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DE L’EXISTENCE DE L’AME ET DE SES QUATRE ÉLÉMENTS CONSTITUTIFS.

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Le projet que je désire réaliser dans ce livre, est de préciser d’une manière scientifique:

1° Quelle est notre origine;

2° Quelle est notre destinée générale;

3° Quel est le but de notre destinée présente;

4° Quelle est la loi morale?

Ce projet, je désire le réaliser dans le but d’arriver à la détermination de nouveaux dogmes qui puissent remplacer avantageusement les dogmes arriérés duchristianisme.

Or, la solution de ce quadruple problème, pour être concluante, ne saurait être obtenue d’une façon directe par une simple appréciation des faits et des opinions, parce qu’il faut que la démonstration en soit pleinement rigoureuse. Mais pour que la raison humaine puisse être satisfaite autant qu’elle a le droit de l’exiger, il faut que mon argumentation ne présente aucun point vulnérable aux traits corrosifs du scepticisme moderne, et qu’elle soit aussi irréprochable dans son point de départ que conforme dans ses développements ultérieurs à la science, à l’expérience et au sens commun. Pour remplir ces conditions étroites, je me trouve dans la nécessité de commencer l’examen de ces principes qui nous intéressent, par l’unique point de certitude que nous possédons, c’est-à-dire par la notion de notre existence personnelle. Ce point fondamental une fois établi nous conduira ensuite, par l’observation et l’induction à la connaissance de l’âme, à celle de notre destinée présente et future, à la solution du problème social et religieux, à la connaissance de Dieu et à celle des principes premiers de la science.

Cette argumentation rigoureuse est, j’en conviens, quelque peu aride; et le lecteur craindra peut-être de me suivre dans une suite d’abstractions transcendantes, auxquelles il n’est nullement disposé. Mais qu’il se rassure, la recherche et la détermination des causes et des conséquences immédiates des phénomènes suffisent pour arriver à la vérité, et n’exigent l’emploi d’aucune subtilité scolastique. Il est vrai que l’exposition de telles idées ne ressemble pas à un roman; mais j’ai lieu d’espérer qu’il suffira généralement d’un peu d’attention pour se rendre facile l’intelligence des considérations qui vont suivre. Le lecteur trouvera peut-être sa récompense dans de nouveaux aperçus sur l’âme et sur tout ce qui nous touche de près, dans l’ordre religieux, politique et scientifique.

J’ai dit que l’unique point de certitude que nous possédons est la réalité de notre existence propre. Cependant, quelque incontestable que ce principe soit pour le sens commun, il est quelquefois mis en doute par certains penseurs. Ainsi, par exemple, je lis dans une brochure récente d’un savant distingué :

«Quelques philosophes superficiels me diront peut-être que je dois être certain au moins de mon existence? Je leur répondrai que c’est surtout de mon existence que je ne suis pas certain, attendu qu’il n’est rien, peut-être, que je comprenne moins que l’existence; je ne sais pas clairement en quoi consiste cette réalité ou ce mirage qu’on appelle l’existence, et je crois que si je le savais clairement, j’aurais du même coup la certitude de mon existence actuelle et de mon existence éternelle. J’accorderai bien que je suis absolument certain des apparences de mes perceptions, mais ces apparences ne sont pas des connaissances, et je ne puis rien en déduire de certain.»

A cette objection on répondra, d’abord, que l’on ne saurait définir l’existence aussi peu que la vie, avant d’avoir accepté comme fait primitif, antérieur à toute définition, notre existence propre, comme évidente par elle-même. Ce point de doctrine est fondamental, parce que la science part de nous, de notre personne; et que, par conséquent, il faut se connaître soi-même avant de pouvoir étudier tout autre phénomène ou principe. Car, comment puis-je être sur d’autre chose si je ne le suis pas d’abord de moi? Lorsque pour moi-même je ne suis qu’une apparence, que sera le monde et Dieu? que sera la vie et l’existence? Les deux idées de vie et d’existence sont d’ailleurs des abstractions que notre esprit, très-disposé à la métaphysique, se personnifie mal à propos, parce que de fait elles ne désignent que deux aspects de notre individu, deux attributs de notre réalité que l’on peut à son gré considérer, sans doute, en eux-mêmes, mais que l’on ne doit jamais accepter comme indépendants de l’être que l’on observe et auquel ils sont inhérents, ainsi que nos savants et nos philosophes n’y sont que trop enclins. En effet. une abstraction, n’ayant aucune valeur par elle-même, ne saurait être définie d’une façon rigoureuse sans que l’on fasse mention de son inhérence à son sujet; et c’est précisément parce qu’on a cherché à définir la vie et l’existence indépendamment de leur inhérence à l’être, que l’on n’y est jamais arrivé d’une façon satisfaisante.

