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GRAISSE ET GLYCOGÈNE MUSCULAIRE
ОглавлениеLu dans la séance publique du 29 mai 1900
PAR
M. Ch. BOUCHARD
Membre de l’Institut, Associé de l’Académie.
Quand un homme est placé sur le plateau d’une balance, on constate, ce qu’on pouvait affirmer avant toute constatation, qu’il perd de son poids. Pour que l’expérience ait toute sa signification, il convient de la limiter à l’espace de temps compris entre la fin d’un repas et le commencement du repas suivant. Il est nécessaire aussi que la personne qui se prête à l’expérience consente à ne pas expulser, pendant ce temps, les matières qui quittent l’intimité des tissus, mais qui peuvent être retenues dans les réservoirs. On supprime ainsi totalement les ingesta et les excreta, sauf ce que l’homme peut puiser dans l’air par la respiration et ce qu’il livre à l’air par la perspiration pulmo-cutanée.
Il est désirable que, la température du corps restant stationnaire, on obtienne que la température et l’état hygrométrique de l’air soient également invariables et que, grâce au repos, la fréquence et l’amplitude des mouvements respiratoires restent sensiblement les mêmes.
Dans ces conditions, l’homme prend quelque chose à l’air et livre quelque chose à l’air. S’il y a gain, la perte l’emporte sur le gain. Mais tandis que les causes de déperdition paraissent être constantes et invariables pendant cette expérience dont la durée n’excède généralement pas six heures, on reconnaît que la variation du poids du corps est loin d’être uniforme. Très faible dans l’heure qui suit le repas, elle augmente régulièrement pour atteindre son maximum pendant la quatrième heure, elle diminue ensuite graduellement. Chez l’homme que j’ai étudié à ce point de vue pendant près de cinq ans, la perte par kilogramme corporel et par heure a été en moyenne:
Cette inégalité dans la déperdition aux différentes heures, alors que le besoin d’énergie et la nécessité de la destruction semblent invariables, est faite pour causer quelque étonnement. J’en ai recherché et indiqué, je crois, les raisons. Mais ce qui m’a causé une véritable stupéfaction, ç’a été de constater non pas seulement des pertes de poids qui devenaient de plus en plus faibles, mais l’arrêt de la déperdition, mais l’augmentation.
La variation du poids, de négative qu’elle est presque fatalement, devenait positive. J’ai assisté trois fois à cet étonnant phémonène, et j’ai constaté des augmentations de poids de 10, 20, 40 grammes en une heure.
Les pertes sont au maximum pendant la quatrième heure. A partir de ce moment, les gains vont en s’accentuant et amènent une sorte de compensation qui arriverait ainsi à égaler, même à dépasser la perte.
Par quoi est constituée la perte? Par quoi est constitué le gain?
La perte est due à l’eau qui s’évapore et à l’acide carbonique qui s’exhale.
Dans les conditions que j’ai dites, l’évaporation de l’eau à la surface des poumons et du tégument contribue à la variation négative du poids du corps, pendant toute la durée de l’expérience, pour des poids égaux pendant des temps égaux. Mais si, en quittant le corps par la voie pulmo-cutanée, l’eau produit, dans ces conditions, une perte de poids régulière et uniforme, la formation de l’eau pourrait amener une variation inverse et nullement régulière. Si les actes chimiques qui s’accomplissent dans le corps produisent de l’eau par simple dédoublement, par deshydratation, le poids du corps n’en sera pas influencé. Mais si l’eau se produit par oxydation, pour 18 grammes d’eau ainsi formée, le corps aura fourni 2 d’hydrogène, l’air extérieur aura fourni 16 d’oxygène, et cette eau, restant dans le corps, diminuera de 16 grammes sa perte de poids. La production intraorganique de l’eau est sans relation avec la perte d’eau par la voie pulmo-cutanée. Nul ne peut savoir quelle est l’origine de l’eau exhalée, si elle vient des boissons, ou de la deshydratation ou de l’oxydation. Elle vient de tout cela, mais l’eau qui se forme n’influence pas l’issue de l’eau qui quitte l’organisme au même instant.
