Читать книгу Voyage de Sa Majesté Napoléon III, empereur des Français - F. Carrel Laurent - Страница 27
ARRIVÉE A BOURGES.
ОглавлениеLa ville commence à s’illuminer, et l’on voit se dessiner, au-dessus de ces étoiles qui s’allument de toutes parts, la masse imposante et sombre des tours de la cathédrale; Cent un coups de canon annoncent l’arrivée du Prince, et les cloches de toutes les églises de la ville mêlent leurs sons à ceux du bourdon de Saint-Étienne. On entend au dehors de la gare les bruissements d’une foule impatiente.
Dans la gare, magnifiquement éclairée et ornée d’arbustes qui se mêlent aux couleurs nationales, résonnent les fanfares militaires qu’exécute la musique du 9e régiment d’artillerie.
En descendant de wagon, le Prince est reçu par M. Planchat, maire de Bourges, accompagné de MM. Gaiéta et Bourdaloue, ses adjoints, et de tout le conseil municipal. MM. les membres du conseil général, la cour d’appel ayant à sa tête M. Corbin, premier président, les tribunaux de première instance et de commerce, M. Paul Lagarde, inspecteur général du ministère de la police, les sous-préfets des arrondissements de Saint-Amand, de Sancerre, de Gien et d’Issoudun, les deux députés du département: MM. de Duranti et Bidault, M. Vauquelein, ingénieur en chef des ponts et chaussées, et les ingénieurs des canaux du Berry et de la Sologne, les tribunaux civils et de commerce du département de l’Indre, les inspecteurs des eaux et forêts, les maires d’un grand nombre de communes, les juges de paix, assistaient à cette réception.
Conformément aux ordres donnés par M. le ministre de l’intérieur, aucun discours n’a été prononcé. Après avoir échangé quelques paroles avec M. Planchat, S. A. I. sort de la gare au milieu des plus vives acclamations.
Un superbe cheval, Philipps, que le Prince montait à la revue du 15 août, l’attendait à la sortie de la gare. Le Prince le monte, et, suivi des deux ministres, du préfet, du général duc de Mortemart, des généraux de Noue, Borme, Roguet, de Montebello, de Goyon, du colonel de gendarmerie, des colonels Fleury, Beurret (du 9e d’artillerie), du colonel du 5e hussards venant de Limoges, du colonel du 5e de ligne, du commandant Lepic, et des capitaines Merle, de Menneval, de Cambriels et Petit, des officiers d’ordonnance, et de tout l’état-major de la division, qui lui font cortége, il se dirige vers la ville.
Le maire, les adjoints, le conseil de préfecture, le conseil municipal de la ville, des députations des municipalités des arrondissements de Sancerre et Saint-Amand, leurs sous-préfets en tête, suivent les uns à cheval, les autres en voiture.
Afin de se trouver plus immédiatement en contact avec les populations, le Prince avait contremandé les ordres donnés aux troupes pour former la haie sur son passage.
De la gare à l’entrée de la ville, sur une longueur de trois kilomètres environ, un même cri puissant, spontané, enthousiaste, est sorti de toutes les bouches à la fois, et n’a cessé de retentir. Cette foule frémissante semblait confondue dans un même sentiment de reconnaissance et de joie. Tous ces braves gens, cultivateurs pour la plupart, étaient désireux de voir le neveu de l’Empereur, le sauveur de la France. Un grand nombre avait fait plus de quinze lieues pour se trouver à son arrivée, et tous traduisaient leurs sentiments par les cris de Vive Napoléon! Vive l’Empereur!
La porte Saint-Sulpice, par laquelle on entre dans la ville, est surmontée de guirlandes, de banderoles flottantes, et ornée d’écussons aux armes de la ville, représentant trois moutons paissants, et ne rappelant nullement la ridicule célébrité qu’on a donnée aux armes de Bourges. Ces écussons sont séparés par les initiales de Louis-Napoléon, surmontées de la couronne Impériale. Au-dessus de la porte plane un aigle aux ailes déployées. De distance en distance, sur la place, en avant de la porte, se dressent des mâts pavoisés. reliés entre eux par des guirlandes de fleurs et de feuillages portant le chiffre Impérial.
