Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 23

III

Оглавление

Table des matières

La collaboration de Pontmartin à la Gazette du Midi lui laissait des loisirs. Il regrettait de ne pas avoir sous la main, à Avignon même, une feuille, si modeste fût-elle, où il pourrait écrire des chroniques mondaines et des feuilletons de théâtre. Par une belle matinée d’hiver, au mois de novembre 1836, il reçut la visite d’un vieil original, nommé Joudou, dont la manie était de fonder des journaux qui vivaient, en moyenne, trois mois ou six semaines. Le bonhomme Joudou lui annonça qu’il allait créer un nouveau journal, le Messager de Vaucluse, et il lui demanda de vouloir bien se charger du feuilleton. Pontmartin accepta, mais à la condition de ne pas signer.

Le Messager devait paraître deux fois par semaine, le jeudi et le dimanche; il ne parlerait pas politique et traiterait seulement les questions de littérature, d’histoire locale, d’archéologie, de travaux publics et d’hygiène. Le premier numéro parut le jeudi 1er décembre 1836; Pontmartin inaugura sa collaboration, dans celui du 11 décembre, par un feuilleton signé Z.Z.Z.

Mme Dorval venait d’arriver à Avignon, où elle devait donner une série de dix à douze représentations. C’était une bonne fortune pour le critique du Messager d’avoir l’occasion de parler d’une grande artiste et de passer en revue les principales pièces du théâtre romantique. Mme Dorval joua successivement Trente ans ou la Vie d’un joueur, de Victor Ducange et Dinaux; Clotilde, de Frédéric Soulié; Antony, la Tour de Nesle, Henri III et sa Cour, d’Alexandre Dumas; Jeanne Vaubernier, de Pierre Lafitte[69]; Angelo, de Victor Hugo; Chatterton, d’Alfred de Vigny.

Pontmartin ne lui consacra pas moins de six feuilletons[70]. Il parla d’elle avec enthousiasme. L’enthousiasme, du reste, était justifié. Mme Dorval n’avait pas la distinction aristocratique de Mlle Mars, son élégance incomparable, son art savant et profond; mais, plus que sa glorieuse rivale, elle était une artiste d’inspiration, l’interprète par excellence du drame moderne. Elle était la passion même, comédienne par hasard et par instinct, comme Mlle Mars était une comédienne par la nature et par l’étude; comédienne avec son cœur comme Mlle Mars était comédienne avec son esprit[71].

Pontmartin dit dans ses Mémoires: «J’avais habilement mélangé la prose doctorale de Gustave Planche, les gentilles paillettes de Jules Janin et mes souvenirs personnels du théâtre de la Porte-Saint-Martin. J’exprimai le plus fougueux enthousiasme et je citai un passage de la Revue des Deux Mondes, d’où il résultait que Mlle Mars n’allait pas à la cheville de Mme Dorval[72].» Cela n’est pas exact. Quoique romantique, Pontmartin aimait par-dessus tout ce qui était correct, délicat, charmant, distingué. Ses préférences devaient donc aller à Mlle Mars. Quand il eut à parler de Henri III et sa Cour, évoquant son souvenir dans le rôle de la duchesse de Guise, qu’elle avait créé au Théâtre-Français, il n’hésita pas à la déclarer supérieure à Mme Dorval[73].

Dans ce même article sur le drame de Dumas, il juge ses amis les romantiques comme un homme affranchi de toute servitude d’école:

Notre ami Alexandre Dumas, dit-il, esprit aventureux, peu profond, prêt à toute circonstance, avait d’abord fait sa pièce en trois actes, sous le titre de la Duchesse de Guise. Mais, à cette époque, on était engoué de chroniques, de moyen âge et de barbes pointues; on ne voyait plus au théâtre et dans nos musées la moindre toge romaine, la moindre tunique grecque, mais des pourpoints, des justaucorps, des souliers à la poulaine et des vertugadins. Notre auteur, voyant cette mode, imagina de plaquer au drame primitif deux actes de couleur locale et il l’intitula gravement Henri III et sa Cour. Le drame fut joué[74] et eut un grand succès que les romantiques (il y en avait alors) attribuèrent obstinément à la sarbacane du duc de Joyeuse, au bilboquet de d’Epernon et à la fraise de Saint-Mégrin: innocentes bribes historiques auxquelles personne aujourd’hui ne fait attention. Mais par bonheur Dumas, qui était dès lors un écrivain passionné, un cœur chaud et énergique, avait jeté à travers ces réminiscences d’Anquetil quelques scènes de passion véritable...

