Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 31
II
ОглавлениеÉdouard Walsh était un vrai journaliste. Il ne lui fallut pas longtemps pour deviner quels services lui pourrait rendre Pontmartin, avec la diversité de ses goûts, la variété de ses aptitudes et son extraordinaire facilité de plume. Au bout de peu de temps, l’auteur de Marguerite Vidal devint, à la Mode, une sorte de Maître Jacques romancier, causeur littéraire, critique dramatique, chroniqueur mondain.
La petite revue, à cette époque, était au plus fort de son succès. Elle rachetait les excès, assurément regrettables, de sa polémique politique, par l’éclat de sa rédaction littéraire. Son directeur avait su grouper autour de lui l’élite des écrivains du temps: Alexandre Dumas, Jules Sandeau, Roger de Beauvoir, Léon Gozlan, Alphonse Karr, J.-T. Merle, Henry Berthoud, Paul Féval, Philarète Chasles, Amédée Achard, Arthur de Gobineau, le marquis de Foudras, le colonel de Gondrecourt, Théodore Muret, Alexis de Valon, Alfred des Essarts, Eugène Pelletan qui signait un Inconnu; Mme Sophie Gay, Mme Ancelot, la comtesse d’Arbouville, la comtesse Merlin, etc. Méry ne faisait pas encore partie du groupe; ce fut Pontmartin qui l’y introduisit au printemps de 1847.
Le vicomte Walsh donnait chaque semaine chez Véry d’excellents déjeuners. Les convives habituels étaient Alfred Nettement, Pontmartin, l’avocat royaliste du Theil, Jules Sandeau, Merle, quelquefois Roger de Beauvoir. Un jour, Pontmartin amena Méry. Il l’avait entrevu à Marseille, trois ans auparavant; l’ayant rencontré à Paris et l’ayant trouvé très disposé à écrire dans la Mode, bien qu’il eût, vingt ans en ça, composé la Villéliade et la Corbiéréide, il lui avait donné rendez-vous chez Véry. Au premier mot que lui dit M. Walsh pour obtenir de lui un roman, l’auteur de la Floride et de la Guerre du Nizam répondit avec un sang-froid magnifique: «J’ai 365 sujets, un pour chaque jour de l’année. Je vais vous les raconter.» Et il raconta le premier, intitulé la Circé de Paris. Naturellement, Walsh s’écria, en battant des mains: «C’est charmant! Nous nous en tiendrons à celui-là!» La Circé de Paris parut, en effet, quelques semaines après.
De la fin de 1845 au commencement de 1848, Pontmartin fit, à la Mode, une campagne de deux ans; il n’est guère de livraison qui ne renferme un article de lui. Sous des signatures variées,—A.—A. P.—Calixte Ermel,—Armand de Pontmartin,—il publia tour à tour des causeries littéraires[119], des causeries mondaines, des causeries artistiques[120], des causeries dramatiques. Comme il avait de l’invention et que le critique chez lui était doublé d’un conteur, lorsque la pièce dont il avait à parler lui paraissait manquée, il ne se privait pas du plaisir de la refaire. C’est ce qui lui arriva, par exemple, au mois de mars 1847, dans son article sur la comédie de Léon Gozlan, Notre fille est princesse.
Comme à la Quotidienne, Pontmartin, à la Mode, entremêlait ses causeries de contes et de nouvelles: en 1846, la Confession d’un hachichin[121]; en 1847, le Dernier Dahlia[122] et les Mémoires d’un notaire[123]. Les Mémoires d’un notaire n’étaient rien moins qu’un roman en trois volumes: le premier seul fut publié avant 1848; les deux autres furent écrits après la révolution de Février, et nous aurons à y revenir.
Après un premier séjour à Paris, d’octobre 1845 à mai 1846, Pontmartin avait passé l’été dans le Midi. Il était revenu seulement au mois d’octobre 1846, et, cette fois encore, il n’avait pas cru devoir prendre un appartement. Il se contenta de louer quelques chambres meublées dans la rue de Luxembourg[124].
Le lundi 21 décembre, il venait d’assister, au théâtre de l’Odéon, à la répétition générale d’Agnès de Méranie. Minuit sonnait aux horloges de l’Assomption et de Saint-Roch, quand il rentra chez lui. La concierge lui remit une large enveloppe, d’une physionomie officielle, portant le timbre du ministère de l’Intérieur. Il l’ouvrit avec un pressentiment sinistre, et voici ce qu’il lut:
CABINET DU MINISTÈRE DE L’INTÉRIEUR
21 décembre 1846. Par télégraphe.
Le préfet de Vaucluse prie M. le Ministre de l’Intérieur[125] de faire prévenir M. Armand de Pontmartin que l’état de madame sa mère s’est fort aggravé depuis quelques heures, et que son oncle[126] l’engage à partir immédiatement.
Le Maître des requêtes,
Chef du Cabinet,
Edmond Leclerc[127].
En 1846, le télégraphe aérien ne fonctionnait pas la nuit; il fallait plusieurs heures pour la transmission et quand le temps était brumeux (cas fréquent en décembre), il fallait souvent toute une journée. Madame de Pontmartin était morte presque subitement dans la matinée du 21 décembre; la dépêche n’était arrivée rue de Luxembourg que dans la soirée, après le départ de Pontmartin pour le théâtre.
La santé toujours délicate de sa mère semblait en bonne veine, quand il l’avait quittée deux mois auparavant. Lorsqu’il l’avait embrassée avant de monter en diligence, elle était presque gaie. Il était parti plein de confiance. La dépêche fut pour lui un coup de foudre; elle ne disait pas sans doute toute la vérité; mais s’il lui était permis de conserver encore une lueur d’espoir, sa douleur et ses inquiétudes étaient d’autant plus cruelles, que les moyens de locomotion étaient à cette époque d’une effroyable lenteur: par la malle-poste,—qu’il fallait retenir longtemps d’avance,—trois nuits et trois jours; par la diligence, quatre jours et quatre nuits. En outre, dans la mauvaise saison, il suffisait d’une tombée de neige, d’une bourrasque, d’une couche de glace à la surface du Rhône ou de la Saône, pour allonger indéfiniment le trajet réglementaire.
Le mardi 22 décembre, à dix heures du matin, son cousin le marquis de Besplas et son ami Joseph d’Ortigue le hissèrent dans le coupé de la diligence. Ce que fut ce voyage, il l’a dit, dans des pages émues, au tome II de ses Mémoires[128]. Arrivé à Chalon le vendredi matin seulement, il put monter sur le bateau à vapeur de la Saône. Le lendemain, il prenait à Lyon le bateau du Rhône; le soir, à la nuit tombante, il arrivait à Avignon. Ses amis l’attendaient sur le quai. Ils se jetèrent dans ses bras, et il n’eut pas à les interroger.