La garde nationale, nouvellement organisée, attend le Prince à l’entrée de la ville; il y a là des gardes nationaux de tout le département, les uns en blouse, d’autres en uniforme de la levée de 1814; des bataillons de pompiers cantonaux, des artilleurs, de vieux soldats de l’Empire; tous sont venus à pied, quelques-uns de fort loin, pour être passés en revue par le Prince.
Partout sur l’itinéraire suivi, sur les rues Saint-Sulpice, Porte-Neuve, Jacques-Cœur, des Quatre-Piliers, Bourdaloue, de la Monnaie, Porte-Jaune, les maisons sont illuminées et pavoisées, et les fenêtres chargées de curieux et de dames aux toilettes élégantes, qui font pleuvoir des fleurs sur le passage de S. A. I.
Toutes ces rues sont comme couvertes par des velum au bas desquels sont des oriflammes. Une foule extraordinaire se presse, avec un joyeux tumulte, dans les rues habituellement muettes et désertes. Depuis longtemps la vieille cité des Césars n’avait eu un pareil air de fête.
L’Hôtel-Dieu, la maison-mère des sœurs de la charité, se distinguent surtout par l’art qui a présidé à leurs décorations: ce sont de longues files de guirlandes de fleurs les plus fraîches, soutenues par des rubans aux couleurs nationales. On lit sur des inscriptions:
A Louis-Napoléon, sauveur de la famille, le protecteur de la religion.
Les saintes femmes de ces pieuses maisons sont toutes rangées en bon ordre sur le passage du Prince, qui les salue avec affabilité.
Dès cinq heures, une légion de prêtres en surplis s’est réunie dans la cathédrale à monseigneur le cardinal, à ses vicaires généraux, et à tout le chapitre en habit de chœur, pour recevoir le chef de l’Etat, qui a voulu inaugurer au pied des autels le début de son voyage.
A six heures trois quarts, le cortége arrive devant le grand perron de la basilique. Le prince met pied à terre au milieu des masses qui se pressent autour de lui et des acclamations les plus vivement enthousiastes. Les cris de: Vive Napoléon! et Vive l’Empereur! n’ont cessé que lorsque le cardinal est descendu au bas du grand perron, croix et mitre en tête, accompagné de MM. de Lutho, Caillaud et Michaud, ses vicaires généraux. Son Eminence lui a offert l’encens et l’eau bénite.
Pour se conformer aux intentions du ministre, monseigneur le cardinal Dupont n’a point fait de discours; il a adressé à S. A. I. les paroles suivantes:
«Prince,
«Nous voulions déposer aux pieds de Votre Altesse Impériale les sentiments dont nous sommes pénétrés pour elle: on nous impose silence; mais lisez dans nos cœurs, Prince, vous y verrez un dévouement et une reconnaissance qui ne peuvent être égalés que par notre profond respect.»
Le Prince a répondu:
«Monseigneur,
«Je suis profondément touché des sentiments que vous
«m’exprimez. Ils sont de bon augure pour moi au commencement
«du voyage que j’entreprends: ils me porteront
«bonheur, les vœux que fait pour moi un prélat si distingué
«et un clergé si recommandable par ses vertus.»
Son Éminence a répliqué :
«Nous allons les déposer au pied des autels.»
Le Prince est conduit processionnellement au chœur, aux accents graves et majestueux de l’orgue, en traversant une immense haie de prêtres qu’il salue, et qui a remplacé l’appareil militaire qui s’étendait tout à l’heure sur ses pas dans les nombreuses rues du parcours.
Le Prince s’agenouille sur un prie-Dieu placé devant le maitre-autel; les ministres, les généraux et le cortége se tiennent debout derrière lui.
On a chanté en faux-bourdon le Domine salvum fac Napoleonem, et le prélat a récité l’Oremus.
Il était nuit. Cette immense cathédrale plongée dans une obscurité profonde et dont le chœur seul est éclairé, ces chants graves et solennels, cet encens qui monte lentement sous ces voûtes perdues dans l’ombre, ce Prince agenouillé devant l’autel, ce prélat appelant sur lui les bénédictions du ciel, toute cette pompe austère de la religion produit une émotion profonde dont l’âme ne peut se défendre.