Il n’en va pas de même pour l’acide carbonique. A peine formé, il s’élimine. Il ne peut pas s’accumuler; et quand il est dû à une oxydation, il ne fixe pas l’oxygène extérieur dans le corps comme peut le faire la production de l’eau. Il emporte toujours au dehors quelque chose qui a été la substance du corps et amène une diminution de poids. Pour 44 grammes d’acide carbonique éliminé, cette perte est de 44 grammes, si cet acide carbonique résulte d’une fermentation, sans oxydation, si tout, carbone et oxygène, a été fourni par le corps; elle n’est que de 12 grammes s’il y a eu oxydation, auquel cas 32 grammes d’oxygène de l’air sont entrés et sont ressortis immédiatement, entraînant avec eux les 12 grammes de carbone qui constituent la perte corporelle.
Si l’on voulait dès à présent faire le bilan des gains et des pertes et expliquer ainsi la variation du poids qui en résulte, on pourrait dire que, dans les données de mon expérience, la perte résulte de l’issue continue et uniforme de l’eau qui s’évapore et qu’elle résulte également de la sortie continue, mais variable de l’acide carbonique, soit d’oxydation, soit de fermentation. On pourrait dire d’autre part que le gain résulte de la fixation dans le corps d’oxygène à l’état d’eau, et que seule la fixation de l’oxygène de l’air peut expliquer une augmentation de poids du corps.
Cette solution est un peu trop simple pour un problème très compliqué. Dans l’économie, l’oxygène ne fait pas que des oxydations complètes comme celles d’où résulte l’eau ou l’acide carbonique, il produit aussi des oxydations incomplètes. Mais ce sera toujours l’oxygène extérieur qui réduira les pertes ou qui produira les variations positives.
En vue de donner une solution plus précise à la question, j’ai cherché quelles variations de poids résultent des divers modes d’élaboration que subissent les albumines, les hydrates de carbone et les graisses, seules substances dont l’économie dégage l’énergie pour les besoins du fonctionnement ou pour le maintien de sa température.
L’albumine, en se dédoublant par hydratation, ne dégage pas d’acide carbonique, mais une petite quantité d’hydrogène mis en liberté peut s’oxyder, et l’eau qui en résulte peut fixer dans l’économie environ 0gr03 d’oxygène par gramme d’albumine détruite. L’oxydation peut s’emparer ultérieurement des produits du dédoublement, nous les retrouverons en parlant des métamorphoses des hydrates de carbone. A ne compter que la phase initiale de la destruction, une augmentation de poids de 40 grammes en une heure supposerait une destruction de plus de 1300 grammes d’albumine, or la consommation de l’albumine ne dépasse guère 100 grammes en vingt-quatre heures.
Si l’on admet l’oxydation incomplète de l’albumine comme l’a suggéré M. Berthelot, i gramme d’albumine, en passant à l’état d’acide oxyprotéique, pourra fixer le dixième de son poids d’oxygène. Mais, pour expliquer les 40 grammes d’augmentation de poids observée, cela supposerait encore 4oo grammes d’albumine transformée en une heure et vouée à une destruction définitive, cent fois plus que la destruction normale.
Toutes les transformations intraorganiques des hydrates de carbone produisent une diminution de poids, i gramme de sucre en s’oxydant complètement amène une perte de 0gr40. En se transformant en graisse avec dégagement d’acide carbonique et sans oxydation, il amène une perte de poids encore plus forte de ogr43.
On pourra invoquer les destructions du sucre pour expliquer les fortes pertes de poids de la quatrième heure, jamais pour expliquer une augmentation de poids.
Si l’on voulait admettre, ce qui n’est pas démontré, que le sucre s’oxyde incomplètement pour se transformer en acide oxalique dans l’économie, on aurait, pour chaque gramme de sucre ainsi transformé, une augmentation de poids de 0gr80. Mais pour expliquer une augmentation de 40 grammes, cela supposerait 90 grammes d’acide oxalique produit, ce qui dépasse énormément les doses compatibles avec la vie.
Au contraire, les transformations intraorganiques des graisses s’accompagnent d’augmentation de poids par oxydation complète ou incomplète. Dans l’oxydation complète, la formation de l’eau fixe en poids plus d’oxygène que l’acide carbonique n’emporte de carbone.
Pour i gramme de graisse brûlé, l’augmentation de poids est de près de 0gr09. Mais pour expliquer une augmentation de poids de 40 grammes, cela supposerait environ 450 grammes de graisse brûlés en une heure, ce qui est inadmissible.
