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IV

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Il ne lui était pas permis dans le Messager—Pontmartin venait d’en avoir la preuve—de faire, même en passant, de la politique. Pourquoi n’aurait-il pas un journal où il serait chez lui et où le timide Joudou n’aurait rien à voir? La main lui démangeait d’écrire, il avait du temps, de l’esprit et de l’argent à perdre; bravement, il fonda une Revue, à laquelle il donna pour titre: l’Album d’Avignon, Recueil d’intérêt social et littéraire, publié par un des rédacteurs du Messager de Vaucluse.

La Revue était mensuelle et son premier numéro parut le 1er janvier 1838; sa collection forme deux volumes.

Quelques hommes de cœur et d’esprit, MM. Jules Courtet, H. d’Anselme, J. Bastet et Antonin de Sigoyer, prêtaient bien à Pontmartin leur collaboration, mais d’une façon tout à fait intermittente, et il arrivait, presque chaque mois, que la livraison était son œuvre pour plus des trois quarts. Souvent même il évitait de signer ses articles, pour empêcher les lecteurs de voir qu’il était à lui seul toute la rédaction. Sa plume facile suffisait à tout. Études littéraires, artistiques et musicales, chroniques politiques, contes et nouvelles, il s’essayait dans tous les genres. L’abbé Charles Deplace[80] prêchait l’Avent à Avignon: le rédacteur de l’Album analyse ses sermons avec le plus grand soin sous ce titre: Prédications de la métropole[81]. Lorsqu’il faut descendre de ces hauteurs pour traiter les questions locales, s’occuper des levées de la Barthelasse ou du pont suspendu entre Villeneuve et la Porte de la Ligne, il est également prêt; aussi bien, il s’agit du pont d’Avignon sur lequel, on le sait, tout le monde passe, même les littérateurs, même les poètes. Poète, il l’était aussi à ses heures: comprendrait-on d’ailleurs un Album qui ne renfermerait pas de vers? Pontmartin inséra dans le sien un court poème, le Lit de mort d’Arthur[82] et des stances: A deux voyageurs[83].

Le poète, du reste, cédait volontiers chez lui le pas au conteur. Celui-ci ne se proposait alors rien moins que de publier, dans l’Album d’Avignon, vingt-quatre Nouvelles, les unes d’imagination, les autres empruntées à l’histoire, et dont les héroïnes auraient successivement pour initiales les vingt-quatre lettres de l’alphabet. Je me hâte de dire que l’alphabet n’y passa point tout entier.

Après avoir fait paraître Alix, Béatrix et Caroline, Armand de Pontmartin abandonna la partie et laissa là les dés. L’une au moins de ces trois nouvelles cependant, Caroline[84], est déjà très remarquable; mais c’est surtout le critique qui se révèle dès ce moment, qui prélude avec succès, vif, spirituel, ennemi du factice et du convenu, ayant ses préférences et sachant les justifier. A cette date de 1838, la royauté poétique de Lamartine et de Victor Hugo était incontestée, et il ne semblait pas qu’Alfred de Musset pût prétendre à partager le trône avec eux. Sur ce point, il n’y avait qu’une voix parmi les critiques du temps. Sainte-Beuve ne voyait dans l’auteur de la Nuit de mai et de l’Espoir en Dieu qu’un poète «charmant», plein d’esprit et de naturel, et qui donnait de «bien gracieuses espérances». Un des écrivains de la Revue de Paris, J. Chaudes-Aigues, résumait ainsi une étude sur le chantre de Rolla: «De la verve, mais une verve insuffisante et qui a besoin d’être échauffée par une idée étrangère; une imagination très folle, très vagabonde, très capricieuse, incapable de réflexion, habile à broder, inhabile à produire; une versification claire, nette et franche: voilà, selon nous, ce qui appartient en propre à M. Alfred de Musset[85].» On voyait plus juste à Avignon; Armand de Pontmartin n’hésitait pas à saluer dans Alfred de Musset un très grand poète, aussi grand que Lamartine et Hugo. De l’un de ses articles, je détache cette page:

