Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 8
III
ОглавлениеDes deux fils de l’ancien émigré, l’aîné ne se maria point; il ne devait être, toute sa vie, que l’oncle Joseph. Très bel enfant en naissant, il éprouva pendant les jours de trouble qui suivirent la mort de sa mère un accident qui le rendit contrefait. L’oncle Joseph était donc bossu et d’une santé excessivement délicate. Mais ni cette épreuve ni toutes celles qu’il subit pendant l’émigration n’avaient altéré son humeur. Personne n’eut plus d’entrain, plus de bonne grâce dans les relations mondaines, une plus souriante bonté. Il avait cédé tous les droits du chef de famille à son frère, dont il ne se sépara d’ailleurs jamais. Quand il eut un neveu, on peut deviner de quelle affection il l’entoura et avec quel soin il s’occupa de son éducation: il fut son premier maître, l’initia au latin et au grec, et aussi à la chasse et au dessin, ses deux passions. L’oncle Joseph avait fait ses études à bâtons rompus, mais il avait conservé le goût des humanités; il s’y remit avec ardeur quand vinrent les années de collège d’Armand; bref, quand l’oncle et le neveu se trouvaient, par hasard, éloignés l’un de l’autre durant quelques semaines, ils s’écrivaient presque chaque jour, mais leur correspondance ne s’échangeait qu’en vers latins! Humaniste émérite, botaniste distingué, M. Joseph de Pontmartin était, en outre, un paysagiste de talent, et la peinture était, avec l’éducation de son neveu, la principale occupation de sa vie. Les vues prises par lui d’après nature dans ses promenades et ses voyages forment un album d’aquarelles et de sépias, qui sont, non d’un simple amateur, mais d’un véritable artiste. A l’huile, il pratiqua malheureusement un genre aujourd’hui démodé, le paysage composé: Corot n’était pas encore venu! Néanmoins, le genre une fois admis, on trouve à ces petits tableaux de sérieuses qualités. Leur auteur savait son métier. S’il lui avait pris fantaisie, aux environs de 1825, d’envoyer ses paysages au Salon de peinture, ils n’auraient pas fait trop mauvaise figure à côté des toiles de Bidault et de Jean-Victor Bertin. L’oncle Joseph eut le chagrin de survivre à son frère; il mourut à Paris, où il avait suivi sa belle-sœur et son neveu, le 13 janvier 1832, le lendemain du jour où il avait eu cinquante ans.
Son frère, Castor-Louis-Eugène, qui le suivit d’un an dans la vie et le précéda d’un an dans la mort, avait hérité de la haute taille et de la belle figure de leur père. Il avait tout près de six pieds, et son fils, si grand pourtant, paraissait petit à côté de lui. Eugène avait la plupart des goûts et des aptitudes de l’oncle Joseph, sauf qu’il négligeait l’aquarelle et le paysage composé pour se livrer à l’étude de la philosophie. Comme lui, il s’occupa avec un intérêt passionné des études classiques de son cher Armand; mais il n’avait pas le caractère enjoué de son frère. Malgré une bonté et une douceur sans bornes, il eut toujours quelque chose de mélancolique, comme s’il eût prévu qu’il était destiné à mourir à quarante-huit ans, de celle de toutes les maladies qui porte le plus à la tristesse, un cancer à l’estomac. Sa piété était austère, avec peut-être une nuance de jansénisme inconscient. Il n’allait au théâtre que pour voir de loin en loin jouer une tragédie. Une seule fois, il y alla pour une comédie, l’École des Vieillards[6], de Casimir Delavigne, et encore savait-il qu’il y retrouverait Talma. Si plus tard il lui arriva de se relâcher de cette rigueur, c’était afin d’accompagner, pour le récompenser de ses succès, son fils qui a toujours été un peu réfractaire à la tragédie. De tous ceux que j’ai nommés ou nommerai dans ces pages, celui-là était sans doute le meilleur, et je n’oublierai jamais avec quelle affectueuse vénération son fils parlait de lui.
