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II

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Les vacances de 1824 se passèrent à Paris, les Angles étant trop loin pour que l’on pût y revenir chaque année. En octobre 1824, Armand de Pontmartin commença sa troisième sous un professeur, M. Étienne Gros, qui était un helléniste remarquable. Sa santé toujours délicate fut éprouvée à ce moment par une croissance excessive, et au printemps de 1825, ses parents le ramenèrent aux Angles. Quand vint l’été, on alla passer six semaines aux bains de mer, à Marseille; mais l’oncle Joseph n’y accompagna pas son frère et son neveu; aussi ce fut la grande année de la correspondance en vers latins.

A la rentrée de 1825, complètement rétabli, il recommença sa troisième, qu’il fit avec le plus grand succès. Aux vacances du jour de l’an 1826, son père, pour ses étrennes, lui offrit le choix entre une tragédie jouée par Talma et un spectacle du Cirque Olympique, l’Incendie de Salins[24], qui attirait alors tout Paris. Hélas! il choisit le Cirque. Talma mourut peu de temps après[25], si bien que, par sa faute, Pontmartin, qui devait être un fanatique de théâtre, n’a jamais vu le grand tragédien.

Il prit, du reste, sa revanche aux mois d’août et de septembre 1827, après son année de seconde, où, sous la direction d’un excellent maître, M. Vendel-Heyl, il avait fait une ample moisson de couronnes. Pour l’indemniser de ses vacances manquées (comme celles de 1826, celles de 1827 se passèrent encore à Paris), ses parents lui accordèrent cinq soirées théâtrales: à l’Opéra, Moïse; au Théâtre-Français, Mlle Mars dans les Femmes savantes et dans la Jeunesse de Henri V; à l’Opéra-Comique, la Dame Blanche; au théâtre de Madame, le Mariage de raison, joué par Léontine Fay, Jenny Vertpré, Gontier, Ferville, Paul et Numa; et enfin, à la Porte-Saint-Martin, le drame de Trente ans ou la vie d’un joueur, où Frédérick Lemaître et Mme Dorval, par leur merveilleux talent, faisaient illusion aux spectateurs sur la valeur réelle de la pièce de Victor Ducange et Dinaux[26].

Dans la seconde série de ses Mémoires[27], Pontmartin a longuement parlé d’un accident, dont il fut victime à cette date, et qui, d’après lui, «a dominé toute sa vie, a décidé de sa carrière, a mêlé une souffrance secrète, intime, à la fois chronique et aiguë, à tous les épisodes, à tous les chagrins, à toutes les joies de son existence».

C’était le 12 septembre 1827, il était allé herboriser, avec deux ou trois camarades de Saint-Louis, sur les coteaux de Bellevue et de la Celle-Saint-Cloud; soudain il tomba en arrêt—comme Jean-Jacques devant la pervenche—devant une jolie petite fleur bleue, dont il ignorait le nom. Ce nom, il voulut le demander au plus savant de ses camarades; mais ces derniers, pendant ses extases et ses rêveries contemplatives, avaient pris les devants et étaient déjà loin. Alors il voulut crier... Vox faucibus hæsit! En quelques minutes, le timbre de sa voix avait subi une altération inexplicable; ou plutôt cette voix sans timbre passait incessamment d’une sorte d’extinction à des notes aiguës et fausses, d’autant plus pénibles pour lui qu’il avait et qu’il eut toujours l’oreille juste. «Ce n’est rien, c’est la mue!» lui dirent ses camarades après l’avoir entendu.—«C’est la mue!» dirent le soir ses parents. Cette mue devait durer toujours.

Devons-nous croire que vraiment cette défectuosité vocale «a dominé toute sa vie», que cette voix fluette, si peu en rapport avec sa haute taille, a été pour lui un martyre continu, la cause de tristesses et de déceptions sans nombre; qu’elle l’a empêché de se présenter à l’Académie, où plus d’une fois, en effet, il n’a dépendu que de lui d’être élu[28]? Il lui a plu de le dire, un jour qu’il avait ses nerfs, mais nous ne sommes pas obligés de le croire. Et d’abord, cette prétendue aphonie était bien relative. Que de gens ont causé avec lui sans jamais s’en apercevoir! Mais, réelle ou non, peut-être avait-elle pu impressionner son imagination assez vivement pour produire ce demi-désespoir dont il nous parle? Sans doute, mais c’est ce désespoir que je nie. On le comprendrait à peine, si Pontmartin avait jamais eu le désir d’aborder le barreau ou la tribune. A aucun moment de sa vie, il n’y a songé. Sa seule ambition fut d’être un écrivain, et pour réussir dans les lettres, point n’est besoin d’avoir une grosse voix, os magna sonaturum. Le discours de réception à l’Académie? Mais, franchement, se préoccupe-t-on trente ans d’avance d’une mauvaise heure à passer, quand cette heure doit être unique? Et d’ailleurs, là même, n’a-t-on pas la ressource de prétexter au dernier moment une indisposition et de prier un Legouvé ou un Camille Doucet de lire à votre place? Autre considération: quand un jeune homme est ou se croit atteint d’une infirmité qui l’humilie, la première chose qu’il fait d’instinct, c’est de fuir le monde, où il redoute la raillerie des autres jeunes gens et plus encore celle des femmes. Or, nous savons, par le témoignage de ses amis et par le sien propre, que personne plus que lui n’y brilla, que nul n’y déploya plus de verve et de gaieté, et cela précisément dans les années où il voudrait nous faire croire qu’il vivait à l’écart, en proie à ses sombres pensées. Autre chose encore: Pontmartin a siégé huit ans au Conseil général du Gard, et à coup sûr il ne s’y est pas senti humilié et inférieur à ses collègues, qui avaient peut-être plus d’accent que lui, mais qui, toutes les fois qu’il prenait la parole, l’écoutaient avec un plaisir sans mélange. Une seule fois, je l’ai entendu parler de sa voix grêle, et c’était en manière de plaisanterie, pour faire passer un de ces calembours dont il était coutumier.

Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890

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