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IV

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Si l’évolution de cet organisme figuré que représente la sculpture, de son stade embryonnaire à sa décomposition, n’enfonçait toutes ses racines dans l’histoire même des âmes, elle n’aurait aucun sens. Le métier se transmet, certes, se perfectionne, s’affirme, se complique, se gâte, se perd. Mais le métier exprime l’homme, et c’est l’homme, en dernière analyse, qui se perfectionne, s’affirme, se complique, se gâte, se perd. La statue ne fait qu’imprimer sur le sol la trace de l’homme, comme s’il marchait dans ses pas. Elle est l’homme, l’homme intérieur dans ce qu’il a de plus candide, mais aussi de plus essentiel. Elle n’est certes pas chacun des hommes pris à part. Elle est une sublimation de l’homme en général, de sa vie secrète supérieure, le résidu spirituel moyen qu’il en laisse pour dire où il est passé.

Si j’ai pris la statue comme exemple en Grèce et en France, c’est donc parce que nous pourrons mieux saisir, en ne la perdant pas de vue, les liens qui nous attachent tous, par elle, aux formes d’expression dont elle sort, qui sortent d’elle, et au centre desquelles elle se tient, comme un témoin muet de nos diverses aventures. Celles qui la précèdent survivent précisément en elle jusqu’à l’instant où ses apparences ébauchent celles qui lui succéderont. Si je puis me permettre une définition un peu schématique sans doute, mais faite ainsi pour entrer au cœur du problème d’un-seul coup, je dirai que la sculpture étant le plan , l’architecture est le profil , la peinture le passage . Que le profil — l’architecture — correspond à un édifice social très précisément défini. Le passage — la peinture — à un individu ondoyant, progressant, régressant, subtil, pénétrant dans tous les accidents sociaux avec l’ombre et la lumière. Le plan — la sculpture — à un point d’équilibre où l’individu se rattache encore fortement au corps social qui cependant lui laisse prendre toute indépendance compatible avec leur commune sécurité. Que la sculpture, cette expression plastique transitoire entre un état organique et un état critique de la société, participe de moins en moins, à mesure qu’elle approche du point d’équilibre, de l’architecture exprimant cet état organique, et de plus en plus, à mesure qu’elle s’éloigne du point d’équilibre, de la peinture exprimant cet état critique.

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Cl. Boissonnas.

LE PROFIL (Parthénon.)


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(In Fechheimer. La Plastique égyptienne. (Cassirer. ed.).

LE PLAN (Égypte.)


Si, en effet, après avoir envisagé l’évolution de la statue dans ses rapports avec l’évolution des mœurs, de la politique, des idées, je cherche à comprendre ce qu’elle exprime relativement aux formes qui précèdent et aux formes qui suivent l’instant où elle atteint son équilibre, la signification du temple et de la toile peinte relativement à l’homme m’apparaît au premier regard. Le temple dorique ou roman est enfoncé de toutes parts dans la rigidité du mythe social qu’il exprime. A ses débuts, pas une sculpture ne l’orne. Il est aussi nu que la loi . Il est la foule à qui le légiste ou le prêtre dicte les disciplines nécessaires au maintien de l’esprit dans les frontières hors desquelles la famille et la Cité — ou la famille et l’Église — risquent de trouver devant elles les méandres de la curiosité, de l’enquête, de l’aventure où elles s’éparpilleraient. Quand les hommes croient en commun, ils bâtissent en commun. Si la sculpture naît, c’est que l’individu s’ébauche. Elle est l’individu lui-même, mais profondément religieux, abrupt, obéissant avec une sorte d’ivresse, encore tout engagé dans l’organisme originel. Les hommes croient en commun quand apparaît la sculpture. Mais déjà quelques-uns commencent à ne plus penser en commun.

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Cl. Giraudon.

LE PASSAGE (Rubens.)


La statue émerge du temple dans la mesure presque exacte où l’homme sort de la foule, et du même pas que lui. Elle n’y paraîtra pas tant que l’homme obéira aveuglément aux puissances théocratiques chargées d’organiser les bases de ses essentielles fonctions. Elle ne le quittera pas tant que l’homme cultivera son énergie, son caractère et son audace au profit de la cohésion du groupe social qui l’utilisait naguère avec l’intransigeance qu’exigeait cette organisation. L’homme, se dégageant du dieu, en est à sa phase héroïque. Ici c’est la croisade, les guerres nationales là. Au moment même où le plan réalise une heure l’accord du profil et du passage, on assiste aux balbutiements de la peinture primitive, tandis que l’architecture montre une tendance grandissante à trop animer ses surfaces et à s’associer à la lumière en agrandissant ses baies et en allégeant ses supports. Ceci est éclatant dans la révolution qui substitue à la massive église romane l’aérienne église ogivale se peuplant peu à peu de reliefs où l’ombre et la lumière jouent, semant à l’intérieur, grâce aux vitraux multicolores, des prés fleuris, des couchers d’astres, des mers illuminées et des sous-bois crépusculaires où la lueur mobile des saisons promène des ombres mouvantes de vapeurs bleues, de feuilles vertes, rouges, de neige vermeille, et des bruissements, des ramages, des murmures imaginés . Le temple grec reste plus uniforme au cours du rapide travail qui conduit la sculpture du plus fruste des archaïsmes à la mélodie de Phidias; c’est que le christianisme n’est pas encore venu peupler l’âme des multitudes de sentiments plus enchevêtrés, plus complexes, d’aspirations mystiques plus sensuelles, plus vagues, d’une accumulation plus vaste de souffrances et d’espoir. Cependant les colonnes du péristyle s’allongent et se font plus frêles, laissant entre elles plus de jour, le ruissellement des cannelures est plus profond et plus serré sur elles, la grâce ionienne contournée — en attendant la profusion corinthienne — se substitue plus fréquemment à l’austérité tranchante du Dorien, les métopes se peuplent, les murs se couvrent de peintures, l’or des boucliers suspendus étincelle au dehors parmi les bleus, les verts, les ocres et les vermillons dont les rapports deviennent plus complexes, une ouverture est pratiquée dans le toit de l’édifice pour faire jouer, à l’intérieur, le fouillis polychrome des idoles et des ex-voto.

