Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 28
III
ОглавлениеPontmartin disait souvent que les trois événements tragiques qui l’avaient le plus frappé et dont il avait gardé la vision toujours présente, étaient le choléra de 1832 à Paris, l’inondation du Rhône à Avignon et aux Angles en novembre 1840 et les Journées de Juin 1848.
L’automne de 1840 avait été excessivement pluvieux; les plaines étaient, depuis trois semaines, entièrement submergées lorsque, le 4 novembre, l’inondation atteignit son maximum, c’est-à-dire la cote de huit mètres qui dépassait de soixante-quinze centimètres les plus fortes crues mentionnées dans l’histoire du Comtat. Pontmartin et sa mère étaient à ce moment dans leur maison des Angles. Le rez-de-chaussée fut envahi par les eaux jusqu’à une hauteur d’un mètre vingt au-dessus du sol. Tandis que Mme de Pontmartin était immobilisée au premier étage, son fils, obligé de pourvoir aux besoins de la maison, sortait par une échelle placée à la fenêtre d’une chambre au nord-est du logis, à un endroit où le chemin public, qui passe derrière les Angles, surplombe de deux mètres le niveau du rez-de-chaussée. Une fois sur ce chemin, il lui était facile de monter au village, situé au sommet d’une haute colline, de prendre la route venant de Nimes qui redescend vers le Rhône, de traverser le pont qui, fortement menacé, ne fut cependant ni emporté, ni couvert par les eaux et d’arriver à Avignon. Les quatre cinquièmes de la ville étaient submergés et on ne circulait qu’en bateau. L’hôtel de Montfaucon, où Mme de Pontmartin et son fils avaient un appartement, était envahi par l’eau jusqu’au premier étage.
Ce qui ajoutait à la désolation et à l’horreur de ces spectacles, c’étaient les scènes tragiques dont les plaines qui entourent les Angles étaient journellement le théâtre, les nombreux écroulements de maisons isolées, les incessants coups de fusil tirés en signe de détresse par les malheureux qui se trouvaient bloqués par le fleuve et en danger de mort, les efforts des courageux bateliers pour leur porter des vivres et des secours, efforts qui n’empêchaient pas toujours des catastrophes et qui en amenaient parfois de nouvelles.
Quand il écrira, quelques années plus tard, les Mémoires d’un notaire, c’est avec ses souvenirs de l’inondation de novembre 1840 que Pontmartin retracera les scènes de la terrible inondation de novembre 1755[109]. Le livre parut seulement en 1849, mais il commença d’y songer dès 1842. Cette année-là, en effet, il acheta dans une rue assez triste, la rue Banasterie, à l’angle de la rue du Vice-Légat, une maison assez belle, dont la porte était surmontée de panonceaux et dont la façade était agrémentée d’affiches de toutes couleurs, annonçant les ventes, licitations, faillites, jugements et enchères du département. C’était la demeure d’un officier ministériel, héritier d’une dynastie de notaires. A peine Pontmartin y fut-il installé, qu’il eut l’idée de reconstituer par l’imagination tout ce dont ce vieux logis avait été témoin depuis un siècle. De là les Mémoires d’un notaire, qui ont pour cadre la maison de la rue Banasterie.
Pontmartin, à cette date, tournait décidément au propriétaire. Le siège de conseiller général, pour le canton de Villeneuve-lès-Avignon, étant devenu vacant, il posa sa candidature. Son concurrent, le marquis de Fournès, cousin germain du duc Victor de Broglie, fut nommé. Deux ans après, en 1844, Pontmartin fut élu à l’unanimité.
Son entrée au Conseil général avait été précédée de son entrée à la Mode, et, de ce dernier succès, il s’était plus réjoui que de son triomphe électoral.
Les trois condamnés de 1839, Jules de Salvador, Ulric de Renoard et Frédéric d’Averton, étaient allés passer en Italie l’hiver de 1842-1843. Leur retour était annoncé pour le mois d’avril, et Pontmartin guettait l’arrivée de la malle-poste. Il en vit descendre avec eux un petit homme assez laid, mais dont la physionomie originale et fantaisiste méritait de ne pas passer inaperçue. Il était si expansif, si liant, que les trois Avignonnais et lui s’étant rencontrés à Naples quelques semaines auparavant, on en était déjà au tutoiement. C’était le vicomte Édouard Walsh, directeur de la Mode[110].
La présentation à peine faite, Édouard Walsh dit à Pontmartin: «J’ai lu vos articles envoyés à la Quotidienne: voulez-vous écrire dans la Mode?» Dès le 15 mai suivant, l’élégante Revue royaliste publiait le Bouquet de marguerites. Une seconde nouvelle, les Trois Veuves, parut dans la livraison du 25 septembre. C’était le début d’une longue collaboration.
Le mariage de Pontmartin suivit de près son entrée à la Mode. A la fin de 1843, il épousa Mlle Cécile de Montravel.
Sortie du Forez, la famille de Montravel s’était fixée avant la Révolution dans la partie la plus méridionale du Vivarais. Peu après la naissance de sa fille[111], M. de Montravel était allé demeurer avec sa belle-mère, Mme de Larochette, au château du Plantier[112], quittant ainsi une Provence pour une Auvergne, tant sont grandes, entre le sud et le nord du département de l’Ardèche, les différences de langage, de races, de costumes et de cultures. Le château du Plantier était la Providence du pays. La vie de ses hôtes était toute de piété et de bonnes œuvres. Tous, à l’exemple de la vénérable aïeule, semblaient avoir pour devise: Dieu, le Roi et les Pauvres. Mme de Larochette, qui avait couru les plus grands dangers et montré le plus ferme courage pendant la Terreur, consacrait son existence à secourir les malheureux et à faire refleurir autour d’elle la religion. Elle avait restauré dans son voisinage la chapelle de Notre-Dame d’Ay[113], que fréquentaient maintenant, comme avant la Révolution, de nombreux pèlerins. C’est dans cette chapelle que fut célébré, le 16 décembre 1843, le mariage d’Armand de Pontmartin et de Mlle de Montravel.
Comme deux bons provinciaux, ils firent leur voyage de noces à Paris, où ils passèrent deux mois dans la mélancolique rue du Mont-Thabor.
De retour à Avignon, à la fin de février 1844, il reprit sa collaboration à la Mode. Marguerite Vidal parut dans les numéros des 25 juin, 5 et 15 juillet 1844. A cette nouvelle succéda, dans les premiers mois de 1845, Napoléon Potard, qui avait presque les dimensions d’un volume.
M. Walsh écrivit à l’auteur qu’il réussissait, que les lecteurs de la Revue étaient ravis, et qu’il ne tenait qu’à lui de se croire un écrivain à la mode (sans italiques). La tentation était trop forte. Au mois d’octobre 1845, Pontmartin se résolut à aller passer l’hiver à Paris.