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L.

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Les syllabes al, el, ol, sonnaient isolément ou suivies d'une consonne, au, eu, ou; suivies d'une voyelle, comme aujourd'hui, ale, ele, ole.

Ainsi les mots finissant par l'une des trois avaient double terminaison, selon l'occurrence.

On disait vau, chevau, mau, Vaufleury, chevau-léger, Maupertuis; et l'œil voyait, Valfleury, cheval-léger, Malpertuis. Mais on prononçait Val antive ou Val ancienne17, cheval agile, etc.

[17] Val était féminin. C'est sans doute la finale masculine au qui a conduit au changement de genre.

On écrivait indifféremment par al ou par au.

Cil auront les meillors cevals,

Les plus corans et les plus beaus.

(Partonop., v. 7290.)

Juvénal sonnait Juvénaus.

Juvenaus nous an dit tot voir.

(Dolopathos, p. 371.)

«Juvénal nous en dit tout vrai.»

Quel, tel, mortel, sonnaient queu, teu, morteu.

—«Si cum li dux maria sa seror au comte de Bretaigne, et queus eirs (quels hoirs) elle en out.» (Chron. des ducs de Normandie, II, p. 415.)

Devant une voyelle, l'l reparaissait:

A teu joie et a tel honor.

(Ibid., II, p. 127.)

… Fait li reis: Queu baronie,

Quel haute gent de Normandie…

(Ibid., II, p. 413.)

Queu diable!… que le fréquent usage a maintenu, est pour quel diable!… exclamation suivie d'une réticence, comme qui dirait: Quel diable est-ce là? Quelques-uns écrivent mal à propos: que diable!

Le peuple conserve avec soin queuqu'un et queuques un. Dans le dernier, l's finale est la marque euphonique du nominatif.

Dans la Chanoinesse de Vergy:

Ele parla un jor a lui,

Et mit a raison par mots teux:

Sire, vos estes biax et preux.

(Méon, Fabliaux, IV, p. 329.)

Ne sai quel chose trainoient.

(Dolopathos, p. 257.)

Prononcez: Queu chose traïnoient.

Il n'y a jamais d'incertitude sur al et ol. Je crois bien que dans l'origine il n'y en avait pas davantage sur el: chapel, tonel, martel, sonnaient chapeu, toneu, marteu, d'où sont venus plus tard chapeau, tonneau, marteau. Le ciel s'est prononcé d'abord le cieu, et cela s'accorde parfaitement avec le pluriel actuel. Mais il est sûr qu'avant d'arriver au son au, cette finale el (eu) a passé par é.

S'il y a un mot que l'usage quotidien ait dû, ce semble, maintenir inaltéré, c'est assurément le mot ciel. Cependant ouvrez Rabelais au chapitre IX de Gargantua; il parle de ces glorieux de court, de ces transposeurs de mots, qui composaient des rébus, «faisant pourtraire ung lict sans ciel pour ung licencié

«Qui sont, ajoute Rabelais dans sa sainte colère, homonymies tant ineptes, tant fades, tant rustiques et barbares, que l'on debvroit attacher une queue de regnart au collet, et faire ung masque d'une bouze de vache, a ung chacun d'iceulx qui en vouldroient d'ores en avant user en France, après la restitution des bonnes lettres.»

Cela semble un peu rigoureux; car enfin vous voyez qu'on peut tôt ou tard extraire d'un rébus quelque chose d'utile. Sans le rébus du licencié, comment pourrait-on prouver, contre l'usage et la vraisemblance, l'ancienne prononciation du mot ciel?

En vertu de la même déviation, quel, qui primitivement avait sonné queu, sonna qué. Le peuple dit indifféremment queu bel homme, ou qué bel homme. Mais qué est la seconde forme, la forme du XVIe siècle; c'est l'acheminement à quel.

L'o suivi d'une l était soumis aux mêmes conditions que l'a et l'e.

Col, mol, fol, sonnaient cou, mou, fou. Le nom propre Rollon, par abréviation Rol, sonnait Rou: le roman de Rou. Arnold, nom germanique, s'est francisé dans Arnould.

Aujourd'hui, que l'ignorance de la langue et de son génie fait des progrès si rapides, on prononce, sans être ridicule, un colle, un solle. On dira bientôt un lit molle, un homme folle.

On écrivait chol, de caulis, et l'on prononçait chou. Fallot, continuellement obsédé de ses visions de déclinaisons, et pénétré d'une foi robuste dans la fidélité de l'orthographe du moyen âge,—temps où personne ne soupçonnait pas plus la chose que le mot,—Fallot enregistre gravement la forme chol pour le régime singulier, et chous pour le régime pluriel. Il cite en preuve «dessous un chol,» et «dessous des chous,» du roman de Renart. (Recherches, etc., p. 120.)

J'aurai à reparler de ce genre de preuves qui consiste à ne montrer que les exemples à l'appui de notre système, et à cacher ceux qui le renverseraient.

Fallot n'avait qu'à jeter les yeux sur le fabliau d'Estula, un des plus connus du recueil de Barbazan; il y aurait lu partout chols, au nominatif comme au cas régime:

Li riches fols

En son cortil avoit des chols

Et cil qui les chols ot coillis…

Qui son sac avoit plain de chols.

Il faut partout prononcer choux; comme il faut dire cou et fou, en lisant ces vers du même fabliau:

Prenez l'estole a votre col,

Dist li prestres: tu es tout fol

Povreté fait maint homme fol:

Li uns prent un sac en son col

Observez que la prononciation primitive de cette finale rétablit l'analogie habituelle et régulière entre le singulier et le pluriel: un chevau, des chevaux;—le cieu, les cieux;—un fou, des fous.

Les mots cercueil, vermeil, sonnaient cerqueu, vermeu.

La geôlière de Partonopeus lui rend la liberté sur parole, afin qu'il puisse aller combattre à un tournoi. Elle fait plus: elle promet de l'équiper d'armes et de cheval:

Et vos presterai une espee

Qui fu en un sarqueu trovee,

Tranchant aenciane et dure.

(V. 7720.)

Partonopeus se rend donc au lieu du tournoi. En traversant une forêt, il rencontre cinq écuyers,

Dont chascun meine un bon destrier,

Et portent cinq vermeus escuz,

Forz et noveax au cox penduz.

Es chevax a vermeilles selles

Qui bien tailliees sont et beles,

Couertes de vermeil samit.

(V. 7776.)

L'orthographe employée dans le second vers nous apprend la valeur de celle que nous trouvons dans le dernier, et qu'il faut prononcer

Couertes de vermeu samit.

Je lis, dans M. J.-J. Ampère:—«La forme al, el, ol, est toujours plus ancienne que la forme au, eu, ou, qui est une contraction.» (Hist. de la lang. fr., p. 233.)

Rien, que je sache, n'autorise une pareille assertion: c'est une conjecture de M. Ampère. Je crois le principe erroné, ainsi que la conséquence: «On a dit val avant de dire vau, capel avant chapeau, fol avant de dire fou.» (Ibid.) Ce sont formes contemporaines, non-seulement dans le langage, mais même dans l'écriture.

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