Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 9
IV
ОглавлениеJamais ménage ne fut plus uni que celui de M. et de Mme Eugène de Pontmartin; ils avaient les mêmes goûts, les mêmes sentiments, les mêmes vertus austères. Mme de Pontmartin n’alla jamais au théâtre. Elle lisait et relisait sans cesse les grands écrivains religieux du XVIIe siècle, Bossuet, Bourdaloue, Massillon. Elle a aimé ardemment son fils, l’a trop gâté peut-être. Entre eux, l’intimité fut toujours grande; toujours il lui fut doux de parler d’elle et d’évoquer son image. Je ne sais pourtant s’il n’y avait point, dans la voix de Pontmartin, plus d’émotion encore, plus d’infinie tendresse, quand il parlait de son père et de l’oncle Joseph; c’est qu’aussi on ne trouve pas facilement d’autres bontés comme celles-là.
M. de Pontmartin et sa jeune femme vinrent s’établir aux Angles et louèrent pour l’hiver un appartement à Avignon, rue Sainte-Praxède, dans la maison d’une famille amie, la famille d’Oléon. C’est là que vint au monde, après une attente de près de quatre ans, leur premier et unique enfant, Armand, né le 16 juillet 1811[10]; il fut baptisé le lendemain dans l’église de Saint-Agricol, alors cathédrale d’Avignon; le parrain fut l’oncle Joseph, et la marraine, Mme de Cambis, la grand’mère maternelle.
Les douze premières années de sa vie se passèrent en grande partie aux Angles, avec un séjour de quelques mois chaque hiver à Avignon, dans un appartement qui n’était plus celui de la rue Sainte-Praxède, mais qui se trouvait rue Saint-Marc, dans l’hôtel du marquis de Calvière[11], devenu quelques années plus tard la résidence des Pères Jésuites. Armand de Pontmartin avait un vague souvenir des événements de 1815, des efforts énergiques et couronnés de succès que fit son père pour empêcher une bande de pêcheurs du Rhône, d’un royalisme trop exalté, d’aller à la Vernède, à l’extrémité du territoire de la commune des Angles, piller le château d’un général bonapartiste, le général Gilly. Il se rappelait avec plus de précision cette lugubre soirée de février 1820, où son père et un autre locataire de la maison Calvière, ayant entendu circuler de sinistres rumeurs, se rendirent à la préfecture et revinrent un quart d’heure après en disant: «Hélas! c’est trop vrai! le duc de Berry est assassiné!» Quelques jours plus tard, M. de Pontmartin se trouvait seul aux Angles; on lui envoya d’Avignon une pauvre femme, presque une mendiante, qui lui dit ces simples mots: «Cazes[12] n’est plus rien!» Dans son enthousiasme, il lui donna cinq francs pour la récompenser d’avoir apporté une si bonne nouvelle, et pourtant, il était d’un caractère modéré, il ne partageait aucune des passions des ultras; mais il lui arrivait parfois, comme à beaucoup d’honnêtes gens de ce temps-là, d’être plus royaliste que le roi. Comment ne se serait-il pas réjoui de la chute de M. Decazes, puisque ce ministre était la bête noire de tous les blancs de 1820?
M. et Mme de Pontmartin allaient peu dans le monde, et presque chaque soir, pendant une heure, on faisait une lecture à la table de famille, le plus souvent dans les Essais de morale de Nicole. A certains jours, on s’humanisait un peu, et on lisait les Oraisons funèbres de Bossuet, Corneille, Racine, voire même le Misanthrope et les Femmes savantes. Dans ce vieil hôtel de Calvière, d’une si fière mine avec son escalier monumental, son portique d’ordre toscan, ses moulures en pierre et ses panneaux de boiseries sculptées, avec ses niches veuves de leurs statues, son bassin et sa fontaine rocaille, habitait aussi Mme de Villelume, née de Sombreuil, l’héroïne des massacres de Septembre. Son mari avait été envoyé à Avignon comme gouverneur de la succursale des Invalides. Elle venait quelquefois dîner chez M. de Pontmartin, et ces jours-là on ne servait sur la table que du vin blanc[13]!
