Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 27
II
ОглавлениеIl avait écrit, à la dernière page de l’Album d’Avignon: «La Quotidienne nous a fait l’honneur de nous citer trois fois et nous a demandé pour l’avenir des articles qui s’appelleraient Causeries provinciales et qui paraîtraient le même jour dans son feuilleton et dans notre mosaïque[96].»
Par suite de la disparition de l’Album, cette combinaison ne put se réaliser. Il fut alors convenu que Pontmartin donnerait, deux ou trois fois par mois, à la feuille parisienne une Causerie provinciale. La première parut le 22 novembre 1839. J’ai sous les yeux le brouillon de ce premier article, et j’y remarque un assez grand nombre de ratures. Le moment n’est pas encore venu où l’auteur des Samedis écrira toutes ses Causeries de premier jet, sans brouillon, sans remaniement, sans retouches, effaçant à peine ici et là deux ou trois mots parasites.
A cette date de fin novembre 1839, ce qui passionnait la cour et la ville, Paris et la province, c’était de savoir qui serait élu à l’Académie, de Victor Hugo ou de Berryer. Le fauteuil de Michaud était vacant[97]. Quatre candidats s’étaient mis sur les rangs, Victor Hugo, Berryer, Casimir Bonjour et M. Vatout.
Berryer était à ce moment le maître incontesté de la tribune. C’était le temps où Timon écrivait: «Depuis Mirabeau, personne n’a égalé Berryer[98]»;—où Royer-Collard disait avec l’autorité de sa parole: «J’ai entendu Mirabeau dans sa gloire; j’ai entendu M. de Serre et M. Lainé; aucun n’égalait Berryer dans les qualités principales qui font l’orateur»[99];—où l’un de ses adversaires politiques, Henri Fonfrède, écrivait à un ami, dans une lettre particulière: «Berryer est le plus grand orateur qu’on ait jamais entendu[100].» Il n’était pas seulement le prince des orateurs, il était aussi le chef d’un grand parti. Sa candidature devenait dès lors une grosse affaire. Le gouvernement s’en émut; ses journaux se jetèrent dans la lutte avec ardeur, et à leur tête le Journal des Débats, où Cuvillier-Fleury publia des articles violemment hostiles. Il était certes permis à ceux dont Berryer était l’adversaire de ne point l’aimer, de dire, par exemple, comme M. Doudan, au sortir d’une séance où l’orateur légitimiste avait été magnifique: «Je n’aime pas qu’on prêche bien ailleurs que dans ma paroisse[101].» Cuvillier-Fleury allait beaucoup plus loin. Il n’accordait pas que Berryer eût du talent; tout au plus avait-il «des poumons redoutables». Berryer, un orateur! Allons donc! un avocat, et pas davantage, l’avocat des intérêts du prince de Polignac et de la petite cour de Goritz! «De grâce, disait-il, que l’Académie ne devienne pas une succursale de la Basoche, une doublure de la Société des Bonnes-Études[102]!»
C’est à ces vives attaques que répondit Pontmartin dans son article du 22 novembre, et il fut à son tour, vis-à-vis du rédacteur des Débats, aussi agressif que possible. On les eût bien étonnés l’un et l’autre si on leur eût annoncé qu’un jour ils seraient unis d’une étroite amitié. Il y avait d’ailleurs, dans le feuilleton de la Quotidienne, à côté des épigrammes et des railleries, des réponses qui portaient et qui n’ont rien perdu de leur justesse. Voici l’une de ces répliques:
M. Berryer, selon vous, n’est qu’un avocat, et rien de plus. La vérité est qu’une fois à la Chambre et à la tribune, il est avocat moins que personne. Dans son geste, son attitude, son accent, son langage, rien ne révèle les habitudes et les traditions du barreau; il n’est plus avocat, il est au plus haut degré orateur, ce titre que M. Cuvillier lui refuse, sous prétexte qu’il n’a rien écrit. De bonne foi, comment un homme d’une opinion hostile à la grande majorité de ses collègues, serait-il proclamé par eux tous le premier orateur de son temps; comment, sans autre puissance que sa haute intelligence, conserverait-il une telle action sur les affaires; comment serait-il chef d’un parti où il y a des hommes plus spirituels que M. Fleury, s’il n’était qu’un ergoteur de tribunal et de cour d’assises, un disputeur de mur mitoyen et d’hypothèques?