Ce n’est qu’en examinant les éléments constitutifs des êtres que nous nous rendrons raison de ce qui les fait vivre dans le temps et exister dans l’espace; et c’est par ce motif que la connaissance de la vie et de l’existence est forcément subordonnée à celle de l’être. Donc la science la plus rigoureuse ne peut, sans créer un cercle vicieux, commencer par rechercher la définition de ces idées abstraites avant d’avoir admis comme certaine, de plein droit, notre existence personnelle. Or, celle-ci, comme nous allons le reconnaître, est hors de doute, puisque nous ne pouvons pas ne pas être. L’auteur de cette brochure est, sous ce premier aspect, donc complètement dans une fausse voie, de chercher à comprendre l’existence avant d’accepter la sienne propre, comme un fait sans antécédent pour lui, comme un fait qu’il peut bien ne pas s’expliquer, puisque effectivement nous n’avons pas assisté au moment de notre création, mais qui est réel, et qui le tient à la gorge, quoi qu’il fasse et qu’il en pense.

Une autre réponse à cette objection est le renvoi à la première méditation de Descartes, où il est établi, avec toute l’étendue désirable, que le sceptique qui dit «je doute» commence par s’affirmer et se poser lui-même. En effet, le fait primordial dont dépendent et partent toutes nos connaissances, c’est notre affirmation de nous-mêmes. Avant toute manifestation autre, avant d’avoir la conscience d’aucun sentiment et d’aucune pensée, chacun de nous commence par s’affirmer, chacun se pose en face des hommes, de l’univers et de Dieu, et dit: Je ou Moi. Descartes n’avait pas besoin, pour établir son existence, de dire: «Je pense, donc je suis,» puisque son affirmation Je suffisait pour le constater. M. Cousin n’a pas eu davantage besoin, comme il l’a cru, pour savoir s’il existe, que «la conscience lui révélât l’être à l’aide d’un procédé particulier de l’esprit: la loi des substances, loi au moyen de laquelle notre esprit conclut de suite de l’apparence à la substance d’une chose. C’est là un procédé inutile dans cette circonstance. Parle pronom Je, notre individualité fait acte de présence, se distingue de Dieu et de la création, et nul ne songera à récuser cette prétention, à nous demander la justification de tant d’audace. Cet acte est spontané, irréfléchi, fatal, puisque, ainsi que je l’ai fait remarquer, nous ne pouvons pas ne pas le faire; et, par là, il est un fait primordial dont l’autorité pour notre savoir personnel doit être reconnu avant tout autre mouvement intime. Voilà, comment, à mon sens, s’établit pour nous tous, et d’une façon irréfragable, la réalité de notre existence. L’affirmation du Moi est, par conséquent, la véritable base de la psychologie, le point de départ solide et certain de nos connaissances.

Cela posé, commençons notre examen intime, à l’exemple de Descartes, l’immortel fondateur de la méthode psychologique. Examinons, comme lui, nôtre conscience, et voyons actuellement ce qui s’y passe quant à l’activité fondamentale de notre âme.

Dès la première observation, plusieurs manifestations se présentent à la fois à notre attention, sans que l’une ait une priorité sur l’autre, ni qu’elles s’engendrent réciproquement. D’abord je me sens et me sais; et ensuite j’ai conscience de mon individualité propre et d’un désir d’être satisfait. La première observation de conscience me fournit donc quatre notions différentes, irréductibles entre elles, qui se présentent à mon attention sans aucun ordre logique, et de telle sorte que je ne puis pas les confondre, ni les oublier. Il résulte de ce fait que notre affirmation de nous-mêmes n’est pas une énigme pour nous, puisque nous en avons l’explication à la fois dans notre sentiment, dans notre connaissance, dans. notre individualité et dans notre destinée; et la certitude qui en résulte pour la notion de notre réalité n’est donc pas basée sur un fait isolé, ni sur un effet du hasard, ni sur un résultat de la loi de la substance, mais sur une observation directe, quadruple de sa nature, aussi inévitable que spontanée et involontaire.

Tel est, après l’affirmation du Moi, le premier fait de conscience qui me frappe, lorsque je m’examine intérieurement, sur ce qui me concerne personnellement; et ce fait, je le répète, se présente sous quatre formes différentes irréductibles entre elles, car mon sentiment ne se confond pas avec ma pensée, ni mon instinct de bonheur avec celui de ma liberté. En conséquence, la distinction de ces quatre manifestations intimes est catégorique, et comme, de plus, elles sont uniques dans leur genre, parce que nous n’avons pas d’autres notions irréductibles, elles doivent renfermer en principe tout ce qui concerne la connaissance complète de notre être, et par suite de tous les êtres possibles. L’importance de ces quatre notions est donc de premier ordre, et à ce titre elles méritent de fixer spécialement notre attention.