Les douze premières années d’Armand de Pontmartin, avant son départ pour Paris, ne lui avaient laissé, à travers les visions confuses de son enfance, que deux souvenirs bien distincts: la mission des Pères de la Foi, ayant à leur tête le P. Guyon, dont la parole rappelait celle du P. Bridaine, et le voyage de MADAME, duchesse d’Angoulême.
La mission des Pères de la Foi est restée légendaire à Avignon. Commencée le 28 février 1819, elle se termina le dimanche 28 avril par la plantation d’une croix sur le rocher des Doms, au-dessous duquel s’étagent la métropole et le palais des Papes et qui domine un merveilleux panorama. La cérémonie fut belle entre toutes. Plus de quarante mille étrangers étaient accourus de toute la contrée d’alentour, et, sans le débordement de la Durance, le nombre en eût été plus considérable encore[14]. Naturellement, les enfants n’avaient pas été oubliés. Pontmartin, qui n’avait pas encore huit ans, était du cortège. Il le décrira plus tard, avec un enthousiasme que soixante ans écoulés n’avaient pu affaiblir[15].
Le récit du passage de la duchesse d’Angoulême a également trouvé place dans les Mémoires[16]. L’auteur seulement a légèrement romancé ce petit épisode; il l’a même, pour m’en tenir à ce seul point, antidaté d’un an. Ce n’est pas en 1822, mais en 1823 que MADAME visita nos provinces méridionales. C’était au moment de la guerre d’Espagne. Pendant que le duc d’Angoulême était, de l’autre côté des Pyrénées, à la tête de nos troupes, la princesse parcourait le midi de la France, où le sentiment royaliste n’avait encore rien perdu de son ardeur. Le 12 mai 1823,—et non, comme le dit Pontmartin, le 27 avril 1822,—elle se rendit de Nimes à Avignon. La route royale côtoyait les Angles. Tous les habitants, villageois et châtelains, étaient à leur poste, au bord de la route: au premier rang, M. de Pontmartin, qui devait haranguer la fille de Louis XVI et qui jetait de temps en temps les yeux sur son papier: à quelques pas en arrière, l’oncle Joseph, tenant par la main son neveu, dont le cœur battait à se rompre.
Tout à coup, on aperçoit, au haut de la montée de Saze, un énorme nuage de poussière, qui accourait d’un train effrayant: «C’est elle! s’écrie-t-on; c’est la duchesse! c’est Madame!» Bientôt le nuage s’éclaircit; un rayon de soleil le perce de part en part; on voit briller les casques et les sabres de l’escorte: puis les harnais de l’attelage et les chapeaux enrubannés des postillons. Deux calèches, menées à quatre chevaux, passèrent devant les bonnes gens des Angles sans s’arrêter. Inclinée à la portière, la duchesse salua d’un signe de tête. «Vive le roi!» crièrent les paysans avec un ensemble digne d’un meilleur sort. Au moment où ils allaient crier: «Vive Madame!» ils s’aperçurent que les voitures avaient disparu. «Ce fut, dit Pontmartin, ma première leçon de philosophie politique; depuis lors, j’en ai subi de plus rudes.»
Son éducation, cependant, commencée de bonne heure, amoureusement poussée et surveillée par les trois êtres dont il était l’affection principale, s’annonçait comme devant être exceptionnellement brillante. Dès qu’il eut huit ans, on lui donna un Virgile, et dans sa joie, il ne voulut plus s’en séparer, ni jour ni nuit. Un professeur du collège royal d’Avignon. M. Ract-Madoux, lui donnait des leçons. Voyant qu’il en profitait si bien, on eut l’idée de lui faire faire les mêmes compositions que les élèves de la classe de troisième. Il fut premier dans toutes, il avait alors douze ans. Ses parents jugèrent bientôt qu’il serait dommage de se contenter pour lui d’une éducation provinciale. Encore bien qu’une telle combinaison fût un peu au-dessus de ce que leur permettait leur fortune, ils se décidèrent à quitter Avignon et les Angles pour aller s’établir à Paris. C’était au mois d’octobre 1823, et Armand de Pontmartin venait d’entrer dans sa treizième année.