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IV

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Ce fut seulement au mois d’octobre suivant que la famille, privée de son chef, rentra à Paris, et que Pontmartin commença sa deuxième année de droit. Cette seconde année ne devait guère ressembler à la première. Plus de fêtes en Sorbonne, plus de soirées aux Italiens, plus de lectures paisibles et charmantes sous les arbres du Luxembourg. Les émeutes succédaient aux émeutes et des menaces de guerre venaient du dehors. Pendant que Mme la duchesse de Berry tentait en Vendée son héroïque aventure, les républicains se battaient au cloître Saint-Merry. Paris était mis en état de siège. Aux tristesses publiques venait se joindre pour Armand de Pontmartin un nouveau deuil de famille. Le 13 janvier 1832, un an presque jour pour jour après la mort de son père, il eut la grande douleur de perdre l’oncle Joseph, qui, malgré son chagrin, malgré une fatigue qui équivalait pour son corps débile à une grave maladie, avait tenu à suivre son neveu à Paris et à se réinstaller avec lui dans l’appartement de la rue de Vaugirard. Son corps fut rapporté aux Angles, accompagné par un prêtre ami. Mme de Pontmartin n’avait pas voulu que son fils interrompît encore ses études pour faire ce triste voyage.

Dans les derniers jours de mars 1832, le choléra fit son apparition à Paris. Commencée le 26 mars, l’épidémie ne devait finir que le 30 septembre. Pendant ces cent quatre-vingt-neuf jours, le chiffre des victimes s’éleva à 18,406[52].

De cette effroyable tragédie, de l’état d’âme des Parisiens pendant que le terrible fléau multipliait ses coups, de jour en jour plus meurtriers, Pontmartin a donné, dans ses Mémoires[53], une émouvante et très fidèle peinture. Ce chapitre parut dans le Correspondant du 25 novembre 1881. Après l’avoir lu, Cuvillier-Fleury lui écrivait: «Je suis encore ému, mon cher ami, de l’émotion que votre récit, daté du choléra, a causée à ma femme. Que cela est bien pensé, bien dit! Si je ne suis pas avec vous, aussi avant que vous, dans un certain mysticisme, qui convient aux solitaires quand ils ont de belles âmes, je n’en suis pas moins touché de ces nobles réminiscences, qui vont chercher en remontant quarante ou cinquante ans leurs souvenirs d’autrefois, et les trouvent presque rajeunis par cette éternelle fraîcheur des bons sentiments...»

Dès le milieu d’avril, Paris n’était plus qu’une nécropole. Les marchands, sans doute, ouvraient leurs boutiques, les théâtres ne fermaient pas leurs portes; les fiacres roulaient, les bourgeois montaient leur garde. Rien n’était suspendu dans le mouvement des affaires, et l’on affichait même chaque matin les plaisirs de la journée[54]. Mais ces vains simulacres et ces fausses apparences ne trompaient personne. Les chiffres de la mortalité augmentaient d’heure en heure. Les hôpitaux regorgeaient; les corbillards étaient débordés, et, pour suppléer à leur insuffisance, il avait fallu recourir à des omnibus funéraires, à de gigantesques tapissières, tendues de noir, qui dissimulaient aux regards le chiffre des déménagements. Une indicible terreur enveloppait la ville, et les plus braves eux-mêmes n’en étaient pas exempts. Quand on se séparait le soir, on n’osait pas se dire: «A demain!»

Pour ne pas effrayer sa mère, Pontmartin s’efforçait de faire bonne contenance; mais, nerveux et impressionnable à l’excès, il avait peine à y réussir. Les images de mort qui se renouvelaient sans cesse sous ses yeux, en lui rappelant les chers défunts qu’il avait récemment perdus, le faisaient constamment songer à un proverbe provençal, qui dit que, lorsque la mort est installée dans une maison, elle n’en sort plus. A ces préoccupations funèbres s’ajoutait une pensée superstitieuse et puérile. Il était encore sur les bancs du collège, lorsque son ami Léonard Retouret, dont une des toquades était de prédire l’avenir, lui avait dit: «Tu sais, toi, tu mourras dans cinq ans.» Pontmartin avait écrit, à la première page de son Virgile, la date de cette prédiction: 19 avril 1827. A mesure que l’on approchait de l’échéance fatale—19 avril 1832,—il croyait de plus en plus à la réalisation de la prophétie. Ce brave Retouret s’était trompé—et trompé de près de soixante ans. Le 20 avril, Pontmartin se leva, pleinement rassuré, si bien que, le 29 mai suivant, il assistait avec quelques amis, au théâtre de la Porte-Saint-Martin, à la première représentation de la Tour de Nesle. Comme on était loin déjà de la première représentation d’Hernani! Ce n’était plus le même public. Les rapins d’atelier étaient toujours là, sans doute; mais où étaient les autres claqueurs du 25 février 1830, fils de famille, lauréats de l’Université, rédacteurs du Globe, artistes arrivés, poètes du Cénacle? Ils étaient remplacés par des habitués d’estaminet, des acteurs et des actrices des petits théâtres, des journalistes républicains, des bousingots en bérets et en casquettes rouges. La fameuse tirade des Grandes dames provoqua des applaudissements frénétiques. Ces bravos redoublèrent quand le pauvre roi Louis le Hutin, après avoir dit aux seigneurs de sa cour: «Je vais donner l’ordre qu’une taxe soit levée sur la ville de Paris à l’occasion de ma rentrée», s’avança sur le balcon et dit au peuple: «Oui, mes enfants, je m’occupe de diminuer les impôts; je veux que vous soyez tous heureux, car je vous aime!» Pontmartin était consterné. Son cher romantisme n’était plus, après trois ans, qu’un épisode du triomphe révolutionnaire, gonflé de phrases de mélodrame et pimenté de tirades démocratiques. «Ah! disait-il tristement à ses amis pendant les entr’actes,—ce n’est plus ça, mais plus du tout! Adieu nos beaux rêves.»

Parmi les étudiants qui l’accompagnaient à cette première de la Tour de Nesle, il en était un qui d’habitude n’allait point au théâtre, Alfred Thureau-Dangin[55], qu’il avait connu dès le collège et qui était devenu son meilleur ami. Très lettré, d’un esprit charmant, d’une piété ardente, Alfred Thureau était dès lors ce qu’il devait être toujours, et de plus en plus, un chrétien modèle, l’homme de tous les devoirs et de toutes les vertus[56]. Pontmartin était d’un caractère un peu faible, prompt aux entraînements. A cette heure critique, et si souvent décisive, de la jeunesse, il avait besoin d’un guide et d’un appui. Ce lui fut une inestimable fortune de trouver dans Alfred Thureau l’ami-apôtre, celui qui est toujours prêt à donner les bons conseils et surtout les bons exemples.

Quand le choléra fut en décroissance, au mois d’août, Pontmartin quitta Paris avec sa mère. Il y revint seul au mois de novembre, non pour y terminer ses études juridiques, mais pour y faire un court séjour, emballer les meubles à destination d’Avignon et dire un adieu définitif à la place du Panthéon et à la rue de Vaugirard. La littérature l’avait décidément conquis sur le droit, dont en somme il n’avait fait que deux années et passé que deux examens: il se contentait du titre de bachelier en droit, ce qui, après tout, était suffisant pour être un jour maire de village.

Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890

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