Dans son feuilleton sur Angelo, après avoir dit son admiration pour Mme Dorval, qui jouait le rôle de Catarina Bragadini, la femme du podestat, il ne se souvient d’avoir été l’un des claqueurs d’Hernani que pour condamner plus sévèrement le nouveau drame de Hugo: «Elle nous a tant émus, écrit-il, nous l’avons si bien applaudie, que nous avons oublié de ne pas applaudir la pièce. Elle a tendu sa main à M. Hugo, et elle l’a sauvé. Que d’aumônes semblables elle a faites, dans sa vie! Que de naufrages elle a épargné à ses poètes, et comme elle a mérité de rencontrer enfin celui qui ne lui laissera plus qu’à traduire et ne lui donnera rien à corriger[75]!»

Mme Dorval une fois partie, Pontmartin remplaça les comptes rendus de théâtre par des Causeries littéraires et mondaines, en même temps qu’il écrivait de courtes nouvelles, songeant déjà à mener de front, s’il le pouvait, la critique et le roman. Du 16 février au 20 avril 1837, il publia, dans le Messager, une suite d’Esquisses, qui avaient pour titre: I. La Vie d’artiste; II. Une Heure dans la vie; III. Les Courtisans de l’exil; IV. Les Deux violons. Le 25 juin, il commençait une nouvelle série, à laquelle il donnait ce titre: Souvenirs du monde, et qu’il faisait précéder de cette note: «Les fragments qu’on va lire font partie d’un ouvrage intitulé la Vérité vraie, qui paraîtra cet hiver chez Eugène Renduel.» Eugène Renduel était alors l’éditeur des romantiques. De ces Souvenirs du monde, deux chapitres seulement ont paru: Partie Carrée[76] et Suicides amoureux[77].

Mais la politique à ce même moment, allait le distraire de la littérature.

Le 4 octobre 1837, la dissolution de la Chambre des députés fut prononcée, et les électeurs convoqués pour le 4 novembre. Les électeurs d’Avignon allaient avoir à remplacer le marquis de Cambis, qui venait d’être appelé à la pairie. Le candidat constitutionnel était M. Eugène Poncet[78]; les royalistes lui opposèrent M. Berryer, lequel, du reste, ne prit aucune part à la lutte, étant assuré de sa réélection à Marseille. Entre les deux candidats, la situation de Pontmartin était particulièrement délicate. M. Poncet était ouvertement patronné par le marquis de Cambis; il n’avait même consenti à lui succéder qu’à la condition de se retirer dès que Henri de Cambis aurait trente ans, ce qui devait avoir lieu en 1840. Pontmartin avait une sincère affection pour son oncle, une vive amitié pour son cousin. Entre eux et Berryer cependant il n’hésita pas. Henriquinquiste intransigeant, il estima que c’était le cas, ou jamais, de mettre en pratique la vieille maxime: Amicus Plato, sed magis amica veritas.

Le 22 octobre 1837, il faisait paraître dans le Messager un grand article intitulé: Puissances intellectuelles de notre époque. I. Berryer. Premier article: Berryer homme politique. Ce premier article était suivi de cette note: «Au numéro prochain le deuxième article: Berryer orateur

Le Messager de Vaucluse n’avait pas le droit de parler politique, faute d’un cautionnement que le bon Joudou s’était trouvé hors d’état de verser. La préfecture lui fit comprendre qu’il serait sage à lui de s’arrêter dans la voie où il venait de s’engager. Il refusa donc d’insérer l’article promis. Le jour du vote approchait. Pontmartin réunit ses deux articles en une petite brochure, qui parut le 28 octobre, accompagnée de ces lignes:

La première partie de cette esquisse a paru dans le Messager de Vaucluse; la suite n’ayant pu y être insérée, des motifs d’à-propos ont fait désirer qu’elle fût publiée, ce qui a forcé de réimprimer le tout. Nous rappelons ceci, non pour blâmer l’administration, mais de peur qu’on nous accuse d’avoir prétendu donner à un simple article de journal la valeur d’une œuvre plus durable. A. P.

La brochure, on le pense bien, était un panégyrique enthousiaste du grand orateur, alors dans tout l’éclat de son magnifique talent. Sept jours après sa publication, avait lieu le vote. M. Poncet fut élu avec 268 suffrages sur 434 votants. Berryer obtint 163 voix[79].

Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890

Подняться наверх