Saint-Étienne est un des monuments les plus grandioses de l’architecture gothique; ses proportions sont colossales. Ses deux tours sont remarquables par leur hauteur, mais inégales et d’un autre style que l’ensemble de l’édifice. Cinq portails s’ouvrent sur la façade. Leur effet est imposant; ils sont ornés de sculptures qui racontent dans tous leurs détails l’Ancien et le Nouveau Testament.
Chaque pierre a son épisode sculpté avec cette naïveté qui distingue les artistes du moyen âge. Le portail latéral du midi est du style byzantin le plus pur et paraît plus ancien que le reste de l’église.
La crypte, la plus belle qu’il y ait en France, est peuplée de statues qui semblent pleurer sur des tombeaux. La plupart sont d’une habile exécution. Mais elles ne sont pas à leur place. Elles ont été transférées de la sainte Chapelle brûlée en 1756; elles nuisent à l’austère simplicité de cette église souterraine.
L’intérieur de la vieille basilique est d’un effet solennel. Cinq nefs sont soutenues par quatre rangs de piliers d’une légèreté et d’une audace qui effrayent les regards.
Rien ne peut rendre l’impression religieuse que l’on éprouve en entrant sous ses voûtes sacrées.
La majesté de l’architecture; l’immensité de l’enceinte, dont l’œil ne peut mesurer l’espace; cette forêt de colonnes qui s’épanouit au sommet en rameaux gigantesques, ces statues, ces tombeaux, ces marbres sur lesquels chaque pas éveille un écho, ce jour qui meurt à travers les vitraux colorés: tout remplit l’âme d’une respectueuse terreur.
Monseigneur le cardinal Dupont, arrivé à l’archevêché de Bourges en 1842, n’a cessé de se préoccuper des mesures nécessaires pour maintenir et restituer à cette noble basilique la gravité de son caractère.
Les vitraux, d’une merveilleuse beauté, avaient beaucoup souffert des outrages du temps et plus encore de ceux de la révolution de 1793. Ils ont été, en partie, restaurés par M. Thévenot (de Clermont); mais il reste encore beaucoup à faire. Chaque fois qu’on touche à ces vastes cathédrales, c’est tout un monde à remuer.
Le cardinal a fait enlever des tableaux qui se trouvaient à chaque côté du chœur, ainsi que les boiseries, et les grilles qui le fermaient. Cette intelligente modification a rendu à l’édifice son aspect simple et originel.
Parmi les chapelles placées autour de l’église, on distingue la chapelle du Sacré-Cœur, dans laquelle monseigneur l’archevêque a fait placer deux tapisseries des Gobelins d’une valeur de deux cent vingt mille francs, dont l’une représente la mort d’Ananie et de Saphire, et l’autre saint Pierre et saint Jean montant au temple et guérissant un paralytique.
Le Prince est reconduit par monseigneur le cardinal avec le même cérémonial qu’à l’entrée. A la sortie de l’église, qui a lieu par le portail donnant sur le jardin de l’archevêché, les cris de: Vive l’Empereur! redoublent, et ceux qui n’ont pu entrer dans l’église accourent pour le voir.
Le Prince est à pied et s’entretient avec le cardinal, qui le conduit à son palais, où il doit passer la nuit. MM. de Lutho, Caillaud et Michaud, vicaires généraux, et le chapitre suivent. L’entrée et la place de la cathédrale sont décorées et illuminées. De nombreuses inscriptions en l’honneur du Prince sont placées par intervalles et éclairées de feux étincelants.
Au sommet du grand portail du palais archiépiscopal resplendissent les lettres L. N. enlacées dans un écusson de feu de Bengale et surmonté de la couronne Impériale. La cour d’honneur est couverte d’arbustes et de fleurs. La musique du 5e hussards et celle de la garde nationale exécutent les airs aimés du Prince.
