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V
Les deux Miracles.

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Après un temps de galop, Georges, dont le poney se ralentit, soupira, rougit, traita mentalement Miette de sotte petite paysanne, se reprit, et finit par former quelques bonnes résolutions. Les dures vérités qu’il venait d’entendre étaient trop réelles pour que, malgré son amour-propre, elles ne l’eussent pas touché.

Sur la route, il rencontra le père Blaizard, vieux paysan qui se lamentait de la perte d’une pièce de bétail, son principal avoir. Au lieu de passer indifférent, Georges s’approcha; une certaine bienveillance remplaça cette fois sa morgue habituelle, et s’adressant au bonhomme en termes fort convenables, il lui donna sa bourse, à la grande stupéfaction des assistants.

–Sur quelle herbe, Jésus Seigneur! M. Georges Desnoires a-t-il marché aujourd’hui?…

En rentrant au logis, il alla embrasser Pierrette, qui faillit pleurer de joie quand il l’eut chargée d’un petit cadeau pour son fils. C’était une veste de chasse presque neuve.

–Rouget, dit-il, gardait ses vaches dans la lande; son chien a effrayé mon cheval; il aurait pu me laisser dans l’embarras; mais au premier mot de Miette, il a rappelé Tulipan et l’a retenu ensuite avec beaucoup de complaisance. Je ne l’en ai pas remercié, je ne lui ai pas même dit bonjour; c’est un double tort que je vous prie de réparer, vous sa mère et ma bonne amie.

Pierrette partit sur l’heure pour la ferme aux Meules; elle était si contente, la pauvre femme, au lieu d’avoir encore quelque grave reproche à faire à son fils, de pouvoir enfin lui témoigner un peu de satisfaction! Elle ne passa pourtant pas devant le moulin Tégot sans s’y reposer, d’autant plus que Miette lui donnerait tous les détails de la rencontre du matin.

Rouget, en ramenant ses vaches, ne cessait de se répéter les doux conseils de Miette; il souriait; sa profonde satisfaction adoucissait la rudesse de ses traits. Aux Meules l’attendait une véritable ovation.

–Morguienne! mon brave gars, lui dit son maître, c’est donc toi qui as tué le loup; et tu n’en disais rien encore!…

–Dame! je pensais qu’on prendrait ça pour une vantarderie et une menterie.

–Mais puisque c’était vrai!

–Personne n’avait rien vu; mais comment savez-vous la chose?

Le drapeau de la houlette de Pierre, lambeau de chiffon connu de tous les valets de ferme, avait été retrouvé dans la gorge du loup. On se souvint que la houlette était tordue et sans drapeau depuis la nuit où le loup avait été tué. L’empreinte des sabots du jeune vacher était restée sur la terre molle du bois, on la mesura. Vingt autres rapprochements valaient des preuves.

–Rouget, dit le maître des Meules, en attendant qu’on te paie la prime, tu souperas ce soir entre ma femme et moi, et je veux qu’on boive un verre de cidre à ta vaillantise. Ah! si nous en avions le temps, j’enverrais quérir ta mère!…

Elle était sur le seuil, elle avait tout entendu. De douces larmes baignaient ses yeux. Pierre l’aperçut le premier et se jeta dans ses bras.

On mit un couvert de plus.

Vint ensuite le cadeau de Georges. Rouget l’accepta sans montrer trop de répugnance; il parut même sensible aux bonnes paroles que lui transmettait sa mère.

Une voisine entra pour raconter comme un miracle l’histoire de la vache au père Blaizard.

–On a toujours pensé trop de mal de M. Georges! dit Pierrette. Il a de qui tenir pour avoir bon cœur! Monsieur et Madame lui montrent assez l’exemple, pas vrai?… A-t-on jamais vu brebis être mère d’un loup?

Personne ne protesta. On ne voulait pas troubler la joie de l’estimable Pierrette.

Le cidre fut débouché, les verres remplis à pleins bords, et la voisine, s’extasiant sur la belle conduite du Rouget, cria encore au miracle.

–Le miracle! les deux miracles! pensait le jeune gars, je sais bien, moi, quel petit ange du bon Dieu les a faits aujourd’hui

Au château, dans la cuisine, les domestiques s’étonnaient des nouvelles du jour; mais, au salon, où elles pénétrèrent aussi, les parents de Georges trouvèrent tout simple que leur fils bien-aimé eût fait preuve de bon naturel. Sa mère se hâta de lui donner une bourse deux fois mieux garnie que celle du matin, ce qui diminuait fort le mérite de son œuvre charitable. Son père fit plus sagement en complétant le secours nécessaire au bonhomme Blaizard.

Mais le valet de chiens, Michel, mauvais sournois qui gagnait, bon an mal an, force écus de cent sous à caresser les vices du Noiraud, ne se coucha point sans penser que si M. Georges devenait bon, aimable et généreux, il y perdrait au moins son casuel.

–Il y a quelque chose là-dessous, se dit-il, et j’en saurai le fin du fin.

Rouget et Noiraud

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