Читать книгу Système de fraternité - Etienne Cabet - Страница 6
LIBERTÉ.
ОглавлениеLa liberté, à nous, c’est la faculté de vivre en Frères sans aucun empêchement.
Les nations et les hommes invoquent souvent cette divinité qu’on honore sous le nom de Liberté. On se dévoue volontiers à la servir, on s’enthousiasme pour elle, on ne recule devant aucun sacrifice, pas même les sacrifices humains, pour gagner ses faveurs. Voyons donc ce que c’est que la Liberté.
Pour un Malthusien.
Si vous demandez à un Malthusien ce qu’il entend par la Liberté, il vous dit: «Laissez faire, laissez passer; chacun chez soi, chacun pour soi; c’est la vraie liberté que j’aime et que je pratique, Mon champ, ma boutique, c’est moi. Je me procure tout ce qu’il me faut en payant. Je n’ai besoin de personne; je ne dois rien à personne. Tout va au mieux dans ce meilleur monde possible, quand mes affaires vont bien.»
Nous lui répondons:–Oui, homme sans cœur et sans entrailles, la liberté à toi, c’est ton isolement et ta sécurité dans les plaisirs du frère de Lazare! Ta vraie liberté, c’est celle de la concurrence et de l’anarchie à ton profit et aux dépens de tes Feères. C’est la vraie liberté de s’entr’exploiter, s’entredéchirer et de s’entretuer pour la plus grande gloire et le bonheur des plus forts, des plus riches, des plus instruits, des plus habiles et des plus effrontés, comme nous en voyons tant parmi les républicains honnêtes et modérés. Arrière, parasite!
Pour un Constitutioniste.
Celui-ci, aveuglé par son idolâtrie pour les lois faites par les hommes, répète: «Ma liberté à moi, c’est de ne pas violer la loi, concourir à sa confection, ne dépendre de personne, avoir la plus grande part dans le gouvernement, émarger le budget, jouir de rentes, posséder des actions de banque et de chemin de fer, et ne jamais me laisser surprendre pour un acte qui pourrait entraîner ma condamnation juridique. Je suis honnête et modéré, je ne demande que de ne pas être troublé dans mes jouissances, dont je crois ne pouvoir trouver la garantie que sous l’ORDRE d’une monarchie constitutionnelle ou sous une république honnête et modérée, gouvernée par des généraux et des banquiers, conseillée par des avocats et d’autres hommes pratiques, qui savent diriger de grandes exploitations et qui cherchent à faire marcher leur commerce.»
Oui, vous monarchiens, républicains du lendemain, républicains jésuites, nous ne pouvons ignorer que vous savez à propos crier vive la République, faire parade officielle de votre républicanisme, nous devons plutôt dire de votre cynisme, pour nous mieux tromper, afin de nous écraser, supprimer, anéantir et exterminer au profit de votre système, que vous voyez s’écrouler sous le poids de vos iniquités. Votre république honnête et modérée, c’est celle de Guizot et de Metternich, sous un autre nom, ornée des sanglans trophées de Transnonain, du Dahra, de Tarnow, de Rouen, de Lyon et de Juin. Votre république, à vous, c’est une insulte permanente à l’Humanité, c’est un outrage perpétuel au Peuple, c’est son esclavage, sa dégradation, son avilissement et sa misère éternelle, pour assurer vos iniques priviléges, vos richesses et votre règne; vous ne savez qu’opprimer et tuer, vous ne pouvez que méditer des spoliations et des assassinats: vous êtes des Malthusiens. Arrière, Caïns!
Pour un Catholique.
Tout rétrograde et superstitieux qu’il est, un Catholique, se détournant des impies et des infâmes, et en élevant les yeux vers le ciel, s’écrie avec l’abbé Gerson, auteur de l’Imitation de Jésus-Christ: «O aimable et douce servitude de Dieu: c’est toi qui nous rends libres et nous sanctifie!»