Notre confrère M. Chauveau, dans un tout autre ordre d’idées, avait admis que la graisse peut se transformer en sucre par oxydation incomplète. Je me suis demandé quelle modification du poids résulte de cette transformation en supposant le sucre ramené à l’état de glycogène: car on ne peut pas invoquer le sucre pour expliquer une augmentation de poids de 40 grammes, le sang ne pouvant pas contenir plus de 15 à 20 grammes de sucre sans que cette substance apparaisse dans les urines, et j’avais constaté dans un cas d’augmentation de poids du corps l’absence de sucre dans l’urine. En appliquant la formule, on trouve que 1 gramme de graisse mixte, en se transformant en glycogène par oxydation incomplète, donne une augmentation de poids de 0gr76. Il suffit donc, pour expliquer une augmentation de 40 grammes, que 51 grammes de graisse subissent l’oxydation incomplète.
Pour la première fois, je ne me heurtais pas à une impossibilité. De toutes les transformations connues ou supposées que peuvent subir les divers ordres de matières qui s’élaborent dans l’économie animale, la graisse, en se transformant en glycogène, pouvait expliquer les augmentations de poids que j’avais constatées.
Ce n’était encore que l’hypothèse, l’hypothèse vraisemblable qui provoque et guide l’expérimentation.
Ce n’est pas chose facile que de provoquer l’augmentation de poids d’un animal auquel on ne donne ni aliments ni boissons. J’y suis arrivé cependant en provoquant d’abord par l’abstinence l’épuisement des réserves de glycogène, en sollicitant ainsi le besoin de formation de glycogène, en diminuant le plus possible, par le repos et par la modération de la température extérieure, le besoin de destruction de glycogène, et en fournissant en abondance, comme unique aliment, la graisse, qui dans ma pensée devait se transformer en glycogène. J’ai constaté ainsi à diverses reprises, chez la souris et chez le chien, des augmentations de poids à partir de la onzième heure qui suivait le début de l’ingestion de la graisse.
L’expérience était favorable à l’hypothèse, elle n’était pas probante. C’est alors que, avec le concours de M. Desgrez, j’ai dosé le glycogène dans le foie et dans les muscles comparativement chez des chiens à l’inanition et chez d’autres qui, d’abord inanitiés, avaient été ensuite largement alimentés avec la graisse.
Les animaux nourris par la viande et les pommes de terre ayant en moyenne 66gr30 de glycogène par kilogramme de foie et 4gr20 par kilogramme de muscle, nous avons vu cette moyenne tomber chez les animaux en inanition à 2gr54 par kilogramme de foie et 2gr29 par kilogramme de muscle. Chez ceux qui ont été nourris à la graisse après inanition préalable, la moyenne a été 1gr67 par kilogramme de foie et 3gr14 par kilogramme de muscle. Ainsi, avec l’ingestion surabondante de graisse, le foie continue à perdre son glycogène comme si l’inanition continuait; au contraire, les muscles récupèrent leur réserve de glycogène, ils tendent à reprendre leur chiffre normal, ils arrivent même à le dépasser notablement, nous avons trouvé 7gr50 de glycogène par kilogramme de muscle chez un de nos chiens nourris à la graisse.
Ainsi le foie, s’il est le seul organe où se produit le sucre, n’est pas le seul où se forme le glycogène, et il ne forme son glycogène que par la transformation de la matière azotée ou des hydrates de carbone.
Quant aux muscles, ils puisent leur glycogène dans le foie qui le leur envoie à l’état de glycose, mais ils le reçoivent aussi de la graisse.
Le glycogène qui provient de la graisse peut suffire au fonctionnement des muscles.
Le glycogène qui provient de la graisse est le seul qui dans l’économie ne se transforme pas en sucre.
Ces deux dernières conclusions ne paraîtront peut-être pas indifférentes aux médecins. Elles font comprendre comment chez le diabétique qui ne sait plus utiliser le sucre la puissance musculaire est cependant conservée; elles justifient cette conduite adoptée déjà par nombre de cliniciens qui, dans l’alimentation du diabétique, donnent la quantité d’albumine réclamée pour l’entretien des tissus, suppriment les hydrates de carbone, mais administrent largement la graisse.