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On loua une voiture de poste, on coucha cinq fois en route et on arriva à Paris dans la matinée du sixième jour, le 13 octobre. M. de Pontmartin avait arrêté un appartement, rue de Vaugirard, au second étage de la maison portant alors le numéro 37, plus tard 31, aujourd’hui 21. Cette maison faisait le coin du jardin du Luxembourg, presque en face de la rue du Pot-de-Fer[17]; trois de ses fenêtres avaient vue sur le jardin.

En même temps que les Pontmartin, deux autres familles méridionales,—les Cambis et les d’Alzon, que des liens de parenté et d’amitié unissaient aux châtelains des Angles,—venaient également se fixer à Paris et prendre gîte, comme eux, dans la rue de Vaugirard, les d’Alzon au numéro 9, hôtel Crapelet; les Cambis, au numéro 18, hôtel Boulay de la Meurthe. Le but des trois familles était le même: l’éducation de leurs fils. Ces fils étaient au nombre de quatre: Henri et Alfred de Cambis, Emmanuel d’Alzon, Armand de Pontmartin. On décida qu’ils suivraient comme externes les classes de Saint-Louis. Ce collège avait une petite porte à l’usage des externes, qui ouvrait sur la rue Monsieur-le-Prince, presque en face de la rue de Vaugirard. Il n’y aurait donc qu’un pas à faire pour conduire les enfants et les aller chercher. Pas un seul instant les parents n’avaient songé à les mettre internes. Ils se défiaient, non sans raison, de l’esprit qui régnait alors dans les collèges de Paris.

Ce sera l’honneur de la Restauration d’avoir, au sortir de la Révolution et de l’Empire, donné le signal de la renaissance religieuse en même temps que de la renaissance littéraire. Aucune époque n’a été plus féconde en œuvres catholiques; si la plupart n’ont acquis tout leur développement et n’ont donné tous leurs fruits que plus tard, la justice n’en commande pas moins de lui en reporter le principal mérite. Sur un point seulement ses efforts restèrent complètement infructueux, ses intentions et ses actes demeurèrent frappés de stérilité. Dans son désir de réformer l’enseignement universitaire, le gouvernement royal confia la direction de l’Instruction publique à un évêque. Un prêtre, dont le zèle égalait le talent, l’abbé de Scorbiac, fut investi des fonctions d’aumônier général de l’Université, avec mission de visiter tour à tour tous les collèges de France et d’y donner des retraites. Le soin le plus attentif fut apporté au choix des recteurs et des proviseurs. Les aumôniers furent pris parmi les jeunes hommes les plus distingués du clergé, et c’est ainsi, par exemple, que, de 1822 à 1830, le collège Henri IV eut pour aumôniers l’abbé de Salinis, l’abbé Gerbet et l’abbé Lacordaire. Mais c’est vainement que l’on sème, si «les graines tombent sur un terrain pierreux et parmi les épines qui croissent et les étouffent». Les professeurs, hommes d’ailleurs instruits et d’une conduite privée irréprochable, étaient presque tous imbus des doctrines philosophiques du XVIIIe siècle: leurs élèves étaient, pour la plupart, libéraux et voltairiens. «Un jour, dit M. Armand de Melun dans ses Mémoires, pendant que nous faisions notre philosophie[18] il nous prit fantaisie de discuter entre nous l’existence de Dieu. C’était pendant l’étude. Nous eûmes la délicatesse d’engager le surveillant à se retirer, pour nous laisser une plus entière liberté et n’avoir pas à se compromettre lui-même. La discussion fut vive et approfondie; et lorsqu’on passa au vote, l’existence de Dieu obtint la majorité d’une voix! Je votai pour le bon Dieu. Telle était la religion des collèges de l’État[19]...»

Deux collèges, cependant, Stanislas et Saint-Louis, avaient, dans une certaine mesure, échappé à la contagion régnante. Le proviseur de Saint-Louis était un ecclésiastique, l’abbé Thibault[20], qui avait établi au collège une discipline tout à la fois ferme sans rigueur et paternelle sans faiblesse. Il y avait deux aumôniers, l’abbé Léon Sibour, qui allait être remplacé par l’abbé Dumarsais[21], et l’abbé Salacroux.