Que le mythe et la loi, à cette heure critique, n’aient plus la force de retenir l’individu, l’architecture n’aura plus la force de retenir la sculpture. Après avoir envahi de ses multitudes croissantes, là les frises et la cella et tous les intervalles libres du rocher de la forteresse, ici, par les métiers, les saints, les fleurs, les bêtes, la façade tout entière et les porches latéraux de l’édifice ogival, la statue descend dans les rues, les appartements, les jardins. Elle est comme l’individu qui croît en quantité à mesure que ses droits s’égalisent pour masquer l’inégalité de ses moyens, mais dont la qualité sociale baisse petit à petit. Nous avons vu ses modifications irrésistibles. Le portrait apparaît. Le type s’efface. Le passage veut insinuer, dans le plan qu’il envahit, contre le profil qu’il effondre, des sensations, des sentiments et des idées que la pierre ou le marbre, même fouillés et caressés par la lumière, ne sont pas capables d’exprimer. A mesure que le statuaire, pour sa ruine, fait appel aux procédés du peintre, — valeurs, contrastes, demi-teintes, — la peinture se développe et s’élance au-devant de l’homme pour tenter de l’arracher, comme une sirène amoureuse, au navire social en perdition. C’est au ive siècle que les grands peintres d’Athènes, Parrhasios, Zeuxis, Apelles apparaissent. C’est au XVe siècle, en Occident, que la peinture, par les Avignonnais, les Flamands, les Bourguignons, les Italiens, commence d’échapper à ses procédés primitifs pour tendre à réaliser une expression complète et se suffisant à elle-même des nuances les plus profondes, les plus complexes, les plus subtiles de l’esprit. A cette heure-là, en Occident comme en Grèce, la grande architecture religieuse n’est plus qu’un souvenir.

Quand la peinture apparaît, il n’y a plus place pour la sculpture, hors peut-être du décor des fontaines et des jardins. Et la plus grande architecture est morte sans recours. Ce que l’architecture et la sculpture essaient de dire à ce moment-là, la peinture seule peut le dire. Et cela parce qu’elle est, en plastique bien entendu, le seul langage qui convienne à l’individu émancipé. Elle est l’individu émancipé, ou, pour mieux dire, épanoui . On fait le tour de l’édifice. On fait le tour de la statue. Si les grandes synthèses, que tous peuvent sinon comprendre, du moins subir, les grands contours continus des masses tendant à l’expression géométrique cessent d’être le langage du statuaire et de l’architecte, c’est qu’ils ne représentent plus les croyances communes qui ne peuvent s’exprimer que sous cette forme-là, résumée, globale, compacte et s’embrassant d’un regard. La peinture est toute autre chose. Bile est libre. Son espace n’est pas réel. Il appartient au seul esprit. L’esprit seul s’y peut mouvoir, en tous sens, promener à sa guise les volumes et les arabesques dans sa surface et dans sa profondeur, plonger les formes dans l’ombre, les faire saillir dans le jour, insinuer le jour et l’ombre dans leurs plus secrets intervalles, masquer, proclamer, laisser deviner à sa guise les sentiments les plus complexes et les plus simples, les sensations les plus subtiles et les plus énergiques, déchaîner ensemble toutes les ressources de son clavier chromatique, en tirer là un accord, en toucher ici une note, créer la mer, créer le ciel, les voiler de brume ou de nuages, ouvrir, fermer les bois, ne parler que de l’homme ou s’en passer complètement. La peinture est l’individu religieux ou non religieux, cruel ou tendre, sensuel ou chaste, lyrique, ou conteur, ou dramatique tour à tour ou simultanément, libre de n’être que lui-même, de recréer à son usage un univers assuré d’être viable, quelque fantastique qu’il soit, s’il est cohérent et logique, même et la plupart du temps surtout contre les préjugés et les superstitions caduques de la foule sortie du temple comme lui. La décomposition de l’organisme dont elle et lui sont des éléments rendus à l’indépendance, fait qu’elle n’est plus qu’une masse amorphe de ces éléments sans cohésion à qui le ciment mythique et social manque, et que lui seul se peut passer de ce ciment parce que seul il porte dans le cœur un mythe et une société. Dans ces périodes critiques redoutables, où presque tous les individus désorbités errent dans les solitudes arides de leur esprit et n’agissent plus qu’au hasard de leurs impulsions, de leurs habitudes, quelques-uns, et le peintre en particulier, portent l’héroïsme du monde. Ils n’ont pas une autre fonction que de recréer dans leur âme, à leur manière, l’unité primitive, pour la transmettre intacte à l’organisme qui sera. Quand les colonnes du temple s’écroulent, la fonction du peintre héros est de tendre ses deux épaules pour en soutenir l’architrave jusqu’à ce qu’un autre approche et lui permette de mourir.

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Cl Boissonnas.

ANIMATION DES SURFACES (Grèce, Erechtheion.


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Cl. Houvet.

ANIMATION DES SURFACES (France, Chartres).


Histoire de l'Art: L'Esprit des formes

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