–Oui, Frère, lui disons-nous, tu as raison d’aimer la servitude de Dieu; car c’est la conséquence du règne de Dieu, notre Père, que nous cherchons avant tout, et qui doit réaliser la plus parfaite liberté et le plus complet bonheur pour tous. Mais pourquoi préfères-tu invoquer plutôt la servitude que le règne? As-tu donc déjà oublié que nous sommes tous appelés à RÉGNER avec notre Père, et non point à être esclaves? Ne resie-t-il donc plus dans ton âme qu’on sentiment de servilisme, pour ainsi dédaigner la souveraineté de l’Enfant de Dieu? Ne veux-tu donc plus savoir que notre Dieu, c’est notre PÈRE,–que nous sommes tous Frères,–que nous ne devons jamais reconnaître aucun homme pour notre Roi ni notre Maître,–que nous ne devons jamais nous laisser opprimer ni exploiter par personne,–et que nous ne devons accepter pour notre Chefque celui dont nous sommes sûrs qu’il ne pour a se faire valoir plus qu’un serviteur?... Tu as l’air de ne louer que la servitude rie Dieu, pourquoi supportes-tu donc la servitude de l’homme? Pourquoi te laisses-tu imposer sous divers prétextes des maîtres, des pasteurs, des directeurs, des gouverneurs, des préfets et des curés même, qui, loin d’être tes serviteurs, suivant le précepte positif de l’Évangile, ne sont que tes maîtres, tes exploiteurs, tes oppresseurs ou valets d’oppresseurs? Comment oses-tu te soumettre à eux et leur obéir? Ne sais-tu donc plus qu’on ne peut pas servir deux maîtres à la fois?
Délivre-toi donc auparavant de toute servitude envers les hommes,– cesse de faire leur volonté,–déclare toutes leurs lois impies et sacrilèges,–et tu pourras après servir parfaitement ton Dieu, et jouir de la dignité et de la liberté de son Enfant, souverain par sa nature: autrement tu auras beau te dévouer et aimer la servitude parée du nom de piété; tu ne seras jamais qu’un misérable esclave. Arrière donc, rétrograde! Quitte notre République, va vivre dans l’empire du tsar de Rome, si tu le trouves encore sur la terre!
Pour un Philosophe.
Avec un air composé et grave, le philosophe nous enseigne avec Bacon, que nous ne pouvons être souverains ni libres qu’en obéissant à la Nature. Soyez-donc, nous dit-il, ses esclaves, et vous jouirez d’une parfaite liberté.
–Tu as raison, brave combattant des préjugés, lui repondons-nous. Tu es cependant complètement d’accord avec le Catholique qui soutient, lui aussi, que pour être libre, il faut faire la volonté de Dieu, et être son fidèle esclave. Seulement tu n’oses t’exprimer en mêmes termes que lui, et tu évites les apparences qui pourraient t’assimiler a l’apôtre du servilisme, qui condamne et repousse la liberté, même pour sa propre pensée et sa conscience. Mais au fond tu n’es pas du tout plus avancé que lui; car pour obéir à Dieu ou à la Nature, il faut toujours connaître préalablement ses volontés, et avoir tous les moyens et toutes les facilités nécessaires de les remplir fidèlement: sans quoi, comme lu le reconnais toi-même, point de liberté pour personne. Tout le problème reste donc pour vous deux également irrésolu. On vous reconnaît d’ailleurs tous les deux à vos œuvres. Arrière donc protestant: tu n’es pour nous qu’un jésuite déguisé!
Pour un Démocrate individualiste.
Un des plus fameux Démocrates INDIVIDUALISTES de nos jours, avec cette assurance qu’on lui connaît, proclame que: la Liberté, c’est le nom propre de la CONSCIENCE et du MOI. Il aurait été beaucoup plus clair, s’il avait dit: la Liberté, c’est la plus parfaite expression de l’individualisme et de l’égoïsme.que les Malthusiens savent au reste le mieux définir et pratiquer. Il aurait pu dire encore, avec non moins de raison: la Liberté, c’est une huître renfermée dans sa coquille qui n’est unie par aucun lien de Solidarité ni de Fraternité avec ses semblables, et que la première forte vague emporte. Toutefois nous nous empressons de reconnaître que le moi de notre Individualiste définit assez bien sa Liberté dans son but et son étendue.
Quant à la conscience, nous ne doutons point qu’elle est le foyer principal de lumière, de volonté et d’activité dans l’homme, et que par conséquent l’idée de spontanéité et de liberté est inséparable d’elle. Mais nous ne croyons point qu’il faille pour cela confondre et identifier ces deux idées fort distinctes. En admettant même le contraire, nous ne serions pas fort avancés; car nous savons qu’un fou, avec toute sa liberté, n’est fou que parce qu’il a une très forte conscience d’une idée fixe qui le rend fou, et qu’il accorde trop de confiance à sa conscience et à son moi. Ce qui devrait prouver à tout bon logicien que les individualistes et les égoïstes sont les plus fous de tous les hommes, ou au moins le plus disposés à le devenir.
Ne parlons donc point de Solidarité, de Fraternité, de Société ni de Socialisme même, si nous aimons tant l’individualisme que nous ne savons ni ne voulons point mettre notre conscience et notre moi à l’unisson de nos Frères.