...C’est là le caractère de la vraie poésie, dans notre temps: d’abord l’essai infructueux, le mécompte, le reproche amer, la lutte stérile, la folie même et le blasphème; puis, si l’âme est vraiment grande et poétique, après la récrimination, l’aveu naïf de l’erreur; après la halte désespérée, une fuite nouvelle vers les idéales régions de la prière, de la rêverie et de l’amour, et l’échange des premiers vêtements, déchirés par l’orage, contre les voiles éblouissants et purs que rien ne déchire et ne flétrit. C’est ainsi que le poète devient le symbole à la fois le plus complet, le plus élevé et le plus consolant du siècle qu’il traverse, auquel il indique et le mal qui l’agite et ce qui peut le calmer, et avec lequel tout lui est commun, l’angoisse et l’espoir, la blessure et le baume, le blasphème réparé et l’hymne immortel, tout enfin, excepté la langue céleste que tout le monde entend, et qu’il est seul à parler. C’est pour cela que Victor Hugo et Lamartine, malgré leur incontestable génie, nous sont entièrement étrangers, et qu’ils n’ont conquis parmi nous qu’une position glorieuse, mais solitaire. L’un est un admirable et opiniâtre artiste, dessinant aux œuvres de sa fantaisie des broderies délicates, de merveilleuses ciselures; l’autre est une lyre infatigable, une sorte de harpe éolienne, toujours prête à rendre des sons d’une mélodieuse uniformité: mais le souffle de notre vie et de notre monde n’a point passé sur eux; ils n’en ont été que de factices interprètes et ils sont restés les brillants échos de leur pensée personnelle. Il est cependant un poète, un jeune homme de vingt-sept ans, auquel on n’a pas fait encore toute la place qu’il mérite, et qui nous semble réaliser en lui d’une façon saisissante ce type que nous indiquons et que nous voudrions faire comprendre. Alfred de Musset, qui eut le tort de donner à ses débuts l’éclat d’un scandale littéraire et de fournir, par sa fameuse ballade à la lune, un prétexte aux ricanements des plaisants et des badauds, est la personnification éclatante de cet esprit poétique qui aime à se poser sur les débris d’un noble cœur, pour leur rendre la jeunesse et la vie et s’élancer de là, d’un vol infatigable, vers l’idéal et l’infini. Le public d’Alfred de Musset n’est pas encore formé; aussi c’est à peine si nous osons dire que, parmi tous nos poètes, aucun n’a la ligne plus pure, le dessin plus correct et plus simple, l’allure plus libre et plus droite. Tous les jeunes gens qui savent par cœur Rolla, Frank et Namouna, qui ont lu avec délices toutes ces ravissantes fantaisies, Marianne, Emmeline, On ne badine pas avec l’amour, Fantasio, achèveront sans peine notre pensée et comprennent depuis longtemps avec nous quelle place nous devons donner dans nos affections littéraires à ce génie svelte et gracieux comme Ariel, qui a su rendre original même le pastiche, qui a donné une forme exquise et délicate à tant de songes de notre jeunesse, et dont le souffle enchanteur poétise et réveille tout ce qui semblait mort et muet en nous.

...Que lui manque-t-il encore? Il manque à Musset ce qui manquait à Byron, une pensée vivifiante et venue du ciel, une croyance qui change pour lui les lueurs trompeuses et passagères en un phare inaltérable et immortel. Ces regrets, qu’il n’est peut-être pas le dernier à ressentir, tout le monde peut les partager; mais un catholique seul a le droit de les dire, parce que seul il pourrait donner au génie quelque chose de plus grand et de plus beau que le génie même[86].

De telles pages n’étaient pas pour passer inaperçues. L’Album d’Avignon fut cité plus d’une fois par les feuilles royalistes de Paris et, en particulier, par la Quotidienne. Au mois de novembre 1838, le directeur de cette dernière feuille, Joseph Michaud[87], passa deux jours à Avignon. Accompagné de l’un de ses plus fidèles collaborateurs, M. Poujoulat[88], il se rendait à Pise, où l’envoyaient ses médecins. Pontmartin lui fut présenté dans une maison amie. Longtemps après, dans un article sur Poujoulat, il parlera ainsi de cette visite: «Michaud n’avait plus que le souffle; mais ce souffle s’exhalait en paroles exquises murmurées à demi-voix, que l’on écoutait trop avidement pour ne pas les entendre. Il ne se faisait aucune illusion sur son état, et se comparait en souriant à cette tour penchée vers laquelle on l’envoyait. Sa haute taille, sa pâleur, sa bonhomie un peu narquoise, sa résignation mélancolique et sereine, l’ombre d’une mort prochaine s’étendant peu à peu sur son visage émacié, prête à éteindre le rayonnement de la bonne humeur et de l’esprit, tout cet ensemble produisit sur moi une impression profonde qui ne s’est jamais effacée[89].»

Le directeur de la Quotidienne accueillit Pontmartin avec une bienveillance toute paternelle. Il avait lu quelques-uns de ses articles de l’Album et de la Gazette du Midi, et les avait remarqués; il joignit à ses encouragements de précieux conseils. Homme du XVIIIe siècle, plus que du XVIIe, attaquant ses adversaires avec leurs propres armes, comme ces généraux russes et allemands qui, à force d’être battus par Napoléon, avaient fini par apprendre de lui à le battre, il mettait au service de sa foi monarchique et religieuse une ironie délicate, un spirituel atticisme, et quelques-unes des malices du scepticisme philosophique et politique. Son dernier mot à Pontmartin, en le quittant, fut celui-ci: «Bravo, jeune homme! bon début! Seulement, lisez du Voltaire!»

L’année finissait bien; les abonnés commençaient à venir; la petite Revue faisait ses frais, et son rédacteur promettait monts et merveilles pour l’année nouvelle. L’année nouvelle, il ne devait pas y en avoir pour l’Album. La livraison de décembre 1838 fut la dernière. Des considérations de famille et les inquiétudes de sa mère décidèrent Pontmartin à interrompre sa publication[90].

Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890

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