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VII
La houlette du vacher.

Table des matières

–Eh bien! mon gars, dit le meunier à Pierre Rouget, comment t’es-tu séparé de ton excellente mère?

–Mal!… très mal!… je ne m’en cache point.

–Tant pis! murmura Miette d’un ton douleureux.

–Est-ce ma faute à moi? Vous m’aviez calmé, j’allais tout plein de bonnes intentions, à preuve que, voyant de loin M. Georges, j’ai fait exprès un détour pour ne pas le rencontrer. Après, j’ai salué en passant Monsieur et Madame. Ma mère étendait du linge, je m’approche et je l’embrasse de tout cœur. Rapport à vos bonnes paroles, père Tégot, et à celles de votre fillette, j’avais repris courage. Je me résignais à partir, quoiqu’on me chasse injustement, pour avoir fait du bien: mais Miette et vous, père Tégot, vous me tournez comme vous voulez. Je disais donc à ma mère de venir vous voir et de ne pas tout croire aux menteries de ce brigand de Michel. Elle me répond bonnement qu’elle a plaisir à m’entendre, elle m’encourageait aussi, et je vous assure que je n’avais pas ce qui s’appelle ombre de méchanceté dans la tête…

–Mais enfin, qu’est-il donc arrivé?

–Ah! père Tégot! reprit Pierre Rouget avec violence, c’est une abomination! J’entends aboyer; je reconnais la voix de Tulipan, je me retourne: de l’autre côté de la douve, Michel le fusillait.

–Pauvre Tulipan! dit Miette tout émue.

–La malheureuse bête me sentait par là; elle a tourné l’œil de mon côté; dame! ça m’a fait parler dur. Et ma mère m’a chassé. Voilà!

Le meunier secoua la tête en soupirant.

–J’ai mis dans ma caboche, Rouget, de ne jamais te gronder quand tu ferais mal, et de te faire compliment toutes les fois que tu ferais bien!. Mais, veux-tu un bon conseil?

–Toujours! toujours!…

–Charge-nous, Miette et moi, de dire à ta mère que tu as repentance de l’avoir mise en colère et que tu pars bien au regret, l’aimant toujours comme un bon fils.

–Hum! fit le gars.

–Tu ne réponds pas, Rouget? dit Miette de sa voix la plus douce.

–Pardonnez-moi, murmura Pierre, mais je ne veux pas vous faire mentir; je suis franc, moi; je n’ai pas coutume de dire ce que je ne pense pas.

–Tu as ce mérite, mon ami, dit le meunier, et je t’en ai loué plusieurs fois. Eh bien! tu nous as dit, ce matin même, que tu aimais ta mère.

–C’est vrai, je l’aime,–à ma façon, pas autant qu’il faudrait, pour être comme vous voudriez,–pas autant que si elle n’aimait pas son Noiraud et ses maîtres… mais ils m’ont tué Tulipan, et j’avais raison l’être en colère; oui, j’avais raison.

–Possible! dit gravement Jacques Tégot, et pourant on a toujours tort de faire peine à sa mère et de nal la quitter. Est-ce sa faute, à elle, si l’on a tué ton hien? Est-ce sa faute, si, ne sachant pas bien la véité, elle te croit injuste? Tu convenais de bonne foi, avant-hier, que sa reconnaissance pour ses maîtres est un beau sentiment tout à son éloge. Rouget, mon fils, tu es meilleur que tu ne le crois toi-même.

–Entends-tu, Rouget? ajouta Miette.

Le gars tressaillit et la remercia du regard.

–J’ai dit en face, moi Tégot, poursuivit le meunier, M. et à Mme Desnoires, qu’ils sont des aveugles et les auteurs de la méchanceté de M. Georges. Malgré a, je les estime, je les aime, je ne m’en prends pas à aux de tout ce qui s’est passé, car un aveugle, mon ars, porte son excuse avec lui. On leur a fait croire que ton chien était quasiment enragé et que ce serait ou bien d’en délivrer le canton; ils ont payé pour ça.