Trente-cinq jeunes filles de jardiniers et de vignerons sont disposées sur deux rangs au bas du grand escalier du palais. Elles tiennent chacune à la main un bouquet des plus jolies fleurs. Mademoiselle Léonie Montigny s’avance et remet son bouquet au Prince, qui la remercie avec bonté de cet hommage.
Les autres déposent successivement leurs bouquets dans une corbeille qui est reçue par un officier d’ordonnance. Elles ont toutes le costume du pays, qui ne manque ni d’élégance, ni de richesse. Elles portent une écharpe bleue, frangée d’or.
Le Prince arrive au salon de son appartement par un magnifique escalier à deux galeries ornées de fleurs.
La ville avait l’intention d’offrir un banquet à S. A. I. qui l’a refusé.
En acceptant l’hospitalité du cardinal, Louis-Napoléon avait voulu se charger de tous les frais de la réception. C’est en son nom qu’avaient été faites toutes les invitations. C’est ainsi que les choses se passeront pendant tout le cours du voyage.
A sept heures et demie, le Prince a réuni dans un couvert de quarante-six personnes monseigneur le cardinal, le premier vicaire général, le général duc de Mortemart, M. le préfet, MM. Bidault et Duranti, députés au Corps législatif; M. Planchat, maire de la ville; M. Corbin, premier président; M. Paul Lagarde, inspecteur général du ministère de la police le premier avocat général faisant fonctions de procureur général; les généraux de la 19e division, les colonels des régiments et plusieurs autres hauts fonctionnaires.
Cependant la ville présente un spectacle inaccoutumé. Des fêtes splendides ont été préparées pour la soirée et doivent durer toute la nuit. La place Séraucourt est le centre principal des fêtes: ses belles allées étincellent d’illuminations. Des jeux de toute espèce ont été mis à la disposition du public.
Une immense salle de bal s’y élève et retentit des airs de danse qu’exécute un puissant orchestre. Sur les points écartés, de vastes tentes sont ouvertes à ceux qui veulent trouver un abri ou prendre du repos. On remarque des mâts et des oriflammes qui, au nombre de vingt-neuf, portent chacun le nom de l’un des cantons des départements. Ces signaux doivent servir de points de ralliement à la réunion des cantons pour le défilé qui doit avoir lieu demain.
C’est de ce côté que se porte principalement la foule.
Des illuminations brillent également dans le reste de la ville. Le palais de l’archevêché et l’hôtel de la préfecture se distinguent, entre tous les édifices, par les feux très-habilement distribués qui décorent leurs belles façades.
L’illumination principale figure le chiffre soixante-neuf mille, nombre de voix données au Président par le département du Cher. Un autre écusson, entouré de lumières, renferme cette inscription:
La ville de Bourges et le département du Cher reconnaissants à Louis-Napoléon!
Mais ce qui frappe surtout l’imagination, ce sont les effets de feux de Bengale qui, par intervalles, viennent éclairer la cathédrale et font tout à coup resplendir le géant de pierres, dont les hautes tours, comme deux bras immenses, se dessinent sur le sombre azur des cieux. Les lueurs fantastiques semblent encore grandir les colossales proportions de l’édifice, dont on aperçoit alors les sculptures les plus déliées dans toute la délicatesse de leurs détails.
Les places et les rues sont parcourues par les curieux qui se proposent de revenir voir le feu d’artifice, composé par Ruggieri, qui sera tiré ce soir à dix heures sur la place Séraucourt.
Bourges n’a pas habituellement cette animation et cette vie. Lorsque le voyageur la traverse, elle lui paraît trop vaste pour sa population, ses rues manquent de mouvement et d’activité. Ses vieux hôtels, majestueux et sévères, avec leurs cours humides où l’herbe croît paisiblement, semblent regretter les hôtes qu’ils ont jadis reçus. Il a fallu que toute la population des environs s’y portât, pour lui donner cette agitation qui pourtant n’est pas étrangère à ses murailles.
Bourges est une antique et noble cité. Son origine se perd dans la nuit historique. Du temps des Tarquins elle était, dit Tite-Live, la capitale de la Gaule celtique. Quelques-uns ont fait remonter sa fondation aux Argonautes.
