement de siècle la révision de notre constitution. L’Académie décidera, dans sa sagesse, à quel moment et dans quelle mesure elle pourra perfectionner son organisation; mais en raison des changements apportés dans la classification des sciences, du développement des sciences économiques et sociales, des nouvelles directions de la philosophie et de l’histoire, elle tiendra à donner satisfaction, comme elle l’a fait souvent déjà, aux nouveaux et légitimes besoins qui résultent de l’extension des connaissances humaines.
On s’est quelquefois demandé si les Académies, telles qu’elles nous ont été léguées par les deux siècles qui viennent de s’écouler, trouveront, dans les transformations politiques et sociales que nous voyons s’effectuer sous nos yeux, des conditions favorables à leur développement et à l’accomplissement du rôle qu’elles se sont tracé. Il me semble que rien ne les menace, et que, dans l’évolution qui s’opère dans les mœurs et les idées, elles doivent avoir un rôle de plus en plus utile à remplir.
Nous sommes loin, heureusement, des passions qui ont amené leur suppression à la fin du siècle dernier; les pouvoirs publics les favorisent et les encouragent. L’Institut de France est devenu le corps le plus respecté, le plus haut placé dans l’estime publique, et les gens qui se posent en ennemis de toute supériorité ont toujours respecté celle-là.
Un courant contraire vînt-il à se manifester, qu’il constituerait le meilleur argument en faveur du maintien des Académies, qui ont pour premier résultat de grouper des esprits distingués, quoique très divers, et de les unir sur le terrain neutre de la science, de la littérature et de l’art. C’est sur ce terrain qu’aimeront toujours à se rencontrer les esprits élevés qui se sont voués à la culture de la science pure et désintéressée.
C’est dans le travail en commun que les divergences s’effacent, que les difficultés s’aplanissent et que les esprits les plus divers trouvent le moyen de s’unir et de s’associer pour la poursuite de l’Idéal.
Ne craignons donc rien pour l’avenir des Académies. Plus la foule entraînée vers le culte des intérêts matériels semblerait s’éloigner d’elles, plus elles deviendraient nécessaires; plus elles attireraient l’élite qui pense, qui travaille, et qui met les joies intellectuelles et les jouissances morales au-dessus des plaisirs des sens et des satisfactions matérielles.
J’ai surtout parlé jusqu’ici du rôle de l’Académie dans l’ordre intellectuel, mais les legs qu’elle a reçus dans ces dernières années lui imposent d’autres devoirs.
Non seulement elle encourage les lettres et les arts par les prix qu’elle propose et les subventions qu’elle donne aux jeunes travailleurs que la fortune n’a pas favorisés, mais elle distribue aussi tous les ans des prix d’encouragement au bien et des prix de vertu fondés par le baron Lombard de Buffières et MM. Clément Livet et Chazière. Ces généreux donateurs l’ont mise à même de récompenser des actes humbles et modestes qui témoignent d’une haute valeur morale; et ce devoir est un de ceux qu’elle a le plus à cœur de remplir.
Grâce à la manière scrupuleuse dont elle exécute les intentions des donateurs, elle a récemment attiré vers elle de nouveaux legs, et tout nous indique que ce courant n’est pas près de s’arrêter.
Ces legs ne sont qu’un dépôt entre les mains de l’Académie. Ils n’augmentent pas sa fortune personnelle qui est modeste, car elle n’a pu recouvrer, au moment de sa reconstitution, les rentes que ses premiers donateurs lui avaient léguées. Mais elle n’a jamais désiré la fortune que pour la distribuer et encourager les sciences, les lettres et les arts.
Elle vient aujourd’hui de publier la traduction de l’Heptateuque lyonnais. Cette traduction, due à M. Ulysse Robert, inspecteur général des bibliothèques et archives, est un des deux joyaux de notre Centenaire. C’est une de ces œuvres qui font l’honneur de tous ceux qui y ont contribué, et le monde savant en saura le plus grand gré à l’Académie et à la ville de Lyon.
Une autre publication vient rehausser l’éclat de notre Centenaire: c’est la Numismatique de l’Académie de Lyon que notre savant confrère, M. Morin-Pons, vient d’éditer magnifiquement à ses frais pour en faire hommage à notre Compagnie.
