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Tel qui part pour douze ans croit partir pour un jour.

Pontmartin, en s’éloignant de Paris, se promettait d’y revenir bientôt. Il avait déjà quelques relations dans le monde des lettres et des arts: la littérature, il le sentait bien, était sa véritable, sa seule vocation. Il louerait un appartement modeste, mais convenable, sur la rive gauche, dans un quartier classique, entre l’Institut et l’Abbaye-aux-Bois, à deux pas de la Revue des Deux Mondes; il se ferait présenter dans quelques-uns de ces salons où se réunissent les célébrités littéraires et scientifiques et qui sont souvent le chemin le plus court pour arriver à l’Académie. Ce rêve, rien ne lui était plus facile que de le réaliser. Il y renonça, parce qu’il lui aurait fallu quitter sa mère.

Mme de Pontmartin était d’une santé délicate, elle ne pouvait plus supporter le climat de Paris; il lui fallait désormais le soleil du Midi. De plus, privée de son mari, de son beau-frère, elle se trouvait hors d’état de diriger un jeune homme vif, ardent, passionné de théâtre, épris de ce romantisme qui ne lui disait rien de bon, prêt à fréquenter, en même temps que les salons, ces ateliers et ces cénacles, qu’elle connaissait mal sans doute, mais qui lui apparaissaient comme des lieux de perdition. Pontmartin ne put se décider à lui faire le chagrin de rester seul à Paris à vingt et un ans. Peut-être, se disait-il in petto, qu’après deux ou trois ans de séjour en province, ayant un peu mûri, il pourrait, sans effaroucher sa mère, se partager entre Avignon et la capitale, et passer dans cette dernière plusieurs mois chaque année. Il restera donc provisoirement à Avignon; mais, on le sait, rien ne dure plus longtemps que le provisoire.

On s’installa, non à la campagne, mais à la ville. Mme de Pontmartin s’y trouvait mieux pour sa santé et à cause du voisinage de l’église, celle des des Angles étant d’un accès très difficile. Elle habita, avec son fils, un appartement situé rue Violette, dans l’hôtel du baron de Montfaucon[57], le dernier maire d’Avignon sous la Restauration. C’était un maire, comme on n’en fait plus, un de ces originaux comme il en existait encore beaucoup à cette date et qui donnaient à la province une physionomie particulière, qu’elle a depuis longtemps perdue. Bon, affable, généreux, recherché dans les salons et populaire dans les faubourgs, il chantait joliment la romance sentimentale, jouait à merveille la comédie à ariettes, déclamait sans broncher des scènes de tragédie. Jamais édile, du reste, ne sut mieux mêler l’utile à l’agréable. Quand le budget de la ville était menacé d’un déficit, ou lorsque son conseil municipal reculait devant une grosse dépense, il avait une méthode qu’on peut recommander sans crainte à nos maires républicains, car on est sûr qu’ils ne la suivront pas. Il payait de ses propres deniers de quoi combler les lacunes. C’est ainsi qu’à l’inauguration de la nouvelle salle de spectacle, il avait recruté à ses frais une troupe que lui enviaient Lyon, Marseille et Toulouse.

Pris en grande amitié par le baron de Montfaucon, spirituel jusqu’au bout des ongles, professant en toute rencontre le carlisme le plus intransigeant, Armand de Pontmartin devint bien vite le favori de la haute société avignonnaise. Or, Avignon à cette époque, était une vraie succursale du faubourg Saint-Germain. On y rencontrait, dans le même salon, les Crillon, les Gramont-Caderousse, les Caumont, les Galléan (ducs de Gadagne), les Monteynard, les Bernis, les Calvière, les Tournon, les Piolenc, les La Fare, les Forbin, les Cambis, les des Isnards, etc.

Et comme elle avait son faubourg Saint-Germain, la ville des Papes avait aussi son Jockey-Club, le cercle de l’Escarène, où la jeunesse dorée passait sa vie, Pontmartin y fréquentait et y jouait le soir à la bouillotte. Le matin, il allait de préférence au Café Boudin,—un café ou plutôt un immense jardin, avec de beaux arbres, dont la renommée s’étendait à cinquante lieues à la ronde, grâce surtout à son magnifique jeu de paume. Le propriétaire, le père Boudin, dont l’un des fils devint secrétaire d’Augustin Thierry, avait installé une tonnelle dans la cour attenante à la salle. Au printemps, ces treillis peints en vert se couvraient de plantes grimpantes, houblon et vigne vierge, glycine et clématite. Les causeurs et les beaux esprits avignonnais s’y donnaient rendez-vous pour prendre leur tasse de chocolat avec le classique pain au beurre, lire les journaux et parler politique. Pontmartin était un des habitués de la tonnelle. Il lui arrivait même d’y aller le soir, quand elle s’illumiminait à giorno à l’aide de six quinquets et que les élégants et les belles dames y venaient, de neuf à onze heures, prendre des glaces.

Tout cela, paraît-il, ne laissait pas d’être grave. Aller dans le monde, passer ses soirées au cercle, dîner avec de joyeux amis, fréquenter le Café Boudin! Horreur! Sainte-Beuve en est tout suffoqué; il se voile la face et il écrit ces lignes: «A ceux qui en douteraient à voir la sévérité de sa doctrine, je dirai (ce qui n’est jamais une injure pour un galant homme) que M. de Pontmartin eut de la jeunesse. La ville d’Avignon s’en est longtemps souvenue, me dit-on et les échos l’ont répété[58].»

Si Pontmartin se pliait volontiers à la vie provinciale, il ne renonçait pas pour cela à ses visées littéraires. Il dévorait tous les livres nouveaux, il lisait tous les articles de la Revue de Paris et de la Revue des Deux Mondes, et après chacune de ces lectures, il se disait: Semper ego auditor tantum? Doué dès cette époque d’une incroyable facilité de plume, il se sentait attiré surtout vers le journalisme. Malheureusement il n’y avait à Avignon aucun journal où il pût écrire. Il allait en trouver un ailleurs.

Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890

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