–Mauvais coquin de Michel! dit Pierre Rouget.

–Oh! celui-là, je te l’abandonne, mais ta mère, ta pauvre mère. Voyons, que lui dirons-nous de ta part?

–Vous lui direz, père Tégot, vous lui direz que je aime toujours, que je ne suis pas un sans cœur, et que j’ai regret à lui avoir fait du chagrin, aujourd’hui, fier, n’importe quand.

–A la bonne heure! s’écria Miette avec joie.

–Tenez! mamzelle, dit alors Pierre Rouget en lui offrant a houlette, je pars pour la ville, bien triste, puisque je ne vous verrai plus. Gardez, s’il vous plaît, ce pauvre bâton en souvenir de moi. Il a pour drapeau un morceau de velours qui vous rappellera un ami. Adieu!

Miette, en acceptant la houlette, dit merci d’une voix douce et triste.

Rouget fit vivement quelques pas pour sortir, Tégot lui prit la main.

–Il ne tient qu’à lui d’être bon, dit-il. Tu n’es pas sans cœur, ça se voit bien.

La vive émotion peinte sur les traits de Pierre gagnait la sensible Miette.

–Tu as du bon sens et de l’esprit, poursuivit le meunier. Mais to s les grains ne se meulent pas de même; toutes les terres ne sont point pareilles; autant de sortes de bétail, autant de pâtures; autant de semences, autant de cultures diverses; faut de la pluie au blé noir et du soleil à la vigne. Le Noiraud a été mal éduqué, toi aussi. Il a voulu nous faire grand tort; toi, tu nous as rendu grand service. Ta mère est une bonne femme que j’aime comme il faut; raison de plus pour que je te porte intérêt. Crois-moi donc, mon fils, tourne au bien. Souviens-toi des leçons de M. le curé, au catéchisme, et des commandements de Dieu; c’est la vraie vérité comme tu y as goût, et oublie les méchantes idées des partageux. Si j’ai fini par être maître de ce moulin, c’est que mon grand-père, mon père et moi, nous avons travaillé sans paix ni cesse. Mon grand-père est entré ici comme valet; mon père payait une redevance de soixante écus; moi, je suis patron, et sur mon bien.

Tout le monde n’a pas un moulin, trois bons journaux de terre, quatre bœufs, autant de vaches, un cheval, un bidet et une maisonnette couverte en ardoises. Dame! je suis quasiment un richard, moi!… Eh bien, serait-il juste qu’on ôtât mon moulin et le reste à ma fille Miette, pour en partager la valeur entre les premiers venus?

–Non! ça ne serait pas juste.

–Eh bien! mon petit, tu as trop de bon sens pour ne pas voir, clair comme soleil, qu’il faut respecter les châteaux tout autant que les moulins.

–Pourtant ceux du château n’ont pas gagné ce qu’ils ont à force de travailler.

–Sottise des partageux, Pierre. On n’a ce qu’on a que de trois manières: en héritant, en volant, ou en travaillant; pas vrai?…

–D’accord.

–Bon! puisque tu trouves juste que Miette ait un jour mon bien, tu es pour que l’avoir des parents profite aux enfants, et tu n’aurais rien à redire, quand même après ma mort Miette affermerait ou vendrait tout, pour vivre après, même sans travailler, car, au fond, vois-tu, il y aurait toujours notre trayail à nous autres. Sans compter, Pierre, que faute de travail le bien s’en va peu à peu comme il est venu, pour s’en retourner aux vrais travailleurs,–à preuve que, dans les temps d’autrefois, avant mon grand-père, les Blaizard étaient les plus riches paysans de la paroisse, mais la fainéantise les a ruinés, de sorte que le bonhomme d’aujourd’hui est dans la misère.

–C’est pourtant un bon paysan, lui, objecta Pierre Rouget.

