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Au mois d’août 1829, Armand de Pontmartin passa son baccalauréat, ce qui fut, on le pense bien, une simple formalité. Si j’en parle, c’est pour ce petit détail: un de ses examinateurs s’appelait Villemain. Trois mois après, il prenait sa première inscription de droit. Des cours de l’école, il ne semblait avoir gardé aucun souvenir; de ses professeurs il ne parlait jamais, sauf quelquefois de M. Poncelet[40] professeur d’histoire du droit. Un soir, aux Italiens, à une représentation d’Otello, M. Poncelet n’avait pas de place; Pontmartin lui donna la sienne, sous le fallacieux prétexte qu’il allait au bal chez l’ambassadeur d’Angleterre. Depuis ce soir-là, ils furent amis, et ils prirent bientôt l’habitude de se rencontrer dans la grande allée du Luxembourg, où ils dissertaient à perte de vue sur Gluck et sur Rossini, sur Nourrit et sur Ponchard, sur Mlle Sontag et sur Mme Damoreau. Au bout de trois mois, l’accord était si parfait entre nos deux mélomanes qu’ils se tutoyaient. Cette liaison du reste n’eut point pour effet d’éveiller chez Pontmartin le goût de la procédure ou celui des Pandectes, et il continua de briller surtout par son absence aux leçons de MM. Duranton, Demante et Du Caurroy. En revanche, il était des plus assidus à la Sorbonne. Dès le collège, il avait été plus d’une fois conduit par son père et par l’oncle Joseph aux cours de MM. Guizot, Cousin et Villemain. Étudiant, il ne manqua aucune de leurs leçons. L’impression qu’il en ressentit ne devait jamais s’effacer.

M. Guizot avait choisi pour sujet de son cours de 1829-1830 l’histoire de la civilisation en France pendant les XIe, XIIe et XIIIe siècles, de Hugues Capet à Philippe de Valois. M. Villemain exposait l’histoire de la langue et des lettres au moyen âge en France et dans l’Europe méridionale. M. Cousin avait pris pour thème l’histoire de la philosophie du XVIIIe siècle.

Il n’était pas un jour de la semaine où le public, de plus en plus nombreux, ne fût assuré de voir monter en chaire un des trois professeurs:

Le lundi, M. Guizot;

Le mardi, M. Villemain;

Le mercredi, M. Villemain;

Le jeudi, M. Cousin;

Le vendredi, M. Cousin;

Le samedi, M. Guizot.

Dans le grand amphithéâtre de la Sorbonne, devenu un rendez-vous plus accrédité que le Bois de Boulogne, le Jardin des Tuileries et le Boulevard des Italiens, se rencontraient, au milieu d’une jeunesse enthousiaste, le député et le pair de France, le membre de l’Institut et le journaliste, l’artiste et le poète, l’universitaire et le séminariste, les femmes savantes et les beautés à la mode, Philaminte et Célimène. Autour de la chaire se pressaient tous ceux qui, ayant un nom, voulaient le soutenir, ou qui, n’en ayant pas, voulaient le faire; tous ceux qui allaient être ou qui ont failli être célèbres. Le duc de Broglie—l’ancien—y coudoyait le duc de Noailles; Théodore Jouffroy s’asseyait côte à côte avec Sainte-Beuve; les rédacteurs du Globe, du Journal des Débats, de la Revue française, préludaient à leurs destinées plus ou moins brillantes; ils venaient apprendre à parler en écoutant. Saint-Marc Girardin, Vitet, Nisard, Cuvillier-Fleury, Charles Magnin, Duvergier de Hauranne, P.-J. Dubois, Louis de Carné, Silvestre de Sacy, Charles de Rémusat, Montalembert, Larcy, Damiron, Alfred de Falloux, et quelquefois Alfred de Musset, l’Académie de l’avenir, un vaillant état-major de lieutenants prêts à passer capitaines, ou de capitaines destinés à devenir généraux!

Des trois illustres maîtres de la Sorbonne, M. Guizot, s’il était le plus original et le plus éloquent, n’était pas le plus couru et le plus applaudi. Ses leçons sur les éléments constitutifs de la société moderne, l’aristocratie féodale, l’Église, la royauté, les communes, étaient des modèles d’impartialité. D’une science profonde, d’une forme élevée, sobre et ferme, elles étaient certainement supérieures à celles de ses deux collègues. Mais ce grave professeur au teint pâle, au profil correct, à la physionomie austère, imposait à ses auditeurs plus qu’il ne les attirait. Son magnifique organe, si net, si vibrant, avait conservé, de son éducation et de sa jeunesse, je ne sais quelle rigidité calviniste qui refroidissait l’enthousiasme. On l’admirait, mais l’admiration était tempérée par une sorte de respect. Il n’y avait pas entre l’orateur et son public ces courants électriques qui triplent le succès. On était conquis, on n’était pas charmé. Le charmeur, c’était Villemain.