Mais M. Berryer «qui a des poumons, un geste véhément, une voix sonore, c’est-à-dire tout ce qui s’appelle l’éloquence» (merci pour l’éloquence!), ne peut compter dans le monde, parce qu’il n’écrit pas ses discours. En d’autres termes, c’est parce qu’il possède au plus haut degré cet admirable talent d’improvisation, le premier de tous, celui que rien ne remplace, et dont l’absence rendra toujours incomplète la puissance d’un orateur; c’est parce qu’à l’aide de ce privilège merveilleux, il passionne, entraîne, remue à son gré une assemblée que laissent froide les phrases les plus régulières, et les périodes les plus harmonieuses, c’est pour cela qu’il n’est pas orateur! Lord Chatham et Mirabeau étaient des orateurs, mais Berryer point! La comparaison est malheureuse; car s’il y a un homme qui, après avoir joué un grand rôle par la puissance de sa parole, ait perdu aux yeux de la postérité qui lit ses discours, cette puissance et ce prestige, c’est à coup sûr Mirabeau. Mieux vaudrait pour lui n’avoir rien laissé et n’être jugé par nous que sur la foi de cet éclat immense que sa parole jeta sur l’Assemblée constituante! Ou plutôt qu’importe à Mirabeau, qu’importe à Berryer! Ils auront eu sur leur époque une influence sans rivale, ils seront arrivés aux plus grands effets de la parole! Ils auront été les rois de l’éloquence politique! Qu’importe après cela qu’ils aient peu écrit, ou que leurs écrits, lus après cinquante ans, ne réveillent plus les émotions contemporaines! Qu’importe surtout qu’on leur refuse le droit littéraire de s’asseoir aujourd’hui auprès de MM. Dupaty et Viennet, demain peut-être auprès de M. Cuvillier-Fleury[103].
Les articles de Pontmartin à la Quotidienne étaient tantôt des Causeries littéraires ou artistiques[104], tantôt des chroniques humouristiques[105], quelquefois même des Nouvelles, Dulcinée[106], Fabiano le Novice[107], etc. Ils obtinrent tout aussitôt un vif succès, même à côté des feuilletons de J.-T. Merle[108], le plus ancien des rédacteurs de la Quotidienne, esprit fin et sans prétention, écrivain élégant, causeur aimable, pour lequel assurément n’avait point été créé le proverbe: Faute de grives on prend des merles. Pontmartin cependant ne pouvait se décider encore à quitter Avignon, sa famille, ses amis, ses habitudes. N’allait-il pas bientôt avoir trente ans, et n’était-ce pas un peu tard pour un début à Paris? N’y arriverait-il pas d’ailleurs dans d’assez mauvaises conditions? Il était riche et gentilhomme, deux méchantes notes, il ne l’ignorait pas. Sans doute on lui ferait porter la peine de son titre de comte et de sa modeste fortune. On se refuserait à voir en lui autre chose qu’un «amateur», et l’on s’obstinerait à le traiter de «cher confrère» du bout des lèvres seulement, tandis qu’on l’appellerait «Monsieur le comte» gros comme le bras. Le plus sage ne serait-il pas de préférer à l’honneur de devenir un membre de la Société des gens de lettres, voire même un académicien, le plaisir d’écrire à son aise et à ses heures, sans ambition de renommée; de ne point fausser compagnie à la province, de n’aller à Paris chaque année que pour y prendre langue et pour revenir bien vite, auprès de sa mère, dans l’hôtel du toujours jeune M. de Montfaucon ou dans sa vieille maison des Angles?