Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 30
I
ОглавлениеAu moment de son arrivée à Paris, à la fin d’octobre 1845, Pontmartin n’avait pas encore pris de résolution définitive au sujet de son installation dans la capitale. S’y fixerait-il à demeure? N’y ferait-il, au contraire, qu’un séjour plus ou moins prolongé? Dans le doute, il ne voulut pas louer un appartement et se mettre dans ses meubles. Il logea à l’hôtel, rue Neuve-Saint-Augustin. Était-ce à cet hôtel de Richelieu[114], où Lamartine, dans sa jeunesse, ne manquait jamais de descendre, toutes les fois qu’il venait à Paris[115]?
Le 26 octobre, à peine débarqué, il se dirigeait vers la rue Neuve-des-Bons-Enfants, franchissait le seuil du numéro 3, montait d’un pied hésitant un escalier boiteux, qui lui rappela celui de la Gazette du Midi, et entrait dans un atelier humide et mal éclairé. C’était là que s’imprimait le recueil le plus élégant de cette époque, la Mode, étalant sur sa couverture jaune paille le double écusson de France et de Naples, afin d’affirmer le patronage de la duchesse de Berry. Il eut vite fait d’oublier toutes ces laideurs, et il se crut transporté dans un palais enchanté, lorsque, quelques instants après, dans son cabinet directorial, étroit et sombre, le vicomte Édouard Walsh lui dit: «Courage! Je crois que nous allons trouver Sandeau corrigeant les épreuves de Catherine. Je vous présenterai, et nous irons déjeuner ensemble.»
La présentation alla toute seule; il leur sembla que, sans s’être jamais vus, ils se reconnaissaient. Jules Sandeau était depuis longtemps le romancier de prédilection de Pontmartin, et, de son côté, l’auteur du Docteur Herbeau avait vivement goûté, dès leur apparition, les premières Nouvelles de son jeune collaborateur, et en particulier l’émouvant récit des Trois Veuves.
Huit jours après, Pontmartin était accueilli chez Sandeau comme un ami. Le romancier habitait alors, rue de Lille, 19, un joli pavillon qu’il fallait aller chercher en traversant la cour d’honneur, en baissant la tête sous la cage du grand escalier et en pénétrant jusqu’au bout du jardin planté d’acacias et de sycomores. «C’est là, écrira Pontmartin au lendemain de la mort de Jules Sandeau, c’est là que je goûtai, pendant six ou sept ans, les douceurs de l’amitié la plus vraie, de l’hospitalité la plus franche. C’est là que les conseils, les bonnes paroles de l’auteur de Marianna m’encouragèrent à persévérer, me soutinrent dans mes défaillances, me consolèrent dans mes tristesses.»
Et un peu plus loin, dans le même article:
Que d’heures charmantes j’ai passées dans ce nid charmant! Je puis vous assurer que, à cette époque, en 1845, Jules Sandeau, jeune encore[116], ne regrettait plus rien. C’est à peine s’il aiguisait d’un peu d’ironie le sourire dont il faisait l’aumône à ses amours d’antan. Il avait auprès de lui sa femme, sa compagne, si gracieuse, si intelligente, mille fois plus dévouée à ses succès que lui-même, et son fils, le petit Jules, un délicieux enfant qui était sa plus douce joie, et qui devait être un jour son plus mortel désespoir[117]. Le babil de ce cher enfant était un véritable enchantement. Il semblait parler à un être invisible, sylphe, ange ou fée, et il terminait ses phrases par un gazouillement de fauvette qui nous ravissait. Pendant les belles soirées d’été, penchés à la fenêtre ouverte, nous écoutions cette fraîche mélodie, tandis qu’un vrai rossignol, caché dans les massifs de verdure, lançait aux étoiles ses trilles et ses roulades. Ah! ce sont là de ces moments qu’il faudrait arrêter au passage, qui laissent du moins dans l’âme un peu de leur parfum, comme ces fleurs que nous touchons sans les cueillir, et dont l’odeur suave s’attache à nos habits et à nos mains[118]!
Au mois de mai 1846, Pontmartin publia son premier ouvrage, Contes et Rêveries d’un planteur de choux; il était dédié à Jules Sandeau.