Remarquons, dans ce but, d’abord, que les deux premiers de ces faits de conscience ne sont pas aussi faciles à comprendre que les deux derniers. Il est difficile de démêler comment je puis me savoir et me sentir; cela demande réflexion. Il est tout simple, au contraire, que je suis un individu, puisque j’en ai la conscience; et que j’ai une destinée propre, puisque je m’aperçois avec la même évidence de mon désir du bien-être. Je n’ai donc pas à en rechercher le pourquoi ni le comment. Tout le monde se le tient pour dit, se préoccupé de sa liberté et de son bonheur. Les animaux font de même. Ces derniers, quelque bruts et stupides qu’ils soient, défendent l’une tant qu’ils peuvent, et ne vivent absolument que pour l’autre. L’humanité, presque en entier, est dans le même cas; elle ne s’inquiète pas davantage du sentiment et de la pensée, mais n’oublie pas un instant sa liberté ni son sort actuel. La priorité, comme l’irréductibilité de ces deux notions est donc de toute certitude, et nous autorise à inscrire sur les premières tablettes de la science que nous possédons en nous la notion irrécusable de notre PREMIER PRINCIPE, de NOTRE UNITÉ, et celle non moins péremptoire de NOTRE DESTINÉE, c’est-à-dire de notre CAUSE FINALE. C’est ce que je nommerai LA DUALITÉ D’ASPECT de notre être.

Ces deux derniers faits de conscience sont donc évidents et clairs par eux-mêmes; mais les deux premiers n’ont pas le même avantage; car bien que chacun se sente et se sache, l’on ne voit pas sans quelque embarras comment on peut se sentir et se savoir. De grandes erreurs ont été commises à cet égard, parce que ces deux faits ne s’expliquent pas par la simple observation, et qu’il faut se servir de l’induction. Or toute induction, quelque immédiate qu’elle soit, est controversable, et pour que le jugement qui intervient soit valable jusqu’à un certain point, et puisse être admis comme raison suffisante, il faut non-seulement qu’il ne présente point de contradiction, mais qu’il explique tous les faits secondaires qui s’y rattachent et en découlent. L’induction que je vais proposer pour expliquer ce double fait du sentiment et de la pensée, l’est à ces conditions. Je me réserve donc de la justifier plus tard par l’explication qu’elle nous fournira sur tous les phénomènes psychologiques, physiologiques et moraux; mais actuellement je me bornerai de l’énoncer comme suit:

1° En ce qui concerne le sentir et le savoir, il faut remarquer que l’on a parfaitement conscience de se sentir sans avoir besoin de faire le moindre effort; on se sent toujours pourvu que l’on y fasse la moindre attention. Par contre, la perception du sentir est un acte, - le résultat d’un effort du même ordre volontaire comme l’attention; dès que je ne fais plus d’effort, je ne pense ni ne fais plus attention. Si je suis au repos, je me sens faiblement, mais je me sens pourtant tant que j’y fais attention, Dès que je porte mon attention ailleurs, je m’aperçois que je sens autre chose, puisque je suis impressionné différemment. Ensuite, si je reviens de nouveau à porter l’attention sur moi, je me sens de la même manière passive que la première fois; mais c’est toujours avec un effort nouveau que je m’en aperçois. Par suite de ces efforts répétés de l’attention et de la pensée, d’une part, et de cet état de passiveté et de continuité, de l’autre, j’induis que je possède en moi deux ordres psychologiques différents, hétérogènes; que l’un est passif, qu’il se caractérise par la sensibilité et la permanence; et que l’autre est actif, et se distingue par l’effort de l’attention, de la pensée et par son intermittence.

2° Mais comment se fait-il que nous nous sentions et que nous nous sachions d’une façon aussi distincte? Il faut, à mon avis, pour répondre à cette question, convenir d’abord que ces deux phénomènes ne peuvent se produire d’eux-mêmes; ensuite qu’ils ne sauraient être produits par un seul et même élément, et enfin qu’ils ne peuvent être l’effet de notre organisme matériel.

