Читать книгу Système de fraternité - Etienne Cabet - Страница 10
Nos deserteurs.
Оглавлениеli arrive très souvent aux hommes les mieux intentionnés, de ne pas assez mesurer leurs forces à la grandeur de la tâche qu’ils s’imposent. C’est souvent une faute grave, une grande déception, un malheur irréparable, et quelquefois, par l’enchaînement des circonstances et par suite de la sobdarité inévitable entre les hommes de la même société, c’est une calamité, un désastre qui est toujours regardé comme un véritable crime, si le manque de bonne volonté est constaté.
Que le malheur nous vienne de la méchanceté de nos ennemis, ou de l’inexpérience de nos amis, ou du dévoûment même de nos frères ignorans et présomptueux, l’effet est toujours le même; et notre douleur est d’autant plus grande, si le mal nous vient de la mauvaise volonté de ceux qui passaient pour nos meilleurs frères, et qui s’étaient engagés à vivre en solidarité avec nous et à se dévouer à la Cause commune jusqu’à la mort.
Parmi les Icariens, engagés de la manière la plus sacrée dans la Société qui se propose de réaliser la République fraternelle, comme l’expérience le prouve malheureusement, il s’est glissé des hommes qui, tout en acceptant fièrement le titre glorieux de Soldats de l’Humanité, n’appréciaient point la grandeur de leur entreprise, ni la difficulté de leur tâche, et encore moins tous les périls de leur expédition héroïque. Au moment de leur engagement ils par laient bien tous de leur dévoûment à la plus belle Cause du Monde qui est celle des Icariens; ils se disaient tons être forts et prêts à br avec tout et à supporter tout dans l’intérêt de la réalisation d’icarie; mais en action, même là où tout dépendait de leur propre prudence, de leur intelligence, de leur choix et de leur dévoûment, à la première difficulté rencontrée, ils se découragent, abandonnent leurs Frères, au moment le plus difficile, trahissent la Cause commune elle-même, et reviennent ignominieusement croupir dans la fange de l’Individualisme, d’où ils étaient à peine sortis. Horreur! ils s’en est même trouvé qui ont passé au camp de l’ennemi éternel de l’Humanité, pour faire cause commune avec les dominateurs elles exploiteurs de leurs Frères!
Que dire de tels hommes, d’une telle déception, d’une telle trahison?... Malheureux! c’est, la société individualiste qui les a ainsi formés et façonnés; ils sont à son image. Ils ne peuvent nous donner que ce qu’ils ont; et chez plusieurs on ne trouve que de la lâcheté, de la perfidie et des vices qu’ils emportaient avec eux en venant réaliser la Solidarité fraternelle avec nous.
La position de tous nos déserteurs est telle que, s’ils ne nous font pas plus de mal, ils sont réduits à mentir pour nous calomnier et nous défigurer, afin de justifier leur désertion. S’ils disaient sur nous et notre en treprise la vérité, rien que la vérité, ils annonceraient eux-mêmes à tout le monde leur condamnation, qui serait d’autant plus grande et inexorable qu’on leur reconnaîtrait plus de ressources de to ute nature; car ils se sont engagés à servir la Cause commune et à nous aider suivant tous leurs moyens, jusqu’à la mort.
Oh! s’ils avaient de la bonne volonté, ou s’il germait dans leur cœur le plus petit grain de fraternité, ou s’ils pouvaient au moins apprécier la grandeur du tort qu’ils faisaient à leurs Frères restés fidèles au drapeau d’Icarie, ou s’ils avaient la conscience de la honte ineffaçable qui s’attache à leur front et dont ils se stigmatisent eux-mêmes, ils auraient certainement préféré plutôt mourir que de se séparer de leurs Frères et d’abandonner la plus belle Cause du monde.
Quelle excuse peuvent-ils trouver de leur désertion? Comment peuvent-ils oser même ouvrir la bouche pour justifier leur conduite? Y a-t-il des circonstances où un soldat ordinaire puisse déserter son drapeau, par les mêmes raisons dont ils cherchent à se justifier? Un Soldat de l’Humanité, n’est-il pas obligé d’avoir plus de courage, de dévouaient et de persévérance, que tous les autres soldas du monde?...