Lorsque ce dernier traversait la foule pour arriver jusqu’à sa chaire, le sourire était déjà sur toutes les lèvres. On s’était habitué si vite à sa spirituelle laideur, qu’elle semblait une grâce et une malice de plus. Cinquante ans plus tard, Pontmartin évoquera en ces termes le souvenir de ces inoubliables leçons du Villemain de 1829:

Il me semble que je le vois encore, une liasse de livres ou de papiers sous le bras, le dos voûté, la tête penchée sur une épaule, le scintillement du regard voilé sous le renflement des paupières, le pli des lèvres s’essayant au sourire comme un arc qui va lancer des flèches, le tout avec un petit air de Sainte-Nitouche qui ne présageait rien de bon pour les idées communes, les ignorants, les pédants et les imbéciles.

Il s’asseyait, il parlait, et aussitôt le charme opérait, l’orateur et l’auditoire étaient unis par un fil magnétique. Sa voix, par une incroyable flexibilité d’organe, une étonnante variété d’intonations, donnait une valeur prodigieuse non seulement à toutes ses paroles, mais à tous ses silences. Quelle ingéniosité! Quelle souplesse! Quel art caché sous ce naturel! Quelle justesse de demi-teintes et de nuances!... Les allusions, les épigrammes, les malices, les prétéritions narquoises, étaient saisies au vol avec une promptitude qui nous mettait de moitié dans les spirituelles intentions de notre enchanteur. C’était plaisir de souligner ce qu’il disait, d’achever ce qu’il commençait, de deviner ce qu’il taisait[41]...

Et pourtant, plus étonnant encore était Victor Cousin. Villemain était un merveilleux, un incomparable virtuose, Cousin était tout un orchestre. Ce n’est pas de ses leçons de la Sorbonne que l’on aurait pu dire: Cela manque de musique. Il parlait histoire comme Guizot, littérature comme Villemain; il parlait même philosophie, et il obtenait des effets plus extraordinaires en traitant des sujets plus arides. Sa faculté d’exposition avait toute la valeur d’une invention originale. Partout où il voulait mener son auditoire, son auditoire le suivait, avec frémissement, avec transport.

Nous sommes en 1887. Les maîtres sont morts. De leurs auditeurs, combien peu survivent! Pontmartin, l’un des derniers, se plaît à raviver, pour un moment, ces figures disparues, ces images éteintes, ces grands jours de la Sorbonne depuis longtemps évanouis.

Le cours de M. Cousin, écrit-il, eut l’heureuse fortune de coïncider avec les premières ardeurs du romantisme. On lui a reproché d’avoir fait le roman de la philosophie plutôt que son histoire. C’était là justement ce qui nous transportait. Pour passer des Méditations, des Odes et Ballades, des Orientales, d’Eloa, de Cromwell et de sa préface aux leçons de M. Cousin, nous n’avions pas besoin de changer d’atmosphère. Poésie, art, philosophie, découlaient de la même source, s’allumaient au même foyer, échangeaient tour à tour leurs rayonnements et leurs reflets. L’éloquent professeur réagissait énergiquement contre la philosophie sensualiste des demeurants du dernier siècle, tandis que nos poètes et nos artistes appliquaient le même effort de réaction aux pâles continuateurs de Voltaire et à l’école de l’abbé Delille... S’il ne disait pas assez clairement ce que devait être la philosophie, il nous apprenait au moins ce qu’elle devait ne pas être. D’ailleurs, encore une fois, ce détail nous semblait secondaire. Il était pour nous un oracle plutôt qu’un professeur, et il sied aux oracles de s’entourer de nuages. Au bout de soixante ans, je crois le voir et l’entendre encore: Deus! ecce Deus!... Il restait debout, et sa chaire devenait un trépied. Ses yeux lançaient des flammes. Ses gestes excessifs ajoutaient à l’entraînement de sa parole. Il était sibyllin sans être pédant, et ses obscurités paraissaient calculées pour rendre plus vifs et plus éclatants ses jets de lumière. Il avait des hardiesses de pensée et de langage qui saisissaient nos intelligences, élargissaient les horizons et introduisaient violemment l’histoire contemporaine dans la philosophie de tous les temps[42].

Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890

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