Читать книгу Armand de Pontmartin, sa vie et ses oeuvres, 1811-1890 - Edmond Biré - Страница 7
II
ОглавлениеA la fin de 1791, M. de Pontmartin émigra en Suisse et s’établit provisoirement à Vevey, où ses fils allèrent le rejoindre. De là, on alla à Soleure, où les enfants passèrent deux ans au collège des Oratoriens de Bellelay. Ils y prirent le goût des lettres, en dépit de dures privations, souffrant du froid et même un peu de la faim. Les maîtres étaient comme eux des émigrés, dénués de toutes ressources. Au printemps de 1793, la famille est à Vienne, d’où elle passe bientôt en Pologne, puis en Ukraine, dans un domaine rural appele Boubenoska. Un peu plus tard, on se fixe à Tulczin, toujours en Ukraine. Dans cette petite ville de la Russie polonaise, nos émigrés retrouvent comme un petit coin de France, où l’ancien lieutenant des gardes du corps essaie par moments d’oublier ses peines en ravivant les douces et mélancoliques images de Versailles et de Trianon. Il y avait là, en effet, presque tous les Polignac, la comtesse Diane, non pas la brillante amie de la reine Marie-Antoinette, mais sa belle-sœur, non mariée, et avec elle ses trois neveux, Jules, Armand et Melchior de Polignac, qui se lièrent étroitement avec Joseph et Eugène de Pontmartin.
Faisant contre fortune bon cœur, les pauvres émigrés avaient organisé chez le comte Vincent Potocki, au château de Kovalovka, une troupe de comédie et d’opéra-comique; on jouait Nina ou la Folle par amour, Zémire et Azor, le Déserteur, Richard Cœur de Lion. On jouait aussi les pièces d’un membre de la colonie, l’abbé Chalenton. Lorsque Armand de Pontmartin arriva à Paris, en octobre 1823, pour faire ses classes, l’abbé Chalenton vivait encore. Il venait voir souvent les Pontmartin, et il déclara un jour que notre collégien aurait des prix de mémoire, parce que celui-ci venait de lui réciter toute une tirade de sa comédie de Monsieur de Porcalaise ou le Gourmand, composée tout exprès pour être représentée sur le théâtre de Kovalovka. Il y en avait trois comme celle-là, et l’abbé les avait recueillies dans un volume, sous ce pseudonyme: Par un nouveau Sarmate.
Une voisine de Kovalovka, la comtesse Moczinska, très riche, mais d’une noblesse inférieure à celle des Potocki, avait offert la plus généreuse hospitalité à M. de Pontmartin et à ses deux fils. Un jour, le voyant découragé par les lenteurs des années d’exil, elle lui dit: «Vous retournerez en France; vous rentrerez dans votre maison; moi, j’irai vous faire une visite, et vous demander l’hospitalité que je suis si heureuse de vous offrir.» Son âge et l’état de l’Europe et de la France, à la veille du 18 Brumaire, rendaient sa prédiction bien invraisemblable. Pourtant, elle arriva, fidèle à sa promesse, en avril 1803, avec une suite nombreuse où figurait un jeune médecin, qui fut plus tard le célèbre docteur Double[5], membre de l’Académie des sciences, père de Léopold Double, le fameux collectionneur, et beau-père du non moins fameux Libri, qui collectionnait, lui aussi, à sa façon.
Chez la comtesse Moczinska, M. de Pontmartin fit connaissance avec Souvarow, qui lui offrit un grade de général dans l’armée russe: il opposa à toutes les instances qui lui furent faites un refus inébranlable.
En 1801, il rentra en France, mais il ne voulut pas quitter l’Ukraine avant d’avoir épousé la compagne de son émigration, la seconde mère de ses enfants. Ce mariage fut célébré à Tulczin, le 17 mars 1801, sur une permission accordée en latin et en polonais par l’évêque de Kaminiec.
On retrouva la propriété des Angles intacte; c’était un bien de mineurs, et ces mineurs n’avaient pas été considérés comme volontairement émigrés. Même la belle allée de marronniers, qui devait presque jouer un rôle dans la vie littéraire de l’auteur des Samedis, avait été sauvée par le dévouement d’un fermier. M. de Pontmartin envoya alors ses fils à Paris pour y compléter des études que tant de déplacements et de hasards avaient dû singulièrement contrarier. Il mourut aux Angles le 3 août 1806. Sa veuve, qui lui survécut jusqu’en 1824, eut le temps de connaître et de combler de gâteries maternelles cet Armand qu’elle considérait comme son petit-fils et qui, au terme de sa vie, parlait encore avec une tendre reconnaissance de celle que ses parents et lui n’avaient jamais appelée que Tatan-Bonne.