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Le 13 Vendémiaire marque la fin des épreuves de la famille Bonaparte. Le vainqueur de la réaction royaliste écrivait à Joseph en octobre 1795: «J’envoie à la famille 50 ou 60 000 livres argent, assignats, chiffons; n’aie donc aucune peur». Lætitia respirait enfin; mais elle ne devait jamais oublier la gêne et les soucis de son séjour à Marseille, Même aux heures les plus éclatantes de la fortune impériale, elle se défiait de l’avenir en songeant au passé : elle épargnait, thésaurisait, se gardait.

Bonaparte, à mesure que grandit sa fortune, veille de plus près sur les alliances de ses sœurs, écarte les choix que la raison n’a pas dictés. «Un citoyen Billon, écrit-il à Joseph, que l’on m’assure être de votre connaissance, demande Paulette. Ce citoyen n’a pas de fortune; j’ai écrit à maman qu’il ne fallait pas y songer.» Le péril n’était pas là : Billon demandait la main, Fréron prenait le cœur, ce cœur de Paulette si naturellement inflammable et qui n’avait pas attendu l’autorisation du général Bonaparte pour se donner au beau Stanislas, ami de Lucien: Fréron, simple commissaire des guerres, valant Billon pour la fortune, Bonaparte s’interposa au plus vite; mais déjà sa sœur en était aux transports de la passion: les amants échangeaient par la poste des serments, des baisers, des cheveux même; boucle pour mèche. Pauline pressait sur son cœur, sur ses lèvres les épîtres de Stanislas, et elle y répondait avec une verve qui bannissait toutes les réticences virginales. La prose est trop sèche, le français est trop froid à son gré ; elle s’exprime en vers, en vers italiens, et les métaphores brûlantes, les superlatifs démesurés (ti amo passionatissimamente) suffisent à peine à traduire l’exaltation de sa tendresse. Bonaparte ne comprenait l’amour qu’étroitement associé à l’ambition, et les grâces de Joséphine, qu’il épousait en ce moment même, se confondaient à ses yeux avec celles d’un commandement en chef, qui était le prix de son mariage: il n’admit pas la passion toute sentimentale de sa sœur. Elle eut beau lui jurer que Fréron était le seul homme qu’elle pût jamais aimer: il sourit du serment et resta inflexible. Trois ans après, l’immuable amante épousait l’un des vaillants compagnons d’armes de son frère, le général Leclerc, le suivait à Saint-Domingue, avait la douleur de l’y perdre, coupait et jetait sur son corps sa noire chevelure, et, selon le style du temps, enfermait son cœur dans l’urne cinéraire. L’urne était mal close! le cœur de Paulette s’en échappa, s’affola bientôt du prince de Borghèse, qu’elle épousa, s’en dégoûta plus vite encore et s’égara dans maints caprices. Elle vécut un peu partout, hors à la villa Borghèse, où elle se contenta de loger sa statue, une Vénus victorieuse, dont les formes exquises n’avaient pas été seulement rêvées par Canova et offraient un délicieux mélange d’idéal et de réalité.

En même temps qu’il écartait les Billon et les Fréron, Bonaparte surveillait et tançait cette folle tête de Lucien qu’avait grisé sa nouvelle fortune. Nommé commissaire des guerres de l’armée du Rhin, il gagnait son poste avec toute la lenteur imaginable, mettait un mois à traverser Paris, soupait chez Barras, flottait entre la beauté de Mme Récamier et l’esprit de Mme de Staël, et se décidait enfin à remonter vers le Nord. Une fois mis en possession de son emploi, il ne songeait à rien moins qu’à le remplir, faisait de nouveau de la politique, mais, cette fois, de la politique éloignée des extrêmes, pérorait, discutait, bataillait et n’administrait pas. S’il subissait de rudes assauts des jacobins et des royalistes, il avait aussi sa cour formée des officiers clairvoyants qui le traitaient en homme très bien apparenté. Bref, il était moins commissaire des guerres que frère du héros de l’armée d’Italie, et il abusait de cette espèce de mérite. Un beau jour il s’avisa de quitter son poste sans autorisation et s’en alla rejoindre Bonaparte à Milan, comme s’il voulait se tremper de nouveau dans sa gloire et raviver son lustre d’emprunt. De Milan il retourna à Marseille, puis à Paris, qui l’attirait toujours; mais Bonaparte se fatigua de son oisiveté vaniteuse, affairée, compromettante, et il pria Carnot de l’envoyer exercer en Corse des qualités administratives qui ne feraient pas défaut au continent. Sa lettre à Carnot n’est pas tendre et montre combien il lui tardait d’enfermer la faconde de son frère en lieu sûr, à vingt-quatre heures du littoral:

Il s’est compromis en 93 plusieurs fois malgré les conseils réitérés que je n’ai cessé de lui donner. Il voulait faire le jacobin, de sorte que si, heureusement pour lui, les dix-huit ans qu’il avait alors n’étaient pas son excuse, il se trouverait compris avec ce petit nombre d’hommes, opprobre de la nation. La Corse étant libre aujourd’hui, vous m’obligeriez beaucoup en lui donnant l’ordre de s’y rendre, puisque sa tête ne lui permet pas de rester à l’armée du Rhin.

Lucien ne fait, dans ses Mémoires, qu’une rapide allusion à son changement de résidence, et ce qu’il y a de piquant, c’est qu’il s’y donne l’air non d’un fonctionnaire en disgrâce, mais d’un ambassadeur en mission confidentielle: «Je ne pus demeurer près de mon frère qu’une demi-journée: il retournait le soir sur la ligne favorite de l’Adige; il me donna ses instructions et je partis pour la Corse.»

La société du Consulat et de l'Empire

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