Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 18
III
ОглавлениеEmmanuel Richomme, son ancien condisciple de Saint-Louis, était le neveu du peintre Paul Huet, le précurseur de notre grande école paysagiste. Pontmartin fréquenta l’atelier de l’artiste, son aîné seulement de quelques années[48], et noua avec lui une amitié, qu’il consacrera plus tard en lui dédiant les Mémoires d’un notaire, ce roman qui côtoie souvent de trop près le mélodrame, mais où il y a de si charmants paysages, d’un ton si juste et si vrai. Lors de la première représentation d’Hernani, Paul Huet fut chargé de fournir une bande; il la recruta parmi ses élèves et les amis de son neveu. Et voilà comment Armand de Pontmartin se trouva, le soir du 25 février 1830, au parterre du Théâtre-Français, applaudissant à tout rompre les vers de Hugo, en compagnie des rapins les plus frénétiques.
Dans ses Mémoires[49], il a retracé les principaux épisodes de cette soirée mémorable. Il sortit du théâtre plus hugolâtre que jamais, pressé du besoin de dire à tous—urbi et orbi—son admiration et son enthousiasme. Il y avait justement, en ce temps-là, sur le pavé de Paris, un petit journal qui lui avait quelques obligations et ne demandait pas mieux que d’insérer sa prose. De ses deux cousins, Henri et Alfred de Cambis, le second, paresseux et étourdi, avait été retiré du collège, où il perdait son temps; le marquis de Cambis lui avait donné pour précepteur un jeune universitaire, quelque peu journaliste, nommé Félix Lebertre. Lebertre était libéral et hostile au parti prêtre; mais comme cet ennemi de la Congrégation n’était pas, malgré tout, bien féroce, et qu’il avait la passion de la littérature, Pontmartin s’était lié avec lui et avait été un des premiers souscripteurs de son journal, la Silhouette: c’était une feuille à images, à prétentions mondaines, et qui s’occupait volontiers des théâtres. Elle ouvrit avec empressement ses colonnes à l’article de Pontmartin sur Hernani, improvisé en quelques heures le lendemain de la première représentation.
En même temps que la Silhouette, Lebertre dirigeait une autre publication, le Petit Plutarque français, Pontmartin y donna deux notices sur Corneille et sur La Fontaine, ornées de gravures sur bois. Mais il allait bientôt débuter dans un recueil plus important, dans une des principales Revues de l’époque, le Correspondant.
Fondé le 10 mars 1829 par MM. Bailly de Surcy, Edmond de Cazalès et Louis de Carné, le Correspondant, après avoir été d’abord hebdomadaire, paraissait, depuis le 2 mars 1830, deux fois par semaine, le mardi et le vendredi, en un cahier de huit pages in-4o, à deux colonnes.
A la fois religieuse, politique et littéraire, la nouvelle Revue, dont presque tous les rédacteurs étaient des jeunes, professait hautement les doctrines catholiques et monarchiques; en littérature, elle inclinait vers le romantisme, mais avec de sages réserves. Elle venait justement de publier sur Hernani deux grands articles, où je relève, à côté des éloges les plus mérités, ces lignes quasi prophétiques: «L’invocation au tombeau de Charlemagne est noble et grande... toutefois l’ensemble est entaché du vice d’une fausse profondeur; il y a plus d’images que de pensées, et les pensées arrivent par les images... Mon oreille est étonnée, mon âme n’est pas profondément ébranlée[50]...»
Il y a plus d’images que de pensées, et les pensées arrivent par les images: Victor Hugo poète, avec ses qualités et ses défauts, n’est-il pas tout entier dans cette phrase?
Toutes les sympathies de Pontmartin allaient naturellement au Correspondant, et il se disait que, lorsqu’il aurait quelques années de plus, il serait heureux de se joindre à ce groupe d’élite. Plus tôt qu’il ne le pensait, et avant la fin de sa première année de droit, la porte de la Revue s’ouvrit à demi devant lui, en attendant de s’ouvrir plus tard toute grande.
Le 29 juin 1830, eut lieu à l’Académie française la double réception du général Philippe de Ségur et de M. de Pongerville. Les deux récipiendaires et MM. Arnault et de Jouy, chargés de leur répondre, attaquèrent le romantisme avec une véritable furie:
Ils étaient quatre
Qui voulaient se battre...
Armand de Pontmartin assistait à la séance, avec un billet que lui avait procuré son oncle, M. de Cambis. Rentré chez lui, il écrivit trois ou quatre pages où il parlait des quatre immortels et aussi d’un demi-quarteron de leurs confrères, avec la plus parfaite irrévérence. Une heure après, l’article était dans la boîte du Correspondant, au numéro 5 de la rue Saint-Thomas-d’Enfer.
Ce premier article, on s’en souvient toujours. «Moi-même, écrira Pontmartin dans une de ses causeries de 1876, moi-même, à un demi-siècle de distance, je ne puis oublier avec quel battement de cœur je jetai dans la boîte du Correspondant le premier en date de mes innombrables articles, et quelle fut ma joie, trois jours après, en me voyant imprimé tout vif sur la même page que mes aînés, Louis de Carné et Edmond de Cazalès. Ce sont là de ces impressions de jeunesse qui s’effacent et que l’on croit mortes, tant que la vie semble encore avoir encore quelque chose à nous donner. Mais quand tout manque à la fois, quand on n’a plus devant soi que deuil et que ténèbres, on se retourne et l’on aperçoit bien loin, à l’extrémité de l’horizon, une pâle et faible lueur. C’est le fugitif rayon de la vingtième année, l’adieu furtif du premier rêve à la dernière réalité[51].»
Toutes nos joies sont courtes. L’article du Correspondant avait paru le 2 juillet: moins de quatre semaines après, éclatait la Révolution de 1830. Pontmartin était encore à Paris, où il était resté avec sa mère et son oncle Joseph. Après les premiers jours de trouble, et dès que les routes furent rouvertes, on revint aux Angles, où M. de Pontmartin le père s’était rendu dès le printemps. On le trouva très souffrant, accablé par les nouvelles de Paris. Bientôt même il fallut le transporter à Avignon, dans la maison de son beau-frère de Cambis, afin d’être plus à portée des médecins. La douleur causée au fidèle royaliste par la chute de ses princes, ses inquiétudes pendant plusieurs mois pour la vie de M. de Polignac, son compagnon des années d’émigration, aggravèrent sa maladie et hâtèrent sa mort, qui eut lieu en un jour de deuil monarchique, particulièrement poignant au lendemain d’un nouvel exil des Bourbons, le 21 janvier 1831.