Cette dernière hypothèse doit d’abord être écartée, par la raison toute spéciale que, pour qu’un effet se produise, il faut que l’agent qui en est censé la cause ait au moins des propriétés analogues et soit présent à l’acte. Or, les particules matérielles du corps, qu’elles soient à l’état simple ou composé, ne possèdent point de sensibilité, ni d’activité qui ressemblent à ces propriétés de l’homme; et en outre elles ont si peu de fixité dans le corps, elles s’y renouvellent d’une façon si continue qu’aucune notion de sentiment, de connaissance de liberté et de bonheur personnels ne peut en être le résultat. L’intervention de la matière corporelle dans les phénomènes de conscience doit donc être repoussée comme radicalement contradictoire avec la notion de notre personnalité active et sensible, et l’existence en nous d’une essence différente du corps nous en est imposée en principe. Telle est à mon avis la démonstration élémentaire de l’existence de l’âme.

La seconde hypothèse de la simplicité de l’essence de l’âme doit être également rejetée, puisqu’il est conforme aux lois de la Création que chaque fonction ait son organe, et que chaque effet ait sa cause de même nature. Ainsi, par-exemple, l’élément qui reçoit les impressions et qui est sensible ne peut être charge de l’action, puisque ses efforts contrarieraient sa sensibilité, que ses mouvements rendraient les impressions impossibles, et qu’il s’y produirait nécessairement des troubles et des confusions. Réciproquement, l’élément actif ne peut être l’agent de l’ordre sensible et passif par les mêmes motifs; car, pendant qu’il devrait être passif pour recevoir des impressions, il ne pourrait être actif ni percevoir les sensations, ni produire des phénomènes. La simplicité de l’âme est donc également inacceptable.

Donc, comme dans notre conscience nous puisons la notion de deux ordres de phénomènes différents, il faut évidemment que notre essence soit composée de deux éléments hétérogènes correspondant à leurs fonctions respectives, puisqu’un effet ne se produit pas sans cause. Deux phénomènes intimes opposés ont donc besoin de deux causes distinctes, et comme malgré cette dualité d’effets nous nous sentons uns, en principe et en destinée, il est inévitable que notre âme renferme deux éléments de nature différente, mais disposés de telle sorte que:

1° Chacun de ces deux éléments possède les propriétés de l’ordre psychologique qu’il engendre et qu’il n’en possède pas d’autres;

2° Que tout en étant suffisamment distincts pour conserver leur autonomie, ils soient néanmoins unis au point de constituer non-seulement une unité indissoluble, mais que leur existence séparée soit impossible.

Telle est l’origine de l’idée de l’âme et de sa dualité essentielle, comme substratum permanent, sensible et actif de notre individualité.

Cette démonstration sommaire de l’existence de l’âme et de la dualité de son essence me paraît suffisante pour faire comprendre l’induction que je me propose de justifier dans la suite. J’ajouterai seulement, pour déterminer avec précision chacun des deux éléments de notre essence tels que, selon moi, l’induction nous les fournit:

1° Que pour qu’un élément puisse être sensible et impressionnable, il doit présenter une certaine résistance et occuper un certain lieu dans l’espace, car là où il n’y a ni surface, ni solidité, là il n’y a pas d’obstacle, ni d’impression, ni de sensibilité possible. L’élément passif de notre essence intime, celui qui est sensible et permanent, est donc UNE SUBSTANCE d’une étoffe subtile et invisible, étendue, solide et incorruptible, mais inerte, et, par conséquent, sans action dans le temps;

2° Que pour qu’un élément puisse être actif, attentif et pensant, il faut qu’il soit UNE FORCE causatrice par excellence, une force qui soit le principe de tout effort, de tout mouvement, qui se manifeste dans le temps, mais qui est inétendue et n’existe pas dans l’espace.

En conséquence, il résulte de ce premier examen, que le sentiment et la connaissance que nous avons de nous-mêmes, sont non-seulement deux phénomènes intimes irréductibles entre eux, mais encore que ces deux manifestations incontestables trahissent en nous l’existence D’UNE ESSENCE DOUBLE ET UNE, indépendante de l’enveloppe corporelle, qui par sa substance nous assure l’existence dans l’espace, la permanence et la fonction de la sensibilité, et qui par sa force nous assure la vie dans le temps, la fonction de l’activité, du mouvement, de l’attention et de la pensée.

Telle est l’induction sur la constitution de l’essence de notre âme que j’ai à justifier par une étude approfondie de la psychologie. Cependant, rappelons-nous que tous les phénomènes qui sont l’objet de cette science ne s’expliquent pas seulement par la dualité de notre essence, Substance et Force; la dualité de l’aspect de l’âme, Unité et Destinée, qui a été d’abord déterminée, en est le complément indispensable. Par ce motif la psychologie qui va suivre renfermera deux divisions bien caractérisées: l’une qui aura rapport à la première dualité, et l’autre qui comprendra la seconde. Car la constitution de notre être renferme ces quatre éléments catégoriques: substance, force, unité et destinée, comme nous allons nous en convaincre successivement.

La religion et la politique de la société moderne

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