Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 26
I
ОглавлениеTrois événements d’une inégale importance allaient marquer pour Pontmartin l’année 1839: un duel, un procès, et son entrée dans la presse parisienne.
Les passions politiques, très vives à cette époque dans toute la France, étaient particulièrement ardentes dans le Midi. Exaspérés, non sans raison, il faut bien le dire, par les airs goguenards, par les allures batailleuses et provocatrices de la jeune aristocratie légitimiste, quelques jeunes gens de la bourgeoisie libérale voulurent avoir eux aussi un journal, une petite feuille légère, incisive, hardie, qui harcèlerait à son tour l’adversaire, et ne lui ménagerait pas les coups. C’était de bonne guerre. Le tort des fondateurs de la nouvelle feuille,—La Mouche, Journal des Salons,—fut de ne pas se mettre eux-mêmes en avant, de se tenir derrière le rideau, faisant venir de Paris un pauvre diable de journaliste ambulant nommé Deretz, qui se chargeait, moyennant quelques écus, d’endosser toutes les responsabilités. Ce Deretz avait, du reste, de l’esprit, plus d’esprit que de courage, comme on va le voir. Le journal paraissait depuis quelque temps, lorsqu’un matin, après avoir vidé son carquois contre les noblions et les hobereaux avignonnais, il décocha une dernière flèche à l’adresse de Mossieu de Pontmartin. Ce dernier prit aussitôt la mouche (c’était le cas), courut à son cercle, y trouva deux de ses meilleurs amis, Frédéric d’Averton et Jules de Salvador, et les chargea d’aller demander au Parisien une réparation par les armes. Après une longue hésitation, Deretz consentit à se battre; seulement, il demanda un délai de trente-six heures pour chercher et trouver des témoins. Rendez-vous fut pris pour le surlendemain dans l’île de la Barthelasse. A cette époque, elle appartenait encore au département du Gard, ce qui assurait nos duellistes contre l’intervention des gendarmes.
Au jour dit,—le 27 mars 1839,—les adversaires arrivèrent sur le terrain, Deretz un peu en retard; il avait recruté à grand’peine ses témoins, et il avait dû les prendre parmi les buveurs de chopes du Café Tailleux, le Lemblin vauclusien; les patrons de la Mouche avaient énergiquement refusé de l’assister. L’arme choisie était l’épée. Au moment où Pontmartin allait se fendre, Deretz laissa tomber son fleuret, et déclara que, décidément, il ne se battrait pas. «Je suis trop pauvre, dit-il; la législation est sévère, et s’il arrivait malheur, je n’aurais pas, comme M. le comte, qui est riche, de quoi m’enfuir et me cacher.»—«Soit, répondit Jules de Salvador, mais alors vous allez vous engager par écrit à ne plus recommencer vos attaques, et à nommer vos inspirateurs, si vous ne pouvez les décider à se nommer eux-mêmes».
Il y avait dans l’île une guinguette où les bons bourgeois d’Avignon venaient, le dimanche, jouer aux boules. On y entra, et le pauvre Deretz signa tout ce qu’on voulut. Le soir même, il partait pour Marseille, et on ne le revit plus. La Mouche, journal des Salons, avait vécu[91]!
Après le duel, le procès. Au mois de juin 1839, les deux témoins de Pontmartin, Frédéric d’Averton et Jules de Salvador, étaient, en compagnie d’un de leurs amis, M. Ulric de Renoard, traduits devant le tribunal correctionnel d’Avignon, sous la double prévention de réunion illicite et de détention d’armes et de munitions de guerre. Étaient poursuivis, en même temps qu’eux, vingt-neuf jeunes gens appartenant à la classe ouvrière. Ces derniers ne faisaient pas plus mystère que les trois gentilshommes de leurs sentiments royalistes, et l’un d’eux, dans l’instruction, pressé de questions par le magistrat, avait répondu: «Eh bien! si nous avions des armes chez nous, c’est que nous sommes la garde nationale d’Henri V[92]!»
Les débats durèrent trois jours, du 27 au 29 juin. Devant le bureau du tribunal figuraient les pièces à conviction: fusils de munition, carabines, cartouches et cocardes blanches et vertes. Le siège du ministère public était occupé par M. Rigaud, procureur du roi. La défense fut présentée par Me Adolphe Teste (rien de l’avocat Jean-Baptiste Teste, le futur condamné de la Cour des pairs), par Mes Redon père et fils et par Gustave de Laboulie, dont la plaidoirie fut une merveille d’éloquence, de verve et de spirituelle ironie[93]. Les prévenus n’en furent pas moins condamnés à un certain nombre de mois de prison[94]. MM. d’Averton, Salvador et Renoard furent, comme il était juste, gratifiés de la peine la plus forte. Ils n’avaient pas eu le temps de maudire leurs juges que déjà ils étaient consolés par la lecture, dans la Gazette du Midi, du compte rendu humoristique de leur procès, rédigé par leur ami Pontmartin. Ce dernier leur avait fait bonne mesure et n’avait pas consacré moins de cinq articles à «l’Affaire d’Avignon».
Le président du tribunal était M. Monnier des Taillades, magistrat intègre et jurisconsulte de premier ordre. Le bruit s’étant répandu qu’il avait dit, en parlant du procureur du roi: «Ce monsieur n’est pas fort», Pontmartin crut pouvoir risquer ceci—ou à peu près—dans l’un de ses feuilletons: «M. le président a-t-il dit ou n’a-t-il pas dit que M. Rigaud n’était pas fort? Peu importe, après tout. Dire du beurre qu’il est fort, est-ce le complimenter? Un fort de la halle est-il plus aimable que le plus faible des académiciens? Lorsque vous êtes exaspéré d’une injustice, d’une bêtise, d’une catastrophe ou d’un scandale, vous ne dites pas: ‘C’est trop faible!’ mais: ‘C’est trop fort!’»
Ce n’était peut-être pas très fort; mais, en tout cas, ce n’était pas bien méchant. Grande rumeur pourtant dans la ville. Le tribunal s’émeut, le parquet s’indigne. Poursuites contre la Gazette du Midi, et, le 8 août, à Avignon, condamnation du journal à mille francs d’amende et du gérant à un mois de prison. Quant à Pontmartin, quoiqu’il n’eût pas signé son article, il paya l’amende avec les frais. Si pauvre mathématicien qu’il fût, il se livra à un calcul d’arithmétique, et il reconnut que ses six lignes lui coûtaient 200 francs la ligne, 17 francs la syllabe et 4 francs la lettre[95]. C’était à dégoûter du métier!
A quelque temps de là, comme il venait de s’acquitter envers le fisc, il vit entrer dans son cabinet un homme au teint fleuri, à l’œil émerillonné, à la lèvre souriante, le gérant de la Gazette, qui sortait de prison, rayonnant de joie et de santé. «Monsieur le comte, disait-il, avec le plus pur accent de la Cannebière, quels remerciements je vous dois! Quel bon mois, grâce à vous, je viens de passer! J’ai déjeuné et dîné tous les jours avec M. de Salvador, M. d’Averton et M. de Renoard. Quels braves jeunes gens! quels repas! Jamais, dans toute ma vie, je n’avais mangé autant de perdrix, de bécasses, de lièvres, de poulardes, de truites, d’écrevisses!... Ah! monsieur le comte, je suis tout à votre service et prêt à recommencer, quand cela vous plaira. C’est égal! vous aviez fait là un fameux feuilleton!...» Les 1 200 francs de Pontmartin n’avaient pas été placés à fonds perdus; il avait fait un heureux!