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VIII
D’une pierre deux coups.

Table des matières

Tulipan fut vengé, moins de quinze jours après l’entrée en apprentissage de Pierre chez le maréchal-ferrant; Tulipan fut vengé, car Michel, le valet de chiens, avait été non-seulement chassé du château, mais encore expulsé de la commune, sous peine d’être livré à la justice.

Un grave scandale en était cause. Puisque Miette, gardée à vue par son père et les gens du moulin, devenait inabordable, ce qui rendait Georges de moins en moins généreux, il avait bien fallu combiner une autre intrigue, dont le dénouement fut un cri général d’indignation.

Georges, roué de coups par un père furieux, revint au château plus mort que vif. Un odieux mensonge combiné par Michel ne servit de rien, car le brigadier de gendarmerie, le maire et le curé s’en mêlèrent.

Déjà Pierrette, douloureusement convaincue par le meunier Tégot, avait cru devoir dénoncer Michel comme le corrupteur de M. Georges.

Déjà certains autres bruits fâcheux étaient parvenus aux oreilles des châtelains qui refusaient d’y croire. Mais cette fois M. Desnoires fut bien obligé d’ouvrir les yeux. Pour étouffer l’affaire, il fallut prier, supplier, faire accepter à titre d’indemnité une somme énorme aux parents de la jeune fille, nommée Zélie. et promettre d’éloigner Georges qui, du reste, n’était plus en sûreté dans la commune.

Quoique les vacances ne fussent pas terminées, Georges fut condamné à partir dès le lendemain pour Paris, où il serait placé comme interne dans un lycée jusqu’à la fin de ses études.

Michel s’esquiva sous un déguisement, non sans chercher le moyen de se venger de Georges, qui, n’ayant pas su mentir avec assez d’impudence, l’avait abandonné lâchement en l’accusant d’être le seul auteur du mal.

–Si tu avais été droit, bon et honnête, pensait le valet, est-ce que j’aurais été assez sot pour te dire la moitié d’une mauvaise parole? On hurle avec les loups! J’ai trouvé un fruit pourri, j’en ai tiré ce que j’ai pu. J’ai trouvé une bête venimeuse, et on m’accuse de lui avoir donné son venin! J’irai à Paris, moi aussi; nous nous y retrouverons peut-être bien, monsieur Georges! Et vous y aurez encore besoin de moi, j’espère, car ici je menais les chiens, et là-bas je servirai les loups! Mais, en attendant, vous m’avez trahi, et je rirais bien, si je pouvais, avant d’en finir, vous donner encore un peu d’agrément. à vous et à ce polisson de Rouget que je vais lâcher à vos trousses.

Excellent moyen de faire d’un pavé deux mauvais coups.

Michel alla droit à l’atelier de Rouget, dont le patron, à sa grande surprise, n’avait qu’à se louer. Sous prétexte de lui donner des nouvelles de sa mère, de sa marraine Jeanneton et de Miette Tégot, il l’emmena au cabaret.

Pierre, qui détestait Michel, se tint d’abord sur la défiance, mais le valet avait le double de son âge, il était plein d’astuce et connaissait à fond tous les griefs du Rouget à son égard: «Placé au service de M. Georges, pouvait-il lui désobéir en face? il avait assez de chagrin d’avoir eu pour maître un drôle pareil!…»

–Pauvre Tulipan! quand M. Desnoires m’a ordonné de le tuer, j’aurais voulu que mes balles se fussent logées dans la tête de son chien de fils. La fois du bois des Caillottes, je veillais sur Miette, et même sans vous, mon brave Pierre, elle ne risquait rien, la malheureuse enfant!…

–Pourquoi malheureuse? interrompit Rouget.

–Vous ne le saurez que trop tôt, mon cher ami! La première fois, si j’avais accusé M. Georges du moindre mal, j’aurais perdu ma place, comme, du reste, je viens de la perdre, pour être accouru aux cris de la pauvre Miette et avoir tout dénoncé au brigadier de gendarmerie.

Pierre rugit comme un lion blessé. Michel ne changeant qu’un nom, celui de Zélie,–et qu’un rôle,–le sien,–racontait les faits trop récents encore pour qu’on les connût à la ville.

–Oh! le misérable! disait Pierre ivre de fureur, je le tuerai!… Où le trouver?… Est-il encore là-bas?…

–Oui et non, il en part demain matin.

–Pour aller en prison?

–Bah! on a tant d’argent que l’affaire n’aura pas de suites.

–Oh!… elle en aura, j’en réponds. S’il n’y a pas de justice, je suis là. moi, et Miette sera vengée!.

On but de l’eau de vie et l’on se sépara en se donnant force poignées de mains.

Michel alla coucher à l’auberge voisine du chemin de fer, et s’y endormit bercé du doux espoir que Pierre se ferait jeter dans une maison de correction pour avoir estropié M. Georges Desnoires.

Pierre ne dormit point.–Avant le jour, il était embusqué sur le chemin qui conduit du château à la gare de Castelyves.

Rouget et Noiraud

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