En décembre 1807, à vingt-quatre ans, il épousa à Montpellier Émilie de Cambis, qui avait vingt ans. La famille de Cambis, venue de Florence au XVe siècle, tenait le premier rang à Avignon, soit par les fonctions qu’elle y exerçait au nom du Pape, soit par sa popularité presque égale à celle des Crillon, soit par tous les serviteurs distingués qu’elle avait donnés à la France, en vertu du privilège de régnicoles accordé par François Ier aux habitants d’Avignon et du Comtat. Ce mariage présentait, au point de vue des idées aristocratiques, une certaine disproportion; mais la belle mine, la vertu et la fortune relative du marié équivalaient à un supplément de parchemins; d’ailleurs, au lendemain de la Révolution et de ses ruines, on devait se montrer moins exigeant qu’on ne l’eût été vingt ans plus tôt. Mlle de Cambis était petite, avec de gros traits, un teint bilieux qui lui était commun avec son frère, le futur pair de France; mais, par ses qualités morales, sa haute intelligence, son instruction, c’était une femme supérieure. Quelles que fussent les charmantes qualités d’esprit de son mari et de son beau-frère, comme on le voit presque toujours quand on étudie les origines des hommes de talent, c’est de sa mère qu’Armand de Pontmartin tenait ses brillantes facultés comme les traits de son visage; de son père il n’avait gardé que la haute taille.
Émilie de Cambis avait, comme son mari, passé par bien des épreuves. Née à Avignon, elle avait été emmenée à Chartres par son père, Henri de Cambis d’Orsan, marquis de Lagnes, colonel de dragons, qui fuyait les excès de la Révolution. A Chartres, il fut mis en prison et y mourut le 5 janvier 1793; le procès du Roi et la perspective du sort réservé à l’auguste victime lui avaient porté un coup dont il ne put se relever. Sa veuve, Augustine de Grave, se retira alors à Montpellier, son pays natal, avec ses trois enfants, Henriette, Auguste et Émilie, qui, admirablement doués tous les trois, firent ensemble et presque sans maîtres des études exceptionnellement approfondies. Mme de Cambis avait deux frères: l’aîné, le marquis de Grave, capitaine au régiment d’Hervilly, fut tué à Quiberon le 21 juillet 1795; le second, le chevalier de Grave, plus tard marquis, fut pendant quelques semaines, du 10 mars au 8 mai 1792, ministre de la Guerre du roi Louis XVI. Décrété d’accusation le 27 août 1792, il se réfugia en Angleterre, d’où il ne revint qu’en 1804. Louis XVIII le nomma pair de France le 17 août 1815. Il mourut sans enfants le 16 janvier 1823[7]. Son frère avait laissé une fille, qui épousa sous l’Empire le marquis de Guerry, Vendéen de race et de sentiments, et qui ne tarda pas à devenir veuve, son mari ayant été tué lors de la prise d’armes de 1815. Ce beau-père fusillé à Quiberon, ce gendre tué au combat des Mathes, il me semble bien les avoir déjà rencontrés quelque part. Ajoutez-y par l’imagination une troisième génération qui sera la dernière, un autre Vendéen mourant, lui aussi, pour le Roi, à la Pénissière, en 1832, et vous avez les Trois Veuves[8], une des premières et l’une des plus remarquables nouvelles d’Armand de Pontmartin. J’ai toujours pensé que ce petit récit était né du souvenir des morts héroïques qui avaient voué Mme de Guerry à un deuil éternel. Cette tragique histoire d’une cousine germaine de sa mère, contée souvent à la veillée, avait dû lui causer une ineffaçable impression[9].
Mme de Cambis, revenue à Montpellier, comme je l’ai dit, après avoir perdu son mari, vécut dans cette ville jusqu’à sa mort, en 1821. Armand, dans ses jeunes années, fut souvent conduit en visite chez cette vénérable et très vénérée aïeule. L’aînée de ses filles, Henriette, une sainte, avait épousé, en 1798, un Cambis d’une autre branche, habitant les Cévennes; elle eut cinq enfants, cousins germains et amis d’enfance de Pontmartin. Tous l’ont précédée dans la tombe; le dernier disparu est l’abbé Adalbert de Cambis, longtemps premier vicaire de Saint-Sulpice, mort en 1879.