Tout le monde sait quelle était sa splendeur à l’époque de la grande invasion romaine. Lorsque tout reculait devant les armées de César, le patriotisme des Gaulois, dans un fanatisme qui, plus tard, devait être imité par la Russie, brûlait toutes les villes du Berri, pour faire le vide autour des légions victorieuses. Bourges fut épargnée.
«Voyez, disaient ses députés à Vercingétorix, voyez cette ville, la plus superbe, la plus majestueuse de toute la Gaule, la forteresse et l’ornement de la patrie. Respectez ses monuments magnifiques, témoignages de votre grandeur; ses temples, ses portiques, où votre orgueil se complaît. Fiez-vous, pour arrêter César, à ces remparts puissants et redoutables dont l’audace brave tous les dieux de la guerre!»
Les députés des habitants de Bourges furent écoutés. Plus heureuse que Moscou, la ville ne fut pas sacrifiée à l’indépendance nationale. Mais ses remparts formidables n’arrêtèrent que peu de temps la marche triomphale de César. Après un siège savant, la ville fut prise, et le vainqueur raconte dans ses Commentaires que quarante mille de ses habitants périrent dans l’assaut. La défense fut toutefois héroïque, et les femmes gauloises se firent massacrer à côté de leurs époux.
Bourges n’en resta pas moins la cité la plus considérable des Gaules. Mais, depuis cette époque, elle a eu d’autres dévastations à subir. Saccagée d’abord par les Visigoths, puis par Didier, comte de Blois et général des armées de Chilpéric, qui rasa tous ses monuments, elle fut réédifiée par Charlemagne, nouvelle et digne origine, et reprit au moyen âge une partie de son antique splendeur.
Ce qui reste de ses monuments témoigne, au milieu de la décadence moderne, de ce qu’elle a été. Il n’est pas une rue où le voyageur n’arrête son regard curieux sur quelque édifice digne d’intérêt. Il est impossible de la traverser sans visiter sa cathédrale et le palais de Jacques Cœur.
Nous avons parlé de la cathédrale; nous avons pu aussi nous arrêter un instant devant la maison de Jacques Cœur où les lumières de l’illumination nous permettent de lire cette fière devise, gravée dans tous les écussons et qui semble faite pour Louis-Napoléon:
«A vaillants cœurs rien impossible.»
Ce fut, en effet, un vaillant cœur que le simple négociant qui construisit cette somptueuse demeure. Il ouvrit au commerce de la France des voies alors presque inconnues.
Il montra ce que peuvent faire l’intelligence, le travail et la probité. Sa fortune a quelque chose d’épique. Il établit des comptoirs dans le Levant, et sur toutes les côtes de la Méditerranée. Il négocia avec tout le monde connu.
Il avait accumulé des richesses immenses, dont il fit le plus noble usage. Il fut l’ami et le trésorier de Charles VII. Poursuivi par la haine des grands, qui ne pouvaient lui pardonner son élévation rapide, la faiblesse de son royal ami le laissa succomber. Ni sa vertu, ni son génie, ni sa générosité, ni les services rendus ne purent le protéger.
A cette époque d’inégalité, le bourgeois parvenu portait ombrage aux courtisans. Il fut sacrifié. Après une longue captivité, il porta en Italie son activité et son génie, qui lui eussent fait une nouvelle fortune plus grande que la première, si la mort ne fût venue le surprendre. Aujourd’hui la justice se rend sous les voûtes loyales qu’il habita. Symbole de la différence des temps! Il semble que les pierres qui retentissent chaque jour des arrêts rendus au nom de l’égalité devant la loi écoutent la protestation de notre siècle contre l’injustice qui poursuivit celui dont elles gardent le chiffre et la devise.
A dix heures, le Prince-Président se rend au bal de la préfecture à. pied et sans escorte. Il parcourt ainsi plusieurs rues, entouré d’une population innombrable. Les cris de: Vive Napoléon! Vive l’Empereur! retentissent avec éclat dans cette foule, qu’on évalue à 60,000 âmes.
Aux saluts du Prince, le peuple se découvre et répond par des démonstrations d’une vivacité peu habituelle aux habitants du Berri. Le Prince ne marchait qu’à petits pas. La foule était si compacte, qu’il fallait des efforts inouïs pour le voir.