Je termine ici cette esquisse des deux premiers siècles de l’Académie; j’ai hâte de laisser la parole aux savants éminents qui ont bien voulu nous apporter le fruit de leurs travaux, plus intéressants par leur nouveauté et leur haute portée scientifique. Je demande pardon à ceux qui me font l’honneur de m’écouter de les avoir retenus si longtemps, mais je devais rappeler ce qu’a été l’Académie dans le passé et faire prévoir ce qu’elle pourra être à l’avenir.
L’avenir sera ce que nous saurons le faire. Sûrs de notre lendemain, affranchis de toute contrainte, libres de tout engagement, n’étant liés par aucun protectorat, nous trouverons dans l’indépendance et la liberté nos meilleures conditions de succès. Ignorant les questions qui divisent, ne nous occupant que des travaux qui apaisent et unissent, nous continuerons à les poursuivre en commun et nous nous efforcerons de les rendre aussi fructueux que possible pour les intérêts moraux et matériels de la cité lyonnaise, qui est toujours un foyer ardent de civilisation et de progrès.
Sans remonter à l’époque lointaine où elle était la cité la plus florissante des Gaules, la première dans l’ordre intellectuel, nous pouvons être fiers de son passé plus récent et du rôle qu’elle a joué dans notre histoire scientifique et littéraire depuis deux cents ans.
Elle s’incline sans doute devant ce foyer plus éclatant, plus rayonnant et plus actif que plusieurs siècles de travail et de gloire ont allumé dans la capitale de la France, où se concentre, par le fait de notre constitution politique, la plus grande partie de l’activité nationale dans l’ordre scientifique, littéraire et artistique.
Mais elle a prouvé qu’elle pouvait briller à côté de ce foyer resplendissant, et que, dans le rayonnement national, beaucoup de rayons, et des plus éclatants, étaient sortis de son sein. Elle a montré aussi, dans ces deux derniers siècles, qu’elle en émettait d’une manière incessante. Les uns vont rejoindre le foyer central et peuvent faire oublier, aux yeux de la foule, leur source véritable. Mais il en est qui ne se détournent pas de leur foyer primitif, et Bonnet, Laprade, Fournet et Rollet nons ont montré que ces rayons portaient aussi loin que les autres.
Aujourd’hui, par le fait de la rapidité dans la propagation des idées, il n’y a plus de centre directeur indispensable. Tout foyer scientifique peut éclairer au loin; le rayonnement se fait dans tous les sens, traverse les frontières et peut arriver en quelques instants aux confins du monde civilisé.
Ces foyers se sont multipliés en France; ils y sont déjà de plus en plus actifs; et je ne doute pas qu’avant peu il en soit chez nous comme pour la plupart des nations voisines, où le travail scientifique et littéraire est au moins aussi fécond dans le calme de la province que dans l’agitation des Grandes capitales. C’est dans les milieux tranquilles et isolés que s’élaboreront surtout les œuvres fortement pensées et lentement mûries.
Si l’Académie de Lyon a pu, depuis deux siècles, faire beaucoup avec des moyens toujours limités et souvent insuffisants, que ne fera-t-elle pas dans l’avenir si, obéissant à ses traditions séculaires, elle continue à s’adapter aux conditions nouvelles que le progrès des sciences et des arts fait naître graduellement sous nos yeux.
Se recrutant plus aisément dans un milieu intellectuel constamment élargi, dans notre jeune et déjà célèbre Université, dans les Facultés libres et autres corps enseignants, dans des Sociétés savantes plus nombreuses qu’autrefois, elle pourra toujours, en dehors de ces institutions créées en vue de l’enseignement ou de l’avancement des sciences, puiser abondamment dans ce milieu lyonnais où l’on aime par tradition les choses de l’esprit, où on les cultive par goût, souvent avec passion, et toujours avec un désintéressement absolu.
Le troisième siècle de l’Académie s’ouvre donc sous d’heureux auspices. Son horoscope est facile à tirer, et si nos compatriotes veulent bien lui continuer leur concours et lui conserver leurs sympathies, elle prospérera par elle-même, vivra par ses propres forces, et prouvera une fois de plus que Lyon est toujours ce foyer ardent de culture intellectuelle, allumé depuis vingt siècles déjà et qui ne s’est jamais éteint.