–Je ne dis pas non!… je dis seulement qu’il a hérité la pauvreté par la faute de ses parents, comme Miette héritera ce moulin parce que mon grand-père, mon père et moi, nous avons travaillé dur. Voyons, faut-il m’ôter mon bien pour le donner au bonhomme Blaizard?

–Je n’ai pas dit ça, répondit Pierre.

–Eh bien, je continue. Pour ce qui est des voleurs, mon garçon, il y a deux justices: celle de la loi qui n’y voit pas toujours bien clair, mais qui est tout de même bonne et utile; celle du bon Dieu, qui n’est jamais borgne ni aveugle. Laissons faire la loi, laissons faire le bon Dieu, et n’ayons aucun goût aux biens mal acquis; ça finit touj ours par porter malheur.

Pierre baissa les yeux, car il avait à se reprocher des maraudages sans nombre. A la vérité, le garde-champêtre l’ayant vingt fois surpris en flagrant délit, il était bien forcé de s’avouer que Jacques Tégot avait complétement raison.

Le meunier n’eut garde d’insister et poursuivit:

–Reste donc le travail, Pierre, et j’aurai fini mon sermon sur les partageux.

–Oh! parlez, parlez à votre aise, père Tégot, Je ne suis pas si pressé de vous quitter, dit le Rouget en soupirant.

–Mettons donc que Miette ait un mari vaillant, honnête, laborieux, qui, de tête et de corps, travaille courageusement et qui gagne gros par la permission du bon Dieu;–mettons qu’après vienne un fils ou un gendre qui gagne plus gros encore, et qu’à la fin des fins les enfants des petits-enfants, quand ça serait dans trois cents années, se bâtissent un château. Je te dis, Rouget, mon cher garçon, que ce château serait à eux aussi sûrement que ce moulin-ci est à nous et que le château des Noires est à Monsieur et à Madame.

Pierre regarda tendrement Miette, puis il mit la main sur ses yeux; il sanglotait, mais aussi pourquoi Jacques Tégot avait-il tant parlé de maris et de gendres?

–Merci! merci! dit le gars avec effort en reprenant son paquet de hardes. Vous avez raison! Tenez, mon ancien, je vous aime comme mon père, et vous, Miette, comme une sœur!

–Embrassons-nous donc! fit le meunier.

Pierre se jeta dans ses bras.

Miette courut ensuite à lui:

–J’aurai bien soin de ta houlette, va!… lui dit-elle. Au revoir, frère Rouget!

–Eh bien!… eh bien! dit le meunier.

La fillette reçut et donna deux bons gros baisers.

–En route! maintenant! bon voyage!… et va de bon cœur! s’écria le père Tégot.

De bon cœur il allait à travers la lande; de bon cœur il allait sous les bois des Caillottes, et puis sur le chemin vicinal qui conduit à Castelyves. De bon cœur il allait, le méchant gars exécré dans tout le canton, il chantait, il riait, il pleurait et chantait encore.

–Du courage au travail, soyez calme, père Tégot, j’en aurai!… Oh! le brave homme qui ne veut pas me gronder, moi! Il gronde pourtant sa Miette. Pourquoi ça?–Miette, Miette, ma houlette à drapeau de velours te parlera du pauvre Rouget!…

Et vive ma houlette,

Lan la!

Et vive ma Miette,

Lan la!

Et vive sa houlette!.

Il gambadait, il sautait, il courait, et parfois encore de douces larmes remontèrent à ses yeux.

–Nom d’un bonhomme, fit le maréchal-ferrant à qui on l’adressait, tu n’as pas l’air si méchant qu’on me l’écrit, mais je ne me fie, moi, aux écrits, aux paroles, ni à la mine: c’est à l’ouvrage qu’on me contente!

–Je n’y fauterai point, s’il plaît à Dieu! répondit le Rouget.

Rouget et Noiraud

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