La première partie du volume renfermait les récits qui avaient paru dans la Mode, Napoléon Potard, les Trois Veuves, Marguerite Vidal, le Bouquet de marguerites. Après les contes, venaient les rêveries, articles humouristiques et de pure fantaisie, que l’auteur, à partir de la seconde édition de son livre, a cru devoir sacrifier. Il m’écrivait, le 20 novembre 1886:
J’ai supprimé, dans les éditions suivantes, des articles sans importance, Melpomène en Provence, Tamburini en voyage, deux épisodes qui ne pouvaient avoir qu’un succès d’à-propos et de localité; puis, dans le même genre, Carpentras apocryphe (dont j’ai fait plus tard la préface de la Petite ville, de Constant Moisand), Carter, Robert-Macaire, feuilletons de province, rien de plus.
Voici, du reste, la liste complète de ces articles, que l’auteur avait réunis sous le titre de Silhouettes d’artistes en Province: L’Artiste en cage, Carter; L’Artiste en haillons, Robert-Macaire; ’Artiste en crimes (Lacenaire); l’Artiste inconnu, Freischütz en Bohême; Melpomène en province; Tamburini en voyage; Carpentras apocryphe.
Pontmartin a-t-il eu raison de supprimer ces feuilletons? J’incline fort à penser le contraire. Sans doute ils dataient son livre; mais je suis, pour mon compte, de ceux qui croient qu’il ne faut pas mépriser les dates; et puis, ces chapitres étaient si spirituels, d’une si amusante fantaisie, que nous aurions encore aujourd’hui grand plaisir à les lire. Maintenant que nous n’avons plus que des auteurs de Tristes, cela nous changerait un peu.
Mes lecteurs, j’en suis sûr, ne connaissent qu’une seule dame Cardinal, celle de Ludovic Halévy. J’en ai connu une autre, et qui valait mieux. A l’époque où je faisais mon droit—je parle de longtemps—il y avait, dans la vieille rue des Canettes, un vieux cabinet de lecture, où l’on ne trouvait que de bons livres. Il était tenu par Madame Cardinal, très connue dans le faubourg Saint-Germain, et que les marquises et les vicomtesses de la rue de Varenne et de la rue de Grenelle chargeaient volontiers de faire elle-même le choix des ouvrages qu’elles devaient, dans la belle saison, emporter à la campagne. C’était une très honnête femme et qui n’avait pas de filles; bonne chrétienne et fervente royaliste, vive, active, enjouée, et avec cela femme de goût, elle donnait, à l’occasion, de sages avis à ses abonnés. Elle me dit un jour, comme je revenais de vacances: «Vous arrivez bien; on vient de me retourner de la campagne un volume rarissime, les Contes et Rêveries d’un planteur de choux, la première édition, la bonne. Je vous recommande surtout les derniers chapitres, Melpomène en voyage et le reste. C’est exquis.» Hélas! le cabinet de lecture de Mme Cardinal est fermé, et le volume de 1846 est maintenant introuvable.
Les contes, du reste, deux surtout, étaient bien pour suffire au succès du volume. Le Bouquet de marguerites est une anecdote finement contée; mais au demeurant, ce n’est qu’une anecdote. Dans Napoléon Potard, la nouvelle la plus développée du volume, si les scènes gracieuses ne font pas défaut, si les détails piquants abondent, l’idée première, la fable même du roman est décidément trop romanesque: un maréchal d’Empire fait par Napoléon duc d’Iéna, et qui veut que son fils, jusqu’au jour où il aura vingt-huit ans, ne connaisse rien de sa naissance, de son illustration et de sa fortune. Il faudra que ce fils vive jusque-là loin de lui et qu’il lutte, avec des ressources médiocres et un nom vulgaire—le nom de Potard!—contre les difficultés de la vie et les obstacles que la société oppose à ceux qui, sans autre titre que leur mérite, demandent leur place au soleil.
Marguerite Vidal, au contraire, est un récit achevé. C’est un petit roman par lettres qui se passe sous le Consulat, à l’époque de la rentrée des émigrés, et qui rappelle les meilleurs ouvrages de Mlle de Souza, avec plus de finesse encore dans l’analyse et la peinture des sentiments.
Dans les Trois Veuves, l’auteur a su faire revivre la Vendée de 1793, celle de 1815 et celle de 1832. Ce glorieux épisode de notre histoire, cette guerre, la plus légitime et en même temps la plus romanesque de toutes, n’avait encore fourni à aucun de nos romanciers d’aussi heureuses inspirations.