Armand de Pontmartin fut placé en quatrième sous la férule clémente du bon M. Roberge. Cette même année, il fit sa première communion, non à Saint-Sulpice, dont les locataires du no 37 de la rue de Vaugirard étaient pourtant paroissiens,—mais à Saint-Thomas-d’Aquin. Les âmes les plus droites et les meilleures, celles qui se désintéressent le plus d’elles-mêmes, ont pourtant, elles aussi, leurs secrètes faiblesses. Si M. et Mme de Pontmartin et leurs amis s’étaient arrachés aux douceurs du vieux logis familial, au soleil de l’Hérault et de la Provence, aux prairies de Lavagnac, aux riantes îles du Rhône; s’ils s’étaient aventurés dans ce dangereux et terrible Paris, ce n’était pas pour préparer leurs enfants à être journalistes, maires de leur village, conseillers municipaux ou même grands vicaires. Ils rêvaient pour eux les plus brillantes destinées, ils les voyaient déjà montés aux plus hauts postes. En attendant, ne convenait-il pas de les rapprocher le plus vite possible des futurs ducs et marquis du pur faubourg, des futurs propriétaires des beaux hôtels de la rue de l’Université et de la rue de Varenne? Ces marquis et ces ducs ne manqueraient pas, un jour venant, d’ouvrir à leurs anciens compagnons de catéchisme les portes des Tuileries et de les transformer en ambassadeurs, en pairs de France ou en gentilshommes de la Chambre. Et voilà pourquoi, au trop modeste Saint-Sulpice, on avait préféré l’aristocratique Saint-Thomas-d’Aquin. C’est surtout de l’oncle Joseph que l’idée était venue. L’excellent homme, six ans plus tard, dut s’écrier, non plus avec son cher Virgile, mais avec Lucrèce qu’il connaissait presque aussi bien: O vanas hominum mentes!

A Saint-Sulpice, Pontmartin aurait eu pour catéchistes son cousin germain, le saint abbé Adalbert de Cambis, et un jeune prêtre, déjà presque célèbre, qui s’appelait l’abbé Dupanloup. A Saint-Thomas-d’Aquin, il fut presque aussi bien partagé. Le catéchiste en titre était l’abbé de La Bourdonnaye, prêtre fénelonien, d’une piété fervente, d’une éloquence pathétique, mais d’une santé délicate, qui dépensait pour ses élèves les restes de ses forces et de sa vie. Lorsqu’on lui apportait une tasse de bouillon, il leur disait avec un sourire qui leur serrait le cœur: «Mes enfants! ne me regardez pas! Ne m’imitez pas! Je vis comme un païen!» Il était secondé par l’abbé Hamelin, qui devint plus tard curé de Sainte-Clotilde. Les dimanches, Pontmartin et ses camarades de catéchisme avaient souvent Mgr de Quélen et l’abbé Borderies, qui mourut évêque de Versailles; quelquefois, l’abbé duc de Rohan, dont ils admiraient la suprême élégance, les pieuses coquetteries de geste et de parole, la tenue exquise, le rochet brodé de dentelles, le calice incrusté de saphirs et d’opales.

Au même printemps de 1824 se rattache un épisode raconté au tome IV des Souvenirs d’un vieux critique. Armand de Pontmartin et ses parents allaient à la messe à la chapelle du couvent des Carmes, situé à deux pas de leur demeure et occupé par des religieuses carmélites[22]. Le dimanche 23 mai, en se rendant à l’église, il longea le mur du jardin de l’hôtel d’Hinnisdal, qui formait l’angle de la rue de Vaugirard et de la rue Cassette. Sur le trottoir, il vit un jeune homme qui paraissait en proie à une agitation extraordinaire; non loin de lui stationnait un fiacre. Un peu ému, Pontmartin alla prendre dans la chapelle sa place accoutumée. Dans le chœur, à côté du grillage où se plaçaient les religieuses, il y avait une porte. Au moment où la messe allait finir, cette porte s’ouvrit et les assistants virent sortir une Carmélite qui, après avoir regardé à droite et à gauche, traversa rapidement l’église, comme si elle eût craint d’être poursuivie. On ne la poursuivit pas. Lorsque la fugitive avait passé près de lui en le frôlant de sa guimpe et de son voile, Pontmartin avait eu peine à retenir un cri de stupeur. Il aperçut ses compagnes pressées, comme des ombres, contre le grillage qu’il leur était interdit de franchir. Il entendit un chuchotement vague, un susurrement insaisissable, pareil à un souffle de brise expirant sur les bords d’un lac. Puis plus rien, que ce qui reste d’une apparition ou d’une hallucination! De cette vision de son enfance, il restera seulement à l’élève de Saint-Louis un souvenir qui, après de longues années, lui inspirera une Nouvelle[23] dont le prologue seul est exact.

Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890

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