Un sauvage même, dans son désert, n’est maître ni de ses pensées ni de ses actions: elles lui sont inspirées et commandées par le monde extérieur, par la Nature. Il ne peut être maître de lui-même qu’autant qu’il sait et peut la gouverner en souverain et se faire servir par toute sa puissance. Or, s’il vit isolé, sans le secours de ses semblables, son savoir et son pouvoir sont le plus souvent au-dessous de ceux des animaux: s’il ne s’associe avec ses frères, pour produire un puissant foyer de savoir et de pouvoir, nécessaire pour assurer sa souveraineté et son règne, il devient esclave de tous les élémens et de tous les animaux.
Qu’est-ce que s’associer, si ce n’est d’entrer dans les rangs d’un corps organisé, et de confondre son existence avec la sienne? Ainsi donc, la première condition de l’exercice raisonnable et utile de notre liberté, c’est l’Association, la pratique de la Fraternité.
Celui qui ne veut se servir de sa liberté que pour pratiquer son individualisme est un imbécile ou un sauvage qui croit avoir le droit de pousser l’exercice de la concurrence jusqu’à dépouiller et même tuer le premier homme qu’il rencontre.
Aujourd’hui, il n’y a plus d’autres sauvages ni barbares que ceux qui veulent à tout prix rester eux-mêmes dans l’individualisme et l’imposer aux autres. Nous savons où ils se trouvent, nous les connaissons déjà suffisamment à leurs œuvres.
Pour un Socialiste Icarien.
Pour, tout Socialiste sincère et éclairé, la Liberté c’est la faculté de parler et d’agir selon sa conscience, en accord et en harmonie avec ses Frères.
Mais pour conformer nos idées, nos discours et nos actions a celles de nos Frères, il faut déjà avoir des Frères, il faut déjà se trouver dans une Société de Frères, pratiquer la République fraternelle; tandis qu’aujourd’hui nous ne trouvons partout que des agglomérations d’oppresseurs et d’opprimés, de maîtres et d’esclaves, d’exploiteurs et d’exploités, de voleurs et de volés, de filous et de dupes;– des agglomérations, qui n’ont d’autres cohésions que le mensonge, la ruse, la corruption et la violence.
Voilà pourquoi tous les efforts des vrais Socialistes sont diriges a créer des noyaux de Sociétés ou Républiques fraternelles. Dans l’une de ces Républiques en germe, les Icariens mettent dès aujourd’hui en pratique le vrai Socialisme, et nous donnent des preuves irrécusables qu’ils comprennent toute la portée de notre devise républicaine: Liberté, Égalité, Fraternité. Voici ce qu’un de ces intrépides Pionniers de l’Humanité a écrit dans son journal de voyage sur la Liberté, telle qu’il sait la propager, la défendre et la mettre en pratique:
«Il est un droit généralement mal compris, et dont l’interprétation plus ou moins exagérée cause des déceptions même parmi les dévoués à la Communauté: c’est le droit de LIBERTÉ. Plusieurs ne comprennent pas, par exemple, que la liberté individuelle poussée à l’excès n’est que de la sauvagerie. En effet, quels sont les êtres les plus libres sur la terre? Ne sont-ce pas les sauvages isolés, dont aucune loi, aucun droit commun n’entravent les actions? Qui de nous voudrait de celte farouche liberté? Plus les Sociétés se rapprochent de la perfection et moins les institutions semblent laisser de liberté a l’individu: la raison en est toute simple, c’est qu’à mesure que l’homme se civilise, il sent que, dans son propre intérêt, il doit s’astreindre à plus de devoirs soit envers la Société, soit envers chacun de ses membres.
Cette gêne sociale, basée sur les’deux maximes évangébques si connues et si peu pratiquées: «Ne fais pas à autrui, etc.,» peut sembler un esclavage soit à l’égoïste ou à l’orgueilleux, trouvant tout ttalurel de demander ou recevoir, mais s’étonnant qu’on exige d’eux; soit au riche ou au travailleur ignorant, croyant ne rien devoir aux autres, parce qu’ils ne demandent rien que contre écus ou travail. Mais pour les hommes de progrès, pour les Icariens surtout, qui comprennent la Fraternité, la Solidarité humaine; cette gêne, loin d’être un esclavage, n’est que l’accomplis-ement de devoirs réciproques, lesquels étant volontairement et librement consentis, sont pour tous et pour chacun une source de sécurité, de bien-être et d’affectueux rapports. C’est ainsi que doit se comprendre, je crois, la liberté, soumise à la Fraternité.»
(Extrait du journal de voyage de Bourg.)
Voilà une appréciation juste et véritable de la Liberté sociale, telle que la Fraternité l’inspire à tous les hommes de cœur, et que les partisans de la Liberté individualiste ne peuvent encore supporter à cause de leurs préjugés et de leur faiblesse. Charité donc et pitié pour eux!...