Dans notre cause, il n’y a point de choix pour personne; il faut, même au prix de notre vie, persé vérer jusqu’à la fin dans la réalisation de la Fraternité et vaincre tous les obstacles. Ce n’est qu’à ce prix que nous pouvons espérer d’arriver au Salut impérissable de tous, même de nos ennemis.
Il n’y a que ceux dont la santé ne permet pas de supporter les fatigues et les privations, inséparables de notre premier établissement, qui sont excusables en nous quittant momentanément pour soigner leur santé, comme des soldats blessés dans une bataille, avec l’intention de revenir après à leur drapeau quand ils sont guéris. Ceux-là ne doivent jamais être regardés comme déserteurs et encore moins comme renégats, s’ils continuent toujours de professer la même foi et la même espérance sur la réalisation de la Fraternité en Icarie.
Mais tous les autres qui se séparent de nous, dans aucun cas et sous aucun prétexte, ne peuvent être excusés; car, de deux choses l’une: ou ils ont plus de dévoûment, d’intelligence et de connaissances que nous tous, ou c’est le contraire. Dans le premier cas, pour ne pas nous priver de leurs qualités si précieuses, pour les appliquer à la réalisation de la plus belle et la plus utile entreprise au monde, il était de leur devoir de rester avec nous, quand même ils n’en auraient pris aucun engagement: surtout lorsqu’ils ne peuvent trouver nulle autre part des soldats plus courageux et plus dévoués, ou au moins mieux disposés que nous, qui ne demandons qu’à être enseignés, conseillés, guidés, commandés et dirigés dans l’intérêt du Salut de tous.
Dans le cas contraire, malheureux aveugles! comment peuvent-ils se séparer de nous, sans se priver du secours le plus utile dont ils ont tant besoin? Où peuvent-ils trouver un concours plus fraternel, plus dévoué, et surtout plus utile à eux-mêmes et à toute l’Humanité?
Dans les deux cas, où peuvent-ils trouver un champ plus vaste et plus libre à la fois, pour l’exercice de leurs facultés et de leurs vertus?...
Que tous les hommes de cœur prononcent donc, s’il y a quelque chose au monde de meilleur, pour tous les citoyens courageux et dévoués, que de s’unir solidairement à nous, rester avec nous et faire cause commune pour travailler ensemble à la réalisation de la République fraternelle.
Cette vérité est tellement sentie par tous les Icariens sincères, qu’une de nos sœurs dévouées dont le fils est parti pour Icarie, en apportant au Correspondant du Populaire, deux cents francs pour le Secours Icarien, et en causant avec lui sur l’infamie de tous ceux qui abandonnent notre drapeau, s’est écriée qu’elle aimerait mieux apprendre la mort de son fils que sa désertion!...
Que ces malheurs servent du moins à notre enseignement! Que le triste tableau de la désertion de nos frères, que nous avions tout lieu de croire remplis de bonne volonté et de dévouement, nous apprenne à mieux juger nos forces et nous pénètre bien de l’absolue nécessité d’une courageuse persévérance, qui est une vertu inséparable de la divine Fraternité!...
Persévérance! Persévérance jusqu’à la mort, malgré et contre tous les obstacles, c’est notre devise et notre devoir! La République fraternelle et universelle, dont l’Icarie n’est qu’un essai et qu’un germe, est la plus grande nécessité dans la destinée de toute l’Humanité-Nous ne pouvons rien y changer, ni ajouter, ni retrancher! Nous sommes appelés depuis des siècles à la connaître, à l’aimer, à nous dévouer pour elle et à la réaliser le plus complètement possible. Nous n’avons point de choix. Nous devons l’accepter telle que la Fraternité parfaite la définit, et nous devons la servir de tout notre cœur et de toutes nos forces, jusqu’au dernier souffle de notre vie. Et quand même notre aveuglement nous empêcherait de la réaliser (car en cela, pour tout Peuple, il n’y a point d’autre empêchement que son aveuglement); quand même toute la génération actuelle manquerait à sa mission; les générations futures seraient obligées de revenir à la charge et de reprendre notre OEuvre, comme nous reprenons celle des Chrétiens primitifs.