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II

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Il y avait alors dans les prisons de Marseille un certain nombre de royalistes, qui s’étaient associés à l’imprudente mais chevaleresque entreprise de la duchesse de Berry et qui avaient été arrêtés à la Ciotat au moment où ils débarquaient du Carlo-Alberto. Depuis le 1er mai 1832, ils attendaient leur mise en jugement. Le plus marquant de ces détenus était le général vicomte de Saint-Priest[59], ancien ambassadeur de France à Madrid. Sa sœur, la marquise de Calvière, était l’amie intime de Mme de Pontmartin, qui avait logé dans sa maison jusqu’en 1823[60]; elle lui écrivit qu’elle était venue à Marseille pour voir son frère, qu’elle était horriblement inquiète[61] et que ce lui serait une grande consolation de l’avoir auprès d’elle. Deux jours après, Mme de Pontmartin et son fils descendaient à l’hôtel Beauvau.

On était au mois de janvier 1833. La Gazette du Midi, qui paraissait à Marseille depuis le mois d’octobre 1830, avait déjà pris dans toute la région une sérieuse importance. Une des premières visites de Pontmartin fut pour la feuille royaliste.

La presse de province n’était pas riche en ce temps-là (les choses ont-elles beaucoup changé depuis?). L’imprimerie de la Gazette occupait un sordide hangar dans la cour d’une maison de la rue Paradis, au no 47. On accédait par un escalier en bois au cabinet de rédaction, sorte de soupente qu’éclairait une seule fenêtre, et dont tout l’ameublement se composait de quelques chaises de paille et de deux pupitres en bois blanc peint de noir, avec encrier en tête de pipe, fiché dans la tablette supérieure[62].—Oui, mais devant ces pupitres d’écoliers, s’asseyaient chaque matin deux maîtres journalistes, Henri Abel[63] et Eugène Roux[64].

Henri Abel, le rédacteur en chef, avait trente-sept ans. Il y avait deux ans que, sur les instances de quelques amis, il avait quitté le commerce des denrées de Provence pour devenir le directeur du journal. Ses immenses lectures, sa prodigieuse mémoire, la rectitude de son esprit et l’énergie de ses convictions lui avaient permis, dès les premiers jours, d’écrire des articles, qui furent très remarqués. Comme ils n’étaient pas signés, on les attribuait à de hautes personnalités, quelquefois à Berryer lui-même. Si l’on objectait que l’article, tout d’actualité, avait certainement été fait sur place, que les lettres de Paris mettaient trois jours à venir, et que le ministre de l’Intérieur n’avait sans doute pas mis le télégraphe à la disposition du chef de l’opposition légitimiste: «Alors, reprenaient nos gens, qui ne voulaient pas se tenir pour battus, il doit être de Laboulie[65], à moins qu’il ne soit du marquis de Montgrand[66].» Et personne ne se doutait que l’anonyme, déjà célèbre à ses débuts, était le modeste commerçant, enlevé d’hier par la politique aux vulgarités de la «chère vôtre».

En 1833, le nom d’Henri Abel était victorieusement sorti de l’ombre, et le temps était proche où deux ou trois journaux parisiens lui feraient les propositions les plus séduisantes: il refusera sans hésiter. Il était bien trop spirituel, et surtout trop Marseillais, pour sacrifier la Cannebière aux Boulevards, pour échanger le soleil et la mer contre les brouillards de la rue du Croissant ou le ruisseau de la rue Montmartre.

Armand de Pontmartin et Abel eurent vite fait de s’entendre. Il fut convenu, dès leur premier entretien, que l’ancien élève de Saint-Louis enverrait à la Gazette du Midi des articles de critique littéraire. Le premier parut le 5 septembre 1833; il était consacré aux Prisons de Silvio Pellico. Vinrent ensuite des feuilletons sur Volupté, de Sainte-Beuve; Stello, d’Alfred de Vigny; le Lys dans la vallée, de Balzac; la Confession d’un Enfant du siècle, d’Alfred de Musset; les Chants du Crépuscule, de Victor Hugo; Simon et Mauprat, de George Sand, etc., etc. Ils eurent du succès, si bien qu’après les avoir signés d’abord A. P., puis A. de P., l’auteur se décida à y mettre son nom en toutes lettres.

Cette collaboration, qui dura jusqu’en 1843, ne tarda pas d’avoir pour lui d’heureux résultats. Jusque-là ses compatriotes n’avaient guère vu en lui qu’un jeune homme instruit, riche, titré, spirituel, héros de cercle et de salons, qui ne manquerait pas de faire un jour un beau mariage; après quoi, tout serait dit. Depuis que paraissaient, dans le journal le plus important de la région, ses Revues littéraires, on le jugeait autrement; on commençait à se demander s’il n’y avait pas en lui l’étoffe d’un écrivain de talent et s’il n’était pas destiné à devenir célèbre. Parmi ceux qui suivaient ses articles avec le plus d’intérêt et qui lui prodiguaient le plus d’encouragements, était M. Esprit Requien[67], botaniste et géologue de premier ordre qui, sur un plus grand théâtre, eût été le rival des Jussieu, des Candolle et des Mirbel. Sa science encyclopédique n’avait rien de pédantesque, d’officiel et de gourmé. Sa simplicité, son esprit et sa belle humeur égalaient son savoir. Ses dîners du dimanche, où la chère était d’ailleurs excellente, avaient un succès universel. Les célébrités qui passaient à Avignon acceptaient volontiers son hospitalité. Pontmartin vit successivement à sa table le duc de Luynes, Horace Vernet, Paul Delaroche, Xavier Marmier, Méry, J.-J. Ampère, Fauriel, M. de Mirbel, le peintre Champmartin, Liszt, Castil-Blaze et son fils Henry Blaze de Bury, sans compter Prosper Mérimée, alors inspecteur des monuments historiques dans le Midi de la France.

Le dimanche 17 août 1834, au dîner hebdomadaire de la rue des Tanneurs, Pontmartin fut placé à côté de Mérimée, qui venait justement de publier, dans la Revue des Deux Mondes, une de ses nouvelles, les Ames du Purgatoire[68], et à qui Requien, dont il était l’hôte depuis deux ou trois jours, avait fait lire quelques-uns des articles de son jeune ami. On causa littérature et beaux-arts. Malgré ses préventions contre la province, malgré son désir de ne jamais être ou paraître dupe, l’auteur de la Double Méprise ne put conserver jusqu’au bout son attitude glaciale et un peu hautaine. Charmé par l’esprit et la bonne grâce de son voisin, il se montra bienveillant, aimable, bon enfant. Quand on sortit de table, il avait quitté tout à fait son air de pince-sans-rire, et il dit à Pontmartin:

—Avez-vous la vocation?

—Oui, je le crois... j’en suis sûr... D’ailleurs, pourrais-je en avoir une autre?

—Eh bien, si vous avez la vocation, vous aurez tôt ou tard l’occasion. J’ai idée que nous nous reverrons un jour aux bureaux de la Revue des Deux Mondes, chez Buloz, dans cette singulière maison de la rue Saint-Benoît, qui a un jardin au premier étage.

Cet oracle était plus sûr que celui de Léonard Retouret.

Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890

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