Les hommes, les femmes, les enfants, tous se mêlaient à ces manifestations spontanées de véritable enthousiasme.
L’hôtel de la préfecture est l’ancien palais construit par Jean, duc de Berri, et où siégeaient avant la Révolution les différents tribunaux de Bourges. Il a aussi ses souvenirs: c’est dans une de ses vastes salles qu’eut lieu cette assemblée célèbre du clergé qui, sous Charles VII, rédigea la pragmatique-sanction, cette préface du suffrage universel.
Aujourd’hui, l’hôtel est décoré avec un goût exquis.
Dans le salon d’entrée, placé à droite, est disposée l’estrade réservée à l’orchestre, dirigé par Strauss. Vient ensuite le salon d’honneur, richement décoré de velours grenat entre- mêlé de crépines d’or, qui, détachées du fond par l’éclat des lumières, produisent un effet magique. C’est dans ce salon qu’a été placé, sur une petite estrade, le fauteuil du Prince-Président, entouré à droite et à gauche de fauteuils de moindre dimension, réservés aux ministres ainsi qu’aux principaux dignitaires qui l’accompagnent. Ce magnifique salon précède la salle de bal, dont la décoration est d’une richesse de très-bon goût. Cinq grands lustres, étincelants de bougies, répandent dans cette salle, de vaste dimension, des torrents de lumière. Tout autour sont disposés des faisceaux de drapeaux aux couleurs nationales.
Mais ce qui tient du prodige, c’est l’aspect d’une vaste salle improvisée en cinq jours dans le but de servir de dégagement à la foule des danseurs. Cette salle, l’ancienne vénerie du duc Jean, et qui, ces jours derniers encore, servait de chantier aux ouvriers occupés aux travaux de restauration de l’hôtel, offre aujourd’hui un coup d’œil aussi original que gracieux. Des guirlandes de fleurs, entremêlées de drapeaux, dissimulent heureusement la voûte un peu trop surbaissée de cette salle. Sur l’une de ses faces, et entouré d’un faisceau de drapeaux, s’élève le buste colossal du Prince-Président; de l’autre côté, l’œil est frappé par l’harmonieuse disposition de faisceaux d’armes et d’emblèmes militaires que surmonte un aigle gigantesque construit par des soldats du génie.
L’entrée du Prince dans lu salle du bal a produit un effet électrique. Les dames se sont levées, et les acclamations ont été unanimes. Le Prince, accompagné du préfet et des ministres, a visité les salons, remplis d’une triple galerie de fraîches et élégantes toilettes, auxquelles se mêlait le costume simple, modeste, mais de bon goût, des belles fermières. C’est ainsi qu’on nomme les riches villageoises de ces contrées.
Le Prince a ouvert le bal avec madame Pastoureau, femme du préfet, ayant pour vis-à-vis M. le préfet et madame Planchat, femme du maire. Les ministres, le maire et d’autres hauts fonctionnaires figuraient dans le quadrille d’honneur.
Après la contredanse, le Prince, prenant l’escalier par lequel on communique des salons de la préfecture avec les magnifiques jardins, est venu se placer dans une tribune, de laquelle il a longtemps regardé les illuminations de la place Séraucourt; et les populations qui se pressaient dans ces vastes promenades l’ont salué des cris mille fois répétés de: Vive l’Empereur!
Le feu d’artifice, qui a parfaitement réussi, n’a pas été l’un des épisodes le moins intéressants de cette nuit de merveilles. Le Prince y assistait. Scus la terrasse où il avait pris place, au pied de la tribune, la population ne cessait de défiler, et chacun s’arrêtait peur contempler longtemps ses traits. Les cris de: Vive Napoléon! Vive l’Empereur! éclataient avec enthousiasme et passion.
Vers onze heures, Louis-Napoléon, accompagné seulement du préfet, du duc de Mortemart, et de quelques généraux et officiers supérieurs, est revenu à pied à l’archevêché, en passant dans des rues étroites et devant la caserne d’artillerie. Le poste a pris les armes et a fait entendre le